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Mensonge


11 types de réactions physiques et psychologiques propres au menteur :

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Le renforcement
Lorsqu’une personne dit la vérité, elle ne se sent pas dans le besoin d’appuyer ses dires ; cependant, le menteur ou la menteuse pourra utiliser une phrase de renforcement, pour donner plus de crédibilité à son honnêteté (mon œil !  )
 
Bien sûr que j’étais avec Sophie, je ne le répèterai pas !
 
La voix
Lors d’un moment de stress, ou d’émotion forte, comme lors d’un mensonge, la tonalité de notre voix monte (nous parlons plus aigu, plus "haut" pour être exact). Aussi, le débit de mots s’accélère et nous avons tendance à nous emmêler les pinceaux, à bafouiller.
 
La fragmentation
Un menteur pourra insister un peu trop exagérément en fragmentant ses phrases ; c’est-à-dire en séparant sa phrase en plusieurs séquences :
 
Jamais [PAUSE], je dis bien jamais [PAUSE], je n’ai vu [PAUSE], ou entendu [PAUSE], quoi que se soit !
 
L’esquive et le détournement
L’esquive est un moyen pour celui qui veut cacher la vérité de ne pas répondre à une question en parlant d’autre chose, par une affirmation.
 
- Vous saviez pour le problème de Fred ?
- Concentrons-nous plutôt sur comment le régler ! 
 
Le détournement conserve le même principe, mais sous la forme d’une question :
 
- Vous saviez pour le problème de Fred ?
- Pourquoi me demandez-vous cela ? 
 
Lorsqu’une personne se sert de cette technique, le Dr Paul Ekman vous conseille de suivre le menteur dans son idée, pour revenir à la charge une fois celui-ci détendu, et observer alors une réaction de stress !
 
Le radotage
Le radotage est le fait de répéter plusieurs fois dans la même phrase les mêmes termes. C’est une technique visible et donc très facilement repérable.
 
"Rassurez-vous je n’ai rien fait, je n’était pas là, je n’ai rien fait."
 
La répétition
Votre interlocuteur répond à votre question en réutilisant votre phrase interrogative sous forme affirmative, c’est ce que l’on appelle la répétition.
 
- Vous ne croyez pas à ces histoires à dormir debout, rassurez-moi ?
- Mais non je ne crois pas à ces histoires à dormir debout !
 
La distanciation
La distanciation est l’action verbale de mettre une distance soudaine (ou inhabituelle) entre différentes personnes ou différents éléments de la phrase.
 
Imaginez qu’un homme parle d’une femme contre qui il aurait porté plainte. Puis il retire subitement sa plainte. Les officiers de police lui demande pourquoi. Jusque là, l’homme parlait de cette femme en utilisant le terme "Mme Dubois", puis au bout de quelques minutes à être interrogé par les officiers, il s’exclament : "Mais elle ne m’a rien fait cette femme, vous dis-je !"
 
Le trop-plein de détail
Pour faire avaler son histoire erronée, le menteur pourra essayer de donner le maximum de détails, afin de faire croire à la véridicité de son discours. Seulement, ces détails inutiles ne viennent même pas à l’esprit de celui qui veut raconter la vérité.
 
"Effectivement, je sais qu’il y était, il avait une voiture grise, même qu’à ce moment, une dame étendait son linge au balcon"
 
Racontez-moi ça à l’envers !
C’est quelque chose que vous pourrez demander à quelqu’un qui vient de vous raconter des salades. En effet, lors de l’invention spontanée d’un mensonge, le cerveau ne garde pas en mémoire le mensonge car son but est de produire quelque chose de simplement cohérent. Lorsque vous demandez à une personne qui vient d’inventer un mensonge de reprendre les faits, mais à l’envers (du dernier au premier), ce sera impossible pour lui.
 
Le freeze
Le freeze s’inspire du principe suivant : une personne qui se concentre sur sa pensée ne peut pas faire plus que de marcher. En fait, si votre interlocuteur est en train de faire la cuisine lorsqu’il cherche un mensonge, il arrêtera toute action autre que de se déplacer. Car son cerveau se concentre sur son mensonge, et plus sur son action culinaire ;)
 
La latence
Lorsque le cerveau va chercher des informations dans les lobes cérébraux, cela prend un temps déterminé. Dans le cas de mensonge, ce temps est faussé, et la latence de recherche de l’information modifiée. Pour connaître le seuil de latence, prenez des références, en posant des questions simples demandant à la personne de faire appel à ses souvenirs, émotions, jugements, etc.
 
Dans le cas où la personne avait préparé son mensonge à l’avance, elle n’aura qu’une hâte : vous le sortir. La latence sera diminuée, et votre interlocuteur répondra trop vite à votre question.
 
Dans le cas ou vous surprenez votre interlocuteur, il lui faudra inventer un mensonge, la latence augmentera, et il répondra trop lentement.

19/09/2014
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Mais comment fonctionne un cerveau qui ment ?

Lorsque nous faisons face soudainement à une situation inattendue, lorsque quelque chose nous surprend, nos émotions prennent le dessus et nous font réagir parfois de manière exagérée, nous perdons le contrôle de nous même pendant 1/10ème de seconde, avant de « reprendre nos esprits » lorsque cette situation difficile est passée. Nous allons nous concentrer sur ce mécanisme émotionnel.
Donc, lorsque cette émotion nous domine, elle se traduit par une extériorisation physique sur notre corps: une expression sur le visage, un mouvement du corps, des bras, nous détournons le regard, tournons la tête, bref une réaction physique, appelés micro-expressions et micro-réactions. C’est donc sur cet instant précis que la personne qui vous ment va émettre des signaux qu’il vous faudra déceler. Comme je vous l’ai dis il s’agit d’une mécanique de base, nous verrons ensemble dans de prochains articles que nous pouvons déceler également la vérité dans une conversation anodine, sans émotions, lorsque vous discutez avec une personne et qu’elle vous raconte une histoire (vrai ou non). C’est plus difficile mais c’est plus une histoire de logique et de bon sens qu’une histoire de réactions physiques réflexes.Donc , parlons un peu du cerveau ! Sommairement, le cerveau est composé de trois éléments principaux dont voici le schéma:
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Ces 3 éléments peuvent se représenter en 3  couches. La plus profonde est le cerveau reptilien ou nommé également R-Complex ; la couche intermédiaire est le système limbique et la couche supérieure du cerveau abrite le cortex ou néo-cortex.
 
Le cerveau reptilien : Il fait référence aux structures primitives du cerveau qui ressemblent à celles que possèdent les reptiles, c’est-à-dire le tronc cérébral qui comprend le bulbe rachidien et le mésencéphale. Le cerveau reptilien est responsable des instincts et des réflexes innés (la faim, la soif, le sexe, etc..) de cette manière, si vous avez une quelconque réaction instantanée face à une quelconque situation (exemple : sursaut de peur) c’est certainement le cerveau reptilien qui est à l’origine. C’est ce qu’on peut appeler les automatismes de notre corps.
 
Le système limbique : Il est considéré comme « le siège des émotions », c’est lui qui gère les expériences vécues, la mémoire, la peur, le plaisir, etc. Il contrôle aussi l’action de certaines glandes (exemple: adrénaline).
 
Le néo cortex : Il est impliqué par les sens, l’intelligence, la créativité, la solidarité. On y distingue deux parties: l’hémisphère gauche, et l’hémisphère droit. Ces deux hémisphères interprètent de manière différente une information. C’est lui qui gère le regard (regard à droite, regard à gauche) et qui sera utile par la suite pour aider à la découverte d’un mensonge.
 
Philippe Kaizen nous dis que "la réaction émotive à une action est effectuée par le cerveau limbique, c’est ultra rapide, instantané et l’on peut donc d’ores et déjà établir le fait suivant: ces réactions sont des réactions honnêtes et non fabriquées ainsi que son contraire: des réactions non instantanées ont de fortes chance d’être des réactions fabriquées.
 
Vous l’aurez compris, comment savoir si une personne vous ment ? Il faut susciter chez elle une émotion, une surprise qui la fera réagir de manière réflexe. Les joueurs de poker professionnels observent en particulier un évènement  précis dans le déroulement d’une partie: le moment où le joueur  va regarder ses cartes pour prendre connaissance du jeu qu’il a en main. Imaginez qu’il y a beaucoup d’argent en jeu et que le joueur en question découvre qu’il a une paire d’AS. Le système limbique ne va faire qu’un tour et il y a de fortes chances qu’une réaction réflexe se produise ! Même chose lorsqu’il découvre un jeu à jeter à la poubelle. Vous voyez le truc…
 
La manière la plus brutale de susciter une réaction est donc de poser une question très directe à la personne. Exemple: vous supposez que votre petit ami vous trompe, vous endormez sa vigilance  avec deux ou trois sujets de conversation banal puis vous lui dites d’une manière anodine « ah oui je voulais te demander: » puis vous le regardez droit dans les yeux en scrutant ses moindres réactions et en lui déclarant immédiatement après: « Est-ce que tu me trompes ? ». Si c’est le cas vous aurez droit à une panoplie de réactions physiques et si ce n’est pas le cas vous aurez aussi plusieurs types de réactions. Attention donc, vous conviendrez avec moi que cette méthode à des avantages et des inconvénients. Elle fait partie des armes dont vous serez équipé bientôt mais il en existe d’autre plus subtiles…"

19/09/2014
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Mensonge & Manipulation

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Cela arrive à tout âge et à toute personne : se faire rouler dans la farine comme un bleu ne fait jamais vraiment plaisir. Surtout dans les affaires parce qu’outre soi, nous sommes aussi responsables au regard de l’ensemble des agents de l’entreprise (équipes, performances, actionnaires…).
 
En matière de communication interpersonnelle, il existe des moyens intéressants pour savoir si quelqu’un ment ou tente une manipulation.
 
Comment savoir si quelqu’un ment, bluffe ou essaie de vous manipuler ? Ce dossier vous propose 8 astuces et conseils pratiques pour apprendre à découvrir le mensonge et la manipulation. Attention toutefois, ce n’est pas une science exacte. Ne les prenez donc pas comme argent comptant.
 
En revanche, en cas de doute ils constituent un excellent outil pour contrôler par d’autres moyens la véracité d’une information qui vous paraît mensongère, manipulatrice ou fallacieuse.
 
Détourner le regard lorsqu’on répond à une question
Il arrive que lorsqu’on pose une question, la personne regarde rapidement d’un côté ou de l’autre avant de répondre. Il faut savoir que ce geste peut trahir un menteur ou un manipulateur. En effet, lorsque vous regardez un droitier qui jette lui même un regard sur votre gauche, cela veut dire qu’il construit (invente) une image avant de vous répondre.
 
Pour simplifier, si vous dites à quelqu’un “imagines un éléphant rose“, s’il est droitier, cette personne devrait jeter un rapide regard sur votre gauche le temps de construire l’image. Une personne gauchère jetterait son regard sur votre droite.
 
Une personne se comporte de la même façon lorsqu’elle ment : comme lorsqu’on imagine un éléphant rose, cet interlocuteur doit construire, inventer une image mentale de son mensonge avant de parler.
 
Si cette personne disait la vérité, elle regarderait sur votre droite si elle est droitière, ou l’inverse si elle était gauchère.
En cas de doute sur une manifestation du mensonge ou de la manipulation de cette façon, il pourrait être prudent de tenter d’avoir plus de détails, tout en regardant comment se comporte la personne.
La personne répond par l’affirmative ou la négative puis vous répond exactement l’inverse
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en faisant attention il arrive que des personnes commencent leurs phrases par “Non, …” ou “Oui, …” (ou des mots signifiant l’affirmation ou la négation)… pour dire et expliquer exactement le contraire !
 
Cela arrive aussi par les signes de la tête : c’est à dire lorsque les mouvements de la tête ne reflètent pas la parole. La personne parle, et les mouvements de sa tête indiquent le contraire de ce qu’elle dit. “Je ne suis pas tout à fait d’accord, il me semble que ces prix soient trop élevés…” (tout en hochant la tête).
 
En cas de doute sur une manifestation du mensonge ou de la manipulation de cette façon, il serait prudent de redemander l’information d’une autre façon pour savoir si les deux réponses correspondent ainsi que les réactions.
 
Le communicant “botte en touche”, “noie le poisson”, élude ou détourne la conversation
Vous essayez d’obtenir une information et vous n’y arrivez pas. L’interlocuteur esquive avec une certaine habilité afin de ne pas vous communiquer l’information.
Vous donnez de l’information à quelqu’un, celui-ci vous communique des mots, mais au sortir de la communication vous n’avez pas appris quoi que ce soit, vous n’avez pas eu le sentiment de vous sentir “grandi” grâce au partage. Pour caricaturer, c’est comme si durant la discussion vous aviez écouté… un vent.
Les deux façons d’obtenir l’information sont dans ce cas soit de prendre la personne à son propre jeu c’est à dire tenter d’obtenir l’information de façon indirecte, soit de lui dire clairement qu’elle ne répond pas à la question.
 
La personne fait la moue un bref instant
Si l’interlocuteur avec qui vous discutez fait la moue un bref instant mais semble abonder dans votre sens, cela veut dire qu’en réalité, il n’est pas d’accord avec vous… lorsque cela arrive, il ne faut pas hésiter à tenter de savoir quelle est la raison de ce désaccord.
 
En effet, ce qui est paradoxal c’est que lorsque cela arrive, vous prenez inconsciemment en compte le désaccord de votre interlocuteur alors que ce qu’il dit va dans votre sens. Au final, la communication est mauvaise puisque la personne vous a menti et que vous ne savez pas pourquoi.
 
L’interlocuteur ne répond pas immédiatement, il laisse passer du temps avant de répondre
Mentir consomme énormément “d’énergie”. Lorsqu’une personne prend du temps avant de prendre la parole, cela peut vouloir dire qu’elle ment ou tente de manipuler. En effet, relater la vérité est quelque chose qui ne consomme pas beaucoup d’énergie et qui ne prend pas de temps.
Tandis que mentir prend de l’énergie par l’intermédiaire d’un processus mental en plusieurs temps :
 
Se remémorer la réalité que l’on doit masquer ou modifier,
Construire le mensonge,
Le replacer dans une modification de cette réalité,
Enrober ce mensonge afin de le rendre crédible, c’est à dire plus facilement “vendable”.
Une façon alternative et plus subtile de procéder à cette façon de mentir est de prendre la parole sans attendre, dire des banalités le temps d’imaginer le mensonge, et le noyer à l’intérieur de ses propos.
 
En cas de doute sur une manifestation du mensonge ou de la manipulation de cette façon, il serait prudent à nouveau de recentrer la discussion et de la relancer.
 
L’information communiquée est partielle : c’est le mensonge par omission
Un autre type de mensonge ou de manipulation beaucoup plus difficile à détecter est ce qu’on appelle le mensonge par omission. Familièrement, c’est cacher quelque chose. Le mensonge par omission consiste à dire partiellement la vérité (et le terme partiel est tout relatif) en omettant volontairement de dire d’autres informations moins agréables pour celui qui écoute.
 
En cas de doute sur une manifestation du mensonge ou de la manipulation de cette façon, la meilleure approche pour obtenir des informations est de demander des précisions à l’interlocuteur d’une façon plus ou moins directe… et voir ce qu’il se passe. Si vous vous rendez compte que la personne relate les mêmes informations, cela veut peut-être dire qu’elle veut cacher quelque chose.
 
La personne mélange les temps dans ses phrases
La simple conjugaison des phrases peut aider à détecter une manipulation, un bluff ou un mensonge. En effet, il arrive que des personnes préfèrent se blottir dans des évènements ou situations antérieurs au présent. Statut social, gloire passée, vie meilleure… ces évènements, ces situations représentent pour ces personnes une sorte de moi idéal qui s’avère à leurs yeux nettement meilleur qu’actuellement.
 
Il s’en suit un discours qui sur le plan temporel n’est pas structuré entre le présent et le passé. Du coup, on ne saisit pas très bien si la personne vit toujours dans ce contexte ou si elle est restée dans un contexte antérieur qui lui paraît idéal.
 
En conclusion
Détecter activement le bluff, le mensonge et la manipulation est difficile et nécessite de l’entraînement. Les conseils et les idées que je vous ai données ne sont pas des vérités absolues et sont à prendre avec des pincettes.
 
En revanche, ces astuces facilitent le repérage d’un éventuel mensonge ce qui donne plus de facilités pour essayer de savoir en cas de doute s’il s’agit d’un mensonge… ou non.

19/09/2014
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Décelez les mensonges grâce à la technique de l’allusion généralisée

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Maintenant, pour rentrer dans le vif du sujet, parlons de la technique de l’Allusion généralisée… C’est une technique très simple et efficace si elle est utilisée correctement. Elle consiste à recueillir des renseignements d’une manière discrète,  afin de disposer d’une bonne base d’éléments et de passer éventuellement à la vitesse supérieure. On peut dire de cette technique qu’elle permet de détecter les mensonges sans que votre interlocuteur s’en aperçoive.

L’allusion généralisée est l’art de parler du sujet sensible sans impliquer qui que ce soit, nous dit Philippe Kaizen(*). La personne qui est coupable, lorsqu’elle va entendre cette allusion va automatiquement la reporter sur elle, du moins pendant un moment le temps de la surprise. Vous connaissez tous à présent la chanson, qui dit surprise, dit réaction limbique, et qui dit réaction limbique dit réactions physiques (pour celles et ceux qui me lisent pour la première fois il ne s’agit pas réellement des paroles d’une chanson! ^^). Réactions spatiales du corps, réactions au niveau des gestes, des yeux, puis les paroles. Une fois l’effet de surprise passé, en fonction de la gravité du problème, et si vous insistez sur ce sujet , votre interlocuteur passera en mode post-limbique et sera dans un état de stress qui générera de nouvelles réactions.
Tout le contraire de la personne qui n’a rien à se reprocher et qui au contraire serait peut-être même ravie de parler du sujet avec vous. Cette personne là ne présentera pas de signes de stress.

Prenons l’exemple d’une femme qui soupçonne son mari de la tromper (je sais pas pourquoi cet exemple plaît toujours autant); celle-ci va aborder le sujet en utilisant l’allusion:

Tiens, l’autre jour je lisais un article qui disait que 57% des couples divorcés se sont séparés pour adultère (véridique). Tu te rends compte ?!

ou encore:

J’ai vu Mme X au marché hier; tu savais que son mari l’a trompait?

Vous avez compris le truc; une fois votre annonce faite, observez les réactions de votre interlocuteur, vous en déduirez alors s’il vous ment ou pas. Cette technique doit avoir comme base la surprise pour être le plus efficace possible afin de générer chez votre interlocuteur un maximum  de réactions. Donc, préparez bien le terrain, mettez votre interlocuteur dans une situation de détente puis attaquez à ce moment là.

Clair comme de l’eau de roche !

Je vous souhaite une bonne fin de vacances pour ceux qui y sont encore et une bonne reprise pour ceux qui travail déjà ! J’espère que vous aurez l’occasion de vous entraîner à la détection du mensonge; dans ce cas, BON COURAGE !

A très bientôt sur apprenti-profiler.blog4ever.com


19/09/2014
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Je sais que vous mentez

Je sais que vous mentez
 
Cette synthèse que j'ai faite a été réalisé grâce à un livre célèbre traduit en français, d'un auteur encore plus célèbre et éminent psychologue du 20 ième siècle. Il s'agit de Paul Ekman, chercheur et inventeur, c'est grâce à lui que la série Lie to me existe. En effets, tous les épisodes (quasi) sont basée sur ses recherches et découvertes. 
A très bientôt pour la suite; bonne lecture
CHAPITRE I : Mensonge, fuite et indice de tromperie
Rouge = ==> Synthèse de Chapitre importante 
 
 
J'ai défini le mensonge comme une décision délibérée de tromper une cible sans mise en garde préalable de cette intention. Il existe deux formes principales de mensonge :
  • la dissimulation, qui laisse de côté des informations vraies 
  • la feinte, qui présente des informations fausses comme si elles étaient vraies. Les autres manières de mentir comprennent
  • la diversion, qui consiste à reconnaître une émotion en mentant sur sa cause réelle 
  • énoncer une vérité faussement, ou avouer la vérité avec une telle exagération ou un tel humour que la cible demeure sous-informée ou trompée 
  • la semi-dissimulation,(mensonge par omission) qui consiste à avouer seulement une partie de la vérité afin de détourner l'intérêt de la cible sur ce qui reste dissimulé
  • et enfin l'esquive, par inférence incorrecte, qui consiste à formuler la vérité d'une manière signifiant l'opposé de ce que est dit.
Il existe deux sortes d'indices de tromperie :
  • la fuite, quand le menteur révèle par mégarde la vérité, et
  • l'indice de tromperie proprement dit, quand le comportement du menteur révèle seulement que ses propos sont faux. Fuite et indices de tromperie ont des erreurs. Mais des erreurs ne se produisent pas toujours. Les mensonges n'échouent pas systématiquement.

CHAPITRE II : Pourquoi le mensonge peut échouer

 

L'appréhension de détection est la plus intense quand :
  • la cible à la réputation d'être difficile à duper
  • la cible est d'emblée soupçonneuse 
  • le menteur est peu entraîné et n'a encore jamais réussi
  • le menteur est particulièrement sensible à la peur d'être démasqué
  • les enjeux sont élevés 
  • une récompense et un châtiment est en jeu ou bien seul un châtiment
  • le châtiment du flagrant délit de mensonge est important, ou bien le châtiment de ce que le mensonge couvre est si élevé qu'il n'y a aucun intérêt à avouer 
  • la cible ne bénéficie aucunement du mensonge.
La culpabilité de tromperie est la plus intense quand :
  • la cible n'est pas consentante 
  • la tromperie est totalement égoïste, la cible ne tire aucun bénéfice du mensonge et perds au moins l'équivalent de ce que le menteur gagne 
  • la tromperie n'est pas autorisée et la situation fait partie de celles ou l’honnêteté est permise 
  • le menteur a un lien personnel avec la cible 
  • la cible ne peut pas être facilement taxée de malveillance ou de naïveté
  • il y a des raisons pour que la cible s'attende à être trompée;tout au contraire, le menteur a agi pour gagner sa confiance.
 
Le plaisir de duper est le plus intense quand :
  • la cible représente un défi, a la réputation d'être difficile à berner
  • le mensonge est un défi à cause de ce qui doit être soit dissimulé soit inventé
  • des tiers assistent au mensonge ou en sont informés et apprécient l'habileté du menteur.
Le menteur ne dirige et ne maîtrise généralement pas la totalité de son comportement. Il en serait probablement incapable, même s'il le voulait. Car quand une émotion apparaît des muscles faciaux commencent à réagir involontairement.
 
Et même s'il n'y aucune erreur dans les paroles, c'est l'écart entre le message verbal et ce que révèle l’intonation, la gestuelle et le visage (micro-expressions) qui trahi souvent un mensonge.
 
CHAPITRE III : Détection de tromperie dans les paroles, voix ou les indices corporels 
 
Les lapsus verbaux
Freud démontra comment les erreurs du quotidien, comme les lapsus verbaux, l'oubli de noms familiers et les erreurs de lecture ou d’écriture ne sont pas des accidents mais des événements significatifs révélant des conflits psychologiques intérieurs. Le lapsus verbal dit-il est «  quelque chose que l'on ne veut pas dire : il devient un acte d’auto trahison » .
 
Les tirades est une autre manière par laquelle le menteur se trahit en parlant. Elle est différente du lapsus verbal. Cette faute ne se résume pas à un mot ou deux. Là, la langue ne fourche pas, elle débite. Le menteur est emporté par l'émotion et ne se rend compte que trop tard de ce qu'il révèle.
Les détecteurs sont susceptible de risque Brokaw quand il ne connaissent pas le suspect, qu'ils ne sont pas familiers des particularités de son comportement habituel (Latence)
 
La voix
Le terme « voix » recouvre tout ce qui constitue la parole, à l’exception des mots eux-mêmes. L'indice de tromperie le plus courant est la pause. Elle peut être trop longue ou trop fréquente. Hésiter avant de prendre la parole, notamment quand il s'agit de répondre à une question, peut éveiller le soupçon. Les erreurs, répétition, bégaiement.Une voix plus aiguë et plus forte, et un débit rapide surviennent avec la peur, la colère et peut-être de l'excitation. La voix subit les modifications inverses avec la tristesse et peut-être la culpabilité.
 
De la même façon qu'un signe vocal d'émotion comme la tonalité n'indique pas nécessairement un mensonge, l'absence de tout signe vocal d'émotion ne signale pas obligatoirement la sincérité. Pour le détecteurs, le problème est que l'innocent est parfois tout aussi ému que le menteur. Bien évidemment c'est le stress qu'ils détectent dans la voix, et non le mensonge. Il n'existe dans la voix aucun signe de mensonge proprement dit, mais seulement des signes d'émotions négatives.
 
 
Les lapsus emblématiques : les emblèmes 
Le haussement d'épaule et le doigt d'honneur sont deux exemples d'actions que l'on appelle emblèmes, pour les distinguer de tout autres geste exécuté par l'individu.
Les emblèmes ont un sens très précis, connu de tous au sein d'un groupe culturel.
 
Tout le monde sait que le doigt d'honneur signifie « va te faire voir » et que le haussement d'épaule se traduit par « je ne sais pas » ou « quelle importance ? ». Il peuvent être utilisés à la place d'une phrase, il en existe une soixantaine.
 
Tout comme il y a des lapsus dans la parole, il y en a dans la gestuelle : des lapsus emblématiques qui fuitent une information que l'individu essaie de dissimuler.
Il y a deux manières de déterminer qu'un emblème est un lapsus révélant une information dissimulée et non un message volontaire. Premièrement, lorsque seulement une partie de l'emblème est exécutée et non le geste entier. Le haussement d'épaule peut se faire avec les deux, en tournant les paumes vers le haut, en haussant les deux sourcils, en écarquillant les yeux et en incurvant les lèvres, ou en combinant tous ces gestes, et parfois en penchant la tête sur le côté. Un emblème fuité, seul un élément sera montré et même seulement esquissé. 
 
Les illustrants
Les illustrants, ils sont souvent confondus avec les lapsus emblématiques, mais il est important de bien faire la distinction, car la fréquence de ces deux types de gestes est différentes quand l'individu ment : alors que les lapsus emblématique augmentent, les illustrants diminuent généralement. Les illustrants sont appelés ainsi parce qu'ils illustrent ce qui est dit. L'indice de tromperie est la diminution du nombre d'illustrants utilisés par rapport à l'habitude.
 
Les manipulatoires, ne sont pas des indices fiables de tromperie parce qu'il peuvent indiquer des états opposés : malaise et détente.
 
  • Le discours indirect, pauses, erreurs de langage et la diminution des illustrants peuvent indiquer que le locuteur fait très attention à ses paroles, n'ayant pas préparé son discours. Ce sont des signes de n'importe quelle émotions négative. Une diminution des illustrants se produit également en cas d'ennui.
  • Les modifications du rythmes respiratoire, de la transpiration, la déglutition, fréquente et la bouche sèche sont des signes d'émotions intenses et il est possible qu'à l'avenir on puisse déterminer lesquelles en fonction de ces changements.

 CHAPITRE IV : Les indices faciaux de tromperie 

Are you ready?

 Le visage est une source d'informations précieuse pour le détecteur, car il peut mentir et dire la vérité et souvent, les deux en même temps.

  

 

Le visage contient souvent deux messages, ce que le menteur veut montrer et ce qu'il cherche à dissimuler...

 

A Suivre  les amis        to be continue .....

 

 

 

 https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://excerpts.numilog.com/books/9782290033227.pdf&ved=2ahUKEwjsqbHQ66roAhUJzKQKHYiLBgIQFjAAegQIARAB&usg=AOvVaw1QWUMxyCBSkfdtqhlfPYu7&cshid=1584768820483

Télécharger tous simplement ce livre. 

Pour pouvoir le lire à tout moment à tout envie dans n'importe quel endroit. 

Essayer de faire des synthèses de chaques chapitre afin de mieux appréhender les bases et les comprendres. 

Voici d'autres livres intéressants 

Comment vous faire des amis à l'ère numérique de Dale Carnegie 

Comment vous faire des amis de Dale Carnegie 

L'art de la guerre 

Ces gestes qui vous trahissent de Joseph Messinger 

Réfléchissez et devenez riche  de Napoléon Nillhttps://cdn.frenchpdf.com/wp/2020/01/07054512/reflechissez-et-devenez-riche.pdf

https://drive.google.com/file/d/1-h4NYiqufvoxuBDwpAlnrVveXVptiX3w/view?usp=drivesdk

utiliser votre à bon escient.... 

 

 Paul Ekman Je sais que vous mentez !

L’art de détecter ceux qui vous trompent Maison d’édition : J’ai lu Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pascal Loubet ©

 

2009, 2001, 1992, 1985, Paul Ekman © Éditions Michel Lafon, 2010, pour la traduction française ISBN numérique : 9782290163436 ISBN du pdf web : 9782290163443 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 9782290033227 Ce document numérique a été réalisé par PCA 3 4 Présentation de l’éditeur : Expert renommé des émotions et du langage non verbal, Paul Ekman révèle les résultats de ses recherches les plus récentes sur les mensonges et les méthodes pour les débusquer. Il dévoile ici les indices de comportement et les signaux qui permettent de détecter avec exactitude mensonge, duperie, tromperie et bluff. Ses découvertes sont utilisées par la CIA et le FBI.

 

 

Devenez aussi habile qu’un agent des services secrets en reconnaissant les mots, les émotions, les intonations, les gestes et les micro-expressions que les menteurs et les manipulateurs émettent sans le savoir. Couverture : Camille Baudoin © Éditions J’ai lu - Photographie : © iStockphoto Biographie de l’auteur : Paul Ekman est un éminent psychologue, pionnier et expert dans l’étude des émotions et du langage non verbal. Formateur au FBI, il intervient également en tant que conseiller scientifique pour la série télévisée Lie to me. Je sais que vous mentez est devenu un classique de la détection du mensonge.

 

5

INTRODUCTION

 

 

Nous sommes le 15 septembre 1938 et l’une des plus infâmes et fatales tromperies est sur le point de se produire. C’est la première entrevue d’Adolf Hitler, chancelier d’Allemagne, et de Neville Chamberlain, Premier ministre de Grande-Bretagne. Le monde entier attend, conscient que c’est peut-être là le dernier espoir d’éviter une Seconde Guerre mondiale. Six mois plus tôt, l’armée allemande a envahi l’Autriche et l’a annexée à l’Allemagne. L’Angleterre et la France se sont contentées de protester. Le 12 septembre, trois jours avant l’entrevue avec Chamberlain, Hitler exige qu’une partie de la Tchécoslovaquie soit annexée à l’Allemagne et incite le pays aux émeutes.

 

Il a déjà mobilisé en secret l’armée pour attaquer la Tchécoslovaquie, mais ses hommes ne seront prêts qu’à la fin du mois. S’il peut empêcher les Tchèques de mobiliser les leurs pendant quelques semaines de plus, Hitler aura l’avantage de la surprise en attaquant. Pour gagner du temps,

 

il dissimule ses projets à Chamberlain, lui donnant sa parole que la paix sera préservée si les Tchèques accèdent à ses exigences. Chamberlain se laisse prendre : il tente de convaincre les Tchèques de ne pas mobiliser leur armée tant qu’il reste une possibilité de négocier avec Hitler.

 

Après son entrevue avec le chancelier allemand, Chamberlain écrit à sa sœur : « Malgré la dureté impitoyable que j’ai vue sur son visage, j’ai eu l’impression que c’était un homme en qui on pouvait avoir confiance une fois qu’il avait donné sa parole 1 . »

Défendant sa politique cinq jours plus tard dans un discours au Parlement, Chamberlain explique que ce tête-à-tête avec Hitler lui permet d’affirmer qu’il « est sincère 2 ».

 

Quand j’ai commencé à étudier le mensonge il y a quinze ans, je ne me doutais pas de la pertinence qu’aurait mon travail concernant cet épisode de l’histoire. Je pensais qu’il serait seulement utile à ceux qui travaillent avec des patients atteints de maladies mentales. J’ai entrepris cette étude du mensonge quand les praticiens auxquels j’enseignais mes découvertes me demandèrent si les comportements non verbaux pouvaient révéler qu’un patient mentait 3 .

 

Un patient qui ment ne constitue généralement pas un problème, mais cela en devient un quand, admis à l’hôpital pour une tentative de suicide, il affirme se sentir beaucoup mieux. Chaque médecin redoute d’être trompé par un patient qui se suicide une fois autorisé à quitter l’hôpital.

 

Cette inquiétude soulevait une question tout à fait fondamentale sur la communication humaine : l’individu peut-il, même lorsqu’il est particulièrement bouleversé, maîtriser les messages qu’il émet, ou bien son comportement non verbal trahit-il ce que ses paroles dissimulent ? J’ai recherché des exemples de mensonges dans les films de mes entretiens avec des internés en hôpital psychiatrique. Je les avais enregistrés dans un tout autre but – isoler expressions et gestes qui pouvaient aider à diagnostiquer la gravité et le type de trouble mental. Maintenant que je me concentrais sur la tromperie, il me sembla voir des signes 6 de mensonges dans de nombreux films. Le problème était d’en obtenir la certitude. Un seul cas ne laissait aucun doute – à cause de ce qui s’était passé après l’entretien. Mary était une femme au foyer de quarante-deux ans.

 

La dernière de ses trois tentatives de suicide était très sérieuse. C’était seulement par hasard qu’on l’avait trouvée avant qu’elle ne succombe à une overdose de médicaments. Son passé n’était guère différent de celui de nombreuses autres femmes traversant la crise de la quarantaine. Les enfants avaient grandi et n’avaient plus besoin d’elle. Son mari était préoccupé par son travail. Mary se sentait inutile.

Lorsqu’elle fut admise à l’hôpital, elle n’était déjà plus capable de s’occuper de sa maison, dormait mal et passait la plupart du temps à pleurer.

 

 

Durant les trois premières semaines de son séjour, elle reçut un traitement médical et suivit une thérapie de groupe. Elle semblait très bien y réagir : son humeur s’éclaira et elle ne parlait plus de se suicider. Lors de l’un des entretiens filmés, Mary déclara au médecin qu’elle se sentait beaucoup mieux et demanda à bénéficier d’une sortie pour le week-end. Avant de recevoir cette autorisation, elle avoua avoir menti pour l’obtenir. Elle voulait toujours se suicider.

Au bout de trois mois de plus à l’hôpital, l’état de Mary s’améliora réellement, mais elle fit une rechute un an plus tard. Par la suite, elle sortit de l’hôpital et resta apparemment en bonne santé pendant plusieurs années.

L’entretien filmé avec Mary dupa la plupart des psychiatres et psychologues novices et même beaucoup des plus expérimentés auxquels je le montrai 4 .

Nous l’étudiâmes durant des heures en le repassant maintes et maintes fois, examinant chaque geste et expression au ralenti pour tenter de déceler le moindre signe de mensonge.

 

Lors d’une courte pause avant que Mary ne réponde à une question du médecin sur ses projets d’avenir, nous vîmes au ralenti une brève expression faciale de désespoir, si fugace que nous l’avions manquée jusque-là. Une fois que nous eûmes l’idée que des sentiments dissimulés pouvaient être visibles lors de ces très fugitives microexpressions, nous cherchâmes et nous en trouvâmes de nombreuses autres, systématiquement couvertes immédiatement après par un sourire. Nous découvrîmes également un microgeste. En disant au médecin à quel point elle gérait bien ses difficultés, Mary avait parfois un début de haussement d’épaules – une esquisse, inachevée. Par exemple, sa main tournait légèrement sur elle-même, ou bien ses mains restaient immobiles, mais elle haussait brièvement une épaule.

 

Il nous sembla voir d’autres indices non verbaux de mensonge, mais étions-nous certains de les avoir découverts ou bien les imaginions-nous simplement ? Impossible de trancher. Un comportement parfaitement innocent semble suspect lorsqu’on sait que quelqu’un a menti. Seule une mesure objective, non influencée par le fait de savoir si le sujet ment ou non, pouvait confirmer nos découvertes. En outre, beaucoup de sujets devaient être étudiés afin que nous soyons certains que les indices que nous décelions n’étaient pas propres à chacun. Ce serait plus simple pour celui qui essaie de déceler un mensonge si les comportements qui le trahissent chez un individu donné étaient également présents chez un autre dans les mêmes circonstances ; mais les signes de mensonge étaient peut-être spécifiques à chaque individu. Nous conçûmes une 7 expérience modelée sur le mensonge de Mary, dans laquelle les sujets seraient fortement motivés pour dissimuler des émotions négatives intenses éprouvées au moment de prononcer le mensonge.

 

Alors qu’ils regardaient un film très dérangeant montrant des scènes d’interventions chirurgicales sanglantes, nos sujets devaient cacher leurs véritables sentiments (désarroi, douleur, répugnance), et convaincre un interlocuteur (qui ne voyait pas le film) qu’ils étaient en train de regarder un documentaire sur de belles fleurs. Moins d’un an passa – nous étions encore au début de nos expériences – lorsque je fus contacté par des gens qui s’intéressaient à un tout autre type de mensonge. Mes découvertes et méthodes pouvaient-elles être utilisées pour confondre des Américains suspectés d’être des espions ?

Au cours des années, à mesure que nos découvertes sur les indices du mensonge entre patients et médecins paraissaient dans des publications médicales, ces contacts se firent de plus en plus nombreux. Était-il possible de former les agents de sécurité des cabinets ministériels afin qu’ils puissent repérer un terroriste ou un assassin d’après son comportement ou ses gestes ? Pouvions-nous montrer au FBI comment entraîner des officiers de police à mieux discerner le mensonge chez un suspect ? Je ne fus plus surpris quand on me demanda si je pouvais aider des négociateurs à déceler les mensonges de leurs interlocuteurs ou si j’étais en mesure de dire d’après des photos de Patricia Hearst, prises alors qu’elle participait au hold-up d’une banque, si elle était consentante ou forcée.

 

Enfin, l’intérêt devint international. J’ai été contacté par des représentants de deux pays amis des États-Unis et, après une conférence en Union soviétique, par des officiels se présentant comme les envoyés d’un « institut électrique » chargé d’interrogatoires. Je ne fus guère flatté de cet intérêt, craignant que mes découvertes ne soient utilisées à mauvais escient, acceptées sans critique et utilisées avec un peu trop de zèle. J’estimais que les indices non verbaux du mensonge ne seraient pas souvent évidents dans la plupart des tromperies criminelles, politiques ou diplomatiques. Ce n’était qu’une intuition.

J’étais incapable d’expliquer pourquoi quand on me posait la question.

Pour cela, je devais apprendre la raison pour laquelle les gens commettent parfois des erreurs quand ils mentent.

Les mensonges ne connaissent pas toujours un échec.

Certains sont prononcés sans difficulté. Les indices comportementaux de tromperie – une expression faciale qui dure trop longtemps, un changement momentané d’intonation – ne se produisent pas systématiquement. Il se peut qu’aucun signe ne trahisse le menteur.

Pourtant, je savais qu’il y avait des indices de tromperie.

Les menteurs les plus déterminés peuvent être trahis par leur comportement. Savoir quand un mensonge atteint son but et quand il échoue, comment repérer les indices de tromperie et quand il est inutile d’essayer, impliquait de comprendre les différents types de menteurs, de mensonges et de détecteurs (c’est-à-dire les individus qui parviennent à percevoir le mensonge).

Le mensonge de Hitler à Chamberlain et celui de Mary à son médecin étaient tous les deux des tromperies mortelles, dont la vie même était l’enjeu. Ces deux individus dissimulaient leurs projets et affichèrent au moment de mentir des émotions qu’ils 8 n’éprouvaient pas. Mais les différences entre leurs mensonges sont énormes.

 

Hitler est un exemple de ce que je qualifierai plus loin de menteur-né. Et outre cette faculté innée, il avait une pratique bien plus accomplie de la tromperie que Mary. Hitler avait également l’avantage de tromper quelqu’un qui désirait être dupé. Chamberlain était une victime consentante qui désirait croire au mensonge de Hitler, croire qu’il n’envisageait pas une guerre à condition que les frontières de la Tchécoslovaquie soient redessinées selon ses exigences.

 

 

Sinon, Chamberlain aurait été forcé d’admettre que sa politique d’apaisement avait échoué et même affaibli son pays. Dans un domaine proche, la politologue Roberta Wohlstetter parvint à cette conclusion dans son analyse du mensonge dans la course à l’armement. À propos des violations allemandes du traité naval anglo-allemand de 1935, elle déclarait : « Le trompeur et le trompé ont chacun à gagner en laissant l’erreur persister. L’un et l’autre ont besoin de préserver l’illusion que l’accord n’a pas été violé.

La crainte anglaise d’une course à l’armement, si habilement manipulée par Hitler, mena au traité naval, dans lequel les Anglais (sans consulter les Français ni les Italiens) révisèrent le Traité de Versailles ; et cette même crainte anglaise empêcha Londres de reconnaître ou même percevoir les violations de ce nouvel accord 5 . »

Dans de nombreux cas de tromperie, la victime ne tient pas compte des erreurs du menteur, elle accorde le bénéfice du doute à son comportement ambigu, contribuant à consolider le mensonge afin d’éviter les terribles conséquences de sa découverte.

En ne reconnaissant pas les indices d’une liaison de son épouse, un mari peut au moins retarder son humiliation et la possibilité d’un divorce. Même s’il admet implicitement l’infidélité, il se peut qu’il renonce à dévoiler les mensonges de sa femme pour ne pas avoir à convenir devant elle de sa tromperie ou pour éviter une dispute.

 

Tant que rien n’est dit, il peut encore avoir l’espoir, si ténu soit-il, qu’elle n’ait peut-être pas de liaison.

 

Toutes les victimes ne sont pas aussi consentantes.

Parfois, il n’y a rien à gagner à ignorer délibérément un mensonge.

Certains détecteurs ne remportent la victoire qu’en dévoilant un mensonge parce qu’ils n’ont rien à perdre dans cette action. Le banquier qui accorde un crédit et le policier ne perdent que s’ils ont un enjeu, et tous deux savent très bien confondre le menteur et le sincère. Souvent, la victime gagne et perd en étant trompée ou en dévoilant le mensonge, mais l’équilibre n’est pas toujours aussi net. Pour le médecin de Mary, l’enjeu était mineur s’il croyait à son mensonge : si elle n’était plus déprimée, il aurait le mérite de l’avoir guérie.

 

Dans le cas contraire, la perte était minime pour lui. Contrairement à Chamberlain, la carrière tout entière du médecin n’était pas dans la balance ; il ne s’était pas publiquement engagé, malgré le défi, à un jugement qui pouvait se révéler erroné si le mensonge de sa patiente était découvert. Il avait beaucoup plus à perdre en se laissant abuser qu’il n’avait à gagner si elle ne mentait pas. En 1938, il était trop tard pour Chamberlain. Si Hitler n’était pas digne de confiance, s’il n’y avait aucun autre moyen d’arrêter son offensive qu’une guerre, alors la carrière de 9 Chamberlain était terminée, et la guerre qu’il pensait pouvoir empêcher allait commencer.

 

En dehors des motifs que pouvait avoir Chamberlain de croire Hitler, le mensonge de ce dernier avait des probabilités de réussir, car aucune émotion intense ne devait être dissimulée. La plupart des mensonges échouent parce que l’indice d’une émotion cachée apparaît.

Plus l’émotion impliquée dans le mensonge est intense, plus le nombre d’émotions différentes est élevé, plus le mensonge risque d’être trahi par une « fuite » comportementale.

Hitler n’éprouvait certainement aucune culpabilité, émotion qui est doublement problématique pour le menteur : non seulement des signes de culpabilité peuvent fuiter, mais le tourment qu’elle engendre peut conduire le menteur à commettre des erreurs afin d’être pris en flagrant délit. Hitler ne pouvait éprouver de culpabilité en mentant au représentant du pays qui avait imposé depuis son enfance une défaite militaire humiliante à l’Allemagne. Contrairement à Mary, Hitler ne partageait aucune valeur sociale importante avec sa victime : il ne la respectait ni ne l’admirait. Mary devait dissimuler des émotions intenses pour que son mensonge réussisse.

 

 

Elle devait réprimer le désespoir et l’angoisse motivant ses envies suicidaires. Et Mary avait toutes les raisons de se sentir coupable de mentir à ses médecins : elle les aimait, les admirait et savait qu’ils voulaient seulement l’aider. Pour toutes ces raisons et d’autres encore, il est généralement bien plus facile de repérer des indices comportementaux de tromperie chez un patient suicidaire ou un conjoint volage que chez un diplomate ou un agent double.

 

 

 

Mais diplomates, criminels ou espions ne sont pas tous des menteurs accomplis.

Ils commettent parfois des erreurs. Les analyses que j’ai faites permettent d’évaluer les possibilités de repérer les indices de tromperie ou de fausseté. Le message que j’adresse à ceux qui désirent détecter les mensonges politiques ou criminels n’est pas d’ignorer les indices comportementaux, mais d’être plus prudent et conscient des limites et opportunités.

 

Si certains indices comportementaux de tromperie sont avérés, ils ne sont pas définitivement attestés. Mes analyses des motifs et techniques de mensonge et des circonstances d’échec des mensonges corroborent les preuves apportées par les expériences sur le mensonge des récits historiques et de la fiction. Mais nous n’avons pas encore eu l’occasion de voir si ces théories passent l’épreuve d’expériences supplémentaires et du débat critique. J’ai décidé de me lancer dans l’écriture de ce livre, parce que ceux qui essaient de détecter les menteurs n’ont pas ce temps. Lorsque les enjeux d’une erreur sont élevés, il existe déjà des tentatives pour repérer les indices non verbaux de tromperie. Des « experts » non familiers de toutes les preuves et de tous les arguments proposent leurs services comme détecteurs de mensonges lors de la sélection de jurés et d’entretiens d’embauche. Certains policiers et opérateurs de détecteurs électroniques dits « détecteurs de mensonges » sont formés à repérer les indices non verbaux de tromperie. La moitié de l’enseignement qui leur est proposé est fausse. Les 10 douaniers reçoivent une formation spéciale pour repérer les indices non verbaux des contrebandiers. J’ai appris que mon travail était utilisé dans cette formation, mais mes demandes répétées pour examiner les manuels ont été vaines. Il est également impossible de savoir ce que font les officines de renseignement, car leur travail est secret. Je sais qu’elles sont intéressées par mes recherches, car le ministère de la Défense m’a invité il y a quelques années à venir expliquer ce que je considérais comme des possibilités et des risques. Depuis lors, j’ai entendu dire que le travail était en route et appris les noms de certaines des personnes qui en étaient chargées. Tantôt les courriers que je leur ai adressés sont restés sans réponse, tantôt il m’a été répondu qu’aucune information ne pouvait m’être donnée. Je suis inquiet à propos de ces « experts » qui mènent leurs activités à l’abri de l’œil du public et des critiques de la communauté scientifique. Cet ouvrage leur fera clairement comprendre, à eux comme à ceux pour qui ils travaillent, ce que je considère comme des possibilités et des risques. Le but de cet ouvrage n’est pas de s’adresser uniquement à ceux qui sont concernés par les mensonges aux conséquences fatales. Je suis désormais convaincu qu’étudier comment et quand les individus mentent et disent la vérité peut permettre de comprendre beaucoup d’interactions humaines. Rares sont celles qui n’impliquent pas la tromperie ou au moins sa possibilité. Les parents mentent à leurs enfants sur le sexe afin de leur éviter d’apprendre des choses pour lesquelles ils ne les estiment pas prêts ; tout comme leurs enfants, une fois adolescents, dissimuleront leurs aventures sexuelles parce que les parents ne les comprendraient pas. Les mensonges existent entre amis (mais votre meilleur ami ne vous le dira pas), professeur et élève, médecin et patient, mari et femme, témoin et jurés, avocat et client, vendeur et acheteur. Mentir est une caractéristique si centrale de l’existence que mieux la comprendre éclaire presque toutes les affaires humaines. Certains frémiront face à une telle déclaration, car ils considèrent le mensonge comme répréhensible. Je ne partage pas cette opinion. Il est trop simple de décréter que personne ne doit jamais mentir dans aucune relation ; pas plus que je ne prescrirais de démasquer tous les mensonges. La chroniqueuse Ann Landers voit juste lorsqu’elle déclare à ses lecteurs que la vérité peut être utilisée comme un coup de masse et infliger des informations cruelles. Les mensonges peuvent être tout aussi cruels, mais pas tous. Certains mensonges, beaucoup moins nombreux que ne le prétendent leurs auteurs, sont mus par l’altruisme. Certaines relations sociales sont appréciées en raison des mythes qu’elles préservent. Mais aucun menteur ne doit trop facilement présumer que sa victime désire être trompée. Et aucun détecteur ne doit trop facilement s’arroger le droit de mettre au jour tous les mensonges. Certains mensonges sont inoffensifs, et sont même parfois une preuve d’humanité. En révéler certains peut humilier la victime ou un tiers. 11 Mais tout cela doit être étudié plus en détail et une fois que de nombreuses autres questions auront été discutées. Pour commencer, il convient de définir le mensonge, d’en décrire les deux formes fondamentales et de découvrir les deux espèces d’indices de tromperie. 12 Chapitre 1 Mensonge, fuites et indices de tromperie Huit ans après avoir démissionné de ses fonctions de président, Richard Nixon niait avoir menti, mais reconnaissait que, tout comme d’autres politiciens, il avait dissimulé. Selon lui, c’est nécessaire pour obtenir et conserver un poste de gouvernement. « On ne peut pas dire ce que l’on pense d’Untel ou Untel parce qu’il se peut qu’on ait à l’utiliser. On ne peut formuler son opinion sur les dirigeants du monde parce qu’il est possible que l’on ait affaire à eux plus tard 1 . » Nixon n’est pas le seul à éviter le terme « mensonge » quand il est justifié de ne pas dire la vérité. Les comportements peuvent changer. Jody Powell, ancien secrétaire de presse du président Carter, justifie certains mensonges : « Depuis le jour où le premier journaliste posa la première question difficile à un représentant d’un gouvernement, savoir si un gouvernement a le droit de mentir a toujours fait l’objet d’un débat. Il en a le droit.

 

 

Dans certaines circonstances, le gouvernement n’en a pas seulement le droit, mais l’obligation. En quatre ans à la Maison-Blanche, j’ai connu deux fois ces circonstances. » Il décrit ensuite un incident durant lequel il dut mentir pour éviter « une grande peine et beaucoup de gêne à un grand nombre d’innocents ». L’autre mensonge qu’il reconnaît consista à dissimuler les projets de sauvetage des otages américains en Iran. Ma définition du mensonge comprend le fait de dire des choses fausses ou de dissimuler des choses vraies. Il est facile de qualifier de menteur un individu s’il est détesté, mais très difficile d’utiliser ce terme ou des euphémismes s’il est apprécié ou admiré. Bien des années avant le Watergate, Nixon était l’incarnation même du menteur pour ses opposants démocrates – « Achèteriez-vous une voiture d’occasion à cet homme ? » – alors que son talent pour la dissimulation ou l’habillage des faits était loué par ses admirateurs républicains comme une preuve de savoir-faire politique. Cependant, ces questions n’ont pas de pertinence vis-à-vis de ma définition du mensonge ou de la tromperie (j’utilise ces deux termes de manière interchangeable). Beaucoup d’individus – par exemple, ceux qui fournissent à leur insu une fausse information – ne sont pas dignes de foi sans pour autant mentir. Une femme qui souffre de l’illusion paranoïaque d’être Marie Madeleine n’est pas une menteuse, même si ce qu’elle prétend est faux. Donner à un client un mauvais conseil en matière d’investissement n’est pas un mensonge, sauf si le conseiller sait qu’il l’est quand il le donne. Quelqu’un dont l’apparence véhicule une fausse impression ne ment pas nécessairement. La mante religieuse qui se camoufle pour ressembler à une feuille ne ment pas, pas plus qu’un homme dont le front haut suggère une intelligence plus grande qu’il n’en possède. Il est d’ailleurs intéressant d’étudier l’origine de tels stéréotypes. Le front haut indique probablement, bien que de manière erronée, un gros cerveau. Le stéréotype des lèvres minces indiquant la cruauté se fonde sur le fait avéré que les lèvres se rétractent 13 en cas de colère. L’erreur consiste à se fonder sur le signe d’un état émotionnel temporaire pour juger d’un trait de personnalité.

 

Un tel jugement implique que les individus aux lèvres minces sont ainsi parce qu’ils les serrent en permanence sous l’effet de la colère ; mais des lèvres minces peuvent également être un trait physique héréditaire et permanent.

 

Le stéréotype des lèvres épaisses indiquant la sensualité provient de la même manière du fait exact que les lèvres s’épaississent sous l’afflux de sang lors de l’excitation sexuelle, et débouche sur un jugement erroné concernant une caractéristique permanente ; mais là aussi, des lèvres épaisses peuvent être un trait facial naturel 2 .

 

Un menteur peut décider de ne pas mentir. Fourvoyer la victime est délibéré : le menteur a l’intention de l’induire en erreur. Le mensonge peut ou non être justifié, selon le menteur ou la communauté.

 

Mais l’individu qui ment choisit de mentir ou de dire la vérité et connaît la différence entre les deux 3 .

 

Les menteurs pathologiques, qui savent qu’ils mentent, mais ne peuvent pas maîtriser ce comportement ne correspondent pas à mon critère.

Pas plus que les gens qui ignorent qu’ils mentent, ceux que l’on dit être victimes de leurs propres illusions. Si je ne discute pas l’existence de menteurs pathologiques et d’individus victimes de leurs illusions, elle est cependant difficile à établir. En tout cas, ce n’est pas la parole du menteur qui nous permet de le prouver : une fois découvert, n’importe quel menteur peut prétendre souffrir de cette pathologie pour encourir un moindre châtiment. Un menteur, au bout d’un certain temps, peut se mettre à croire à ses propres mensonges. Dans ce cas, ce n’est plus un menteur, et ses mensonges seront plus difficiles à détecter. Un incident dans la vie de Mussolini montre par exemple que l’on ne tire pas toujours des bénéfices en finissant par croire à ses propres mensonges :

 

Chapitre : I 

Chapitre 1 Mensonge, fuites et indices de tromperie

 

 

« En 1938, la composition des divisions de l’armée [italienne] avait été réduite de trois à deux régiments. Cela plaisait à Mussolini, parce que cela lui permettait de dire que le fascisme avait soixante divisions au lieu de la moitié, mais le changement provoqua une énorme désorganisation au moment même où la guerre commençait ; et comme il avait oublié la mesure qu’il avait prise, plusieurs années plus tard, il commit une tragique erreur de calcul en surestimant ses forces. Il semble avoir trompé peu de gens en dehors de luimême 4 . » Ce n’est pas seulement le menteur qui doit être pris en considération dans la définition du mensonge, mais également sa cible. Dans un mensonge, la cible n’a pas demandé à être trompée, pas plus que le menteur ne l’a prévenue de son intention de le faire. Il serait bizarre de qualifier les acteurs de menteurs. Leur public accepte volontiers d’être trompé, pendant un certain laps de temps. Contrairement à l’escroc, l’acteur joue son rôle, en prévenant qu’il s’agit d’une attitude adoptée pendant une période donnée. Un client ne serait pas disposé à suivre sciemment les conseils d’un courtier qui déclare 14 fournir une information convaincante mais fausse. Il n’y aurait pas de mensonge si la patiente psychiatrique Mary avait dit à son médecin qu’elle prétendait avoir des émotions qu’elle n’éprouvait pas, pas plus qu’il n’y en aurait eu si Hitler avait dit à Chamberlain de ne pas se fier à ses promesses.

Dès lors, dans ma définition du mensonge ou de la tromperie, un individu manifeste l’intention d’en tromper un autre, délibérément, sans le prévenir de son objectif et sans en avoir été explicitement prié par sa cible. Pour cela, je m’appuie sur ce que Erving Goffman qualifie de mensonge éhonté « lorsqu’il y a une preuve patente que le menteur sait qu’il ment et agit de son plein gré ».

Goffman ne se concentre pas sur ce type, mais sur d’autres fausses représentations, dans lesquelles la distinction entre vrai et faux est moins tenable :

« Il n’existe guère de vocation ou de relation courante légale où les parties en présence ne se livrent pas à des pratiques dissimulées qui sont incompatibles avec des rôles que l’on a encouragés. »

 

Dissimuler et feindre

 

Il existe deux manières primaires de mentir : dissimuler et feindre 5 . En dissimulant, le menteur garde par-devers lui une certaine quantité d’information sans pour autant dire quoi que ce soit de faux. En feignant, une étape supplémentaire est franchie. Non seulement le menteur garde des informations vraies, mais il fait semblant et présente comme vraies des informations fausses. Souvent, il est nécessaire de combiner dissimulation et feinte pour opérer la tromperie, mais parfois un menteur peut y réussir en se limitant à la dissimulation.

 

 

Tout le monde ne considère pas la dissimulation comme du mensonge : certains réservent ce mot uniquement pour l’acte plus audacieux de feinte 6 . Si le médecin ne dit pas à son patient qu’il souffre d’une maladie au stade terminal, si le mari ne dit pas qu’il a passé sa pause déjeuner dans un hôtel avec sa maîtresse, si le policier ne dit pas au suspect qu’un micro caché capte sa conversation avec son avocat, aucune information fausse n’a été transmise, pourtant chacun de ces exemples entre dans ma définition du mensonge. Les cibles n’ont pas demandé à être trompées et les dissimulateurs ont agi délibérément sans prévenir de leur intention de tromper. L’information a été cachée sciemment, avec intention, pas par accident. Il y a des exceptions, des occasions où dissimuler n’est pas mentir parce que l’individu a prévenu de son intention ou obtenu le consentement de l’autre. Si le mari et l’épouse acceptent d’avoir une relation ouverte où chacun gardera pour soi ses liaisons si l’autre ne pose pas de question, dissimuler le séjour à l’hôtel ne sera pas un mensonge. Si le patient demande au médecin de ne rien lui dire si le pronostic est mauvais, dissimuler l’information n’est pas un mensonge. Selon la loi, en revanche, un suspect et un avocat ont le droit d’avoir une conversation privée : dissimuler la violation de ce droit sera toujours un mensonge. Quand ils ont le choix sur la manière de mentir, les menteurs préfèrent généralement la dissimulation à la feinte. Cela présente de nombreux avantages. Pour commencer, dissimuler est généralement plus facile que feindre. Rien n’a besoin d’être inventé. Il n’y a aucun risque d’être démasqué si l’on n’a pas échafaudé toute une version à 15 l’avance. Selon la légende, Abraham Lincoln aurait dit qu’il n’avait pas assez bonne mémoire pour être un menteur. Si un médecin donne une fausse explication aux symptômes d’un patient afin de dissimuler la gravité de sa maladie, il devra se rappeler sa version fausse afin de rester cohérent si on l’interroge à nouveau quelques jours plus tard. La dissimulation peut également être préférée parce qu’elle paraît moins répréhensible que la feinte. Elle est passive et non active. Même si la cible peut tout autant en pâtir, le menteur se sent moins coupable de dissimuler que de feindre. À ce sujet, Ève Sweetser déclare avec justesse que la cible peut se sentir plus blessée par une dissimulation que par une feinte : elle ne peut se plaindre qu’on lui a menti et avoir ainsi l’impression que son adversaire est passé à travers les mailles d’un filet légal 7 . Le menteur peut entretenir en lui la pensée rassurante que la cible connaît la vérité mais ne veut pas la voir en face. Un menteur de ce type peut se dire : « Ma conjointe doit savoir que je la trompe, parce qu’elle ne me demande jamais où je passe mes après-midi. Je suis discret par gentillesse envers elle. Je ne lui mens certainement pas sur ce que je fais. Je choisis de ne pas l’humilier, de ne pas la forcer à reconnaître le fait accompli. » Le mensonge par dissimulation est également plus facile à couvrir s’il est percé à jour. Les excuses disponibles sont nombreuses : ignorance, intention d’en parler plus tard, défaut de mémoire, etc. L’individu qui témoigne sous serment et dit « autant que je me souvienne » se ménage une issue de secours si on le confronte plus tard à quelque chose qu’il a dissimulé. Le menteur qui prétend ne pas se rappeler alors qu’il se souvient et dissimule délibérément est d’un type intermédiaire entre dissimulation et feinte. Cela se produit quand le menteur ne peut tout bonnement plus se taire : une question a été posée, un défi lancé. En feignant seulement l’impossibilité de se souvenir, le menteur évite d’avoir à se rappeler une version fausse : il a juste besoin de se rappeler avoir prétendu que sa mémoire était mauvaise. Et, si la vérité se fait jour plus tard, le menteur peut toujours arguer ne pas avoir menti mais avoir simplement eu des problèmes de mémoire. Un incident du scandale du Watergate qui mena à la démission du président Nixon illustre la stratégie de la mauvaise mémoire. Alors que s’accumulent les preuves de leur implication dans l’effraction et la dissimulation, les assistants du président, H.R. Haldeman et John Ehrlichman, sont forcés à la démission. Alexander Haig prend la place d’Haldeman alors que la pression monte pour Nixon. « Haig était à la Maison-Blanche depuis moins d’un mois quand, le 4 juin 1973, Nixon et lui discutaient de la manière de répondre à de sérieuses allégations portées contre John W. Dean, ancien conseiller de la présidence. Selon un enregistrement de la conversation entre les deux hommes rendu public durant l’enquête, Haig conseilla à Nixon d’esquiver les questions sur ces allégations en lui disant simplement : “Vous ne vous rappelez pas, c’est tout 8 .” » Un défaut de mémoire est crédible seulement dans des circonstances limitées. Le médecin à qui l’ on demande si les analyses sont négatives ne peut pas prétendre ne pas 16 se rappeler, pas plus qu’un policier auquel un suspect demande si la pièce est sur écoute. Une perte de mémoire ne peut être prétextée que pour des questions mineures, ou quelque chose qui s’est produit il y a longtemps. Même le passage du temps peut ne pas justifier l’impossibilité de se rappeler des événements exceptionnels dont n’importe qui devrait se souvenir quoi qu’il arrive. Un menteur ne peut plus choisir entre dissimulation ou feinte une fois que sa victime le questionne. Si l’épouse demande au mari pourquoi il était injoignable à l’heure du déjeuner, le mari doit feindre pour garder sa liaison secrète. On peut arguer que même la question banale – « Qu’as-tu fait de ta journée ? » – est une demande d’information, mais qu’elle peut être esquivée. Le mari peut mentionner d’autres incidents dissimulant son escapade, sauf si une question directe le force à choisir entre feinte et aveu de la vérité. Certains mensonges exigent dès le départ la feinte, car la dissimulation seule ne suffit pas. La patiente Mary dut non seulement dissimuler sa détresse et ses projets de suicide, mais elle dut également feindre l’amélioration de son état et le désir de passer le week-end auprès de sa famille. Mentir sur son expérience pour obtenir une embauche ne peut être fait par simple dissimulation : non seulement l’inexpérience doit être dissimulée, mais un cursus pertinent doit être inventé. S’échapper d’une soirée ennuyeuse sans offenser l’hôte exige non seulement de dissimuler son envie de rentrer chez soi, mais aussi d’inventer une excuse acceptable, un rendez-vous de bonne heure le lendemain, des problèmes de baby-sitter, etc. La feinte survient également, même si le mensonge ne l’exige pas directement, pour aider le menteur à couvrir la preuve de ce qu’il dissimule. L’usage de la feinte pour masquer ce que l’on dissimule est particulièrement nécessaire quand il s’agit d’émotions. Il est facile de dissimuler une émotion que l’on n’éprouve plus, mais beaucoup plus difficile si elle est éprouvée sur l’instant et surtout avec une grande intensité. La terreur est plus difficile à dissimuler que l’inquiétude, tout comme la fureur par rapport à l’agacement. Plus l’émotion est intense, plus il est probable qu’un signe plus ou moins visible va fuiter, malgré tous les efforts du menteur pour la dissimuler. Endosser une autre émotion, une que l’on n’éprouve pas, peut permettre de déguiser l’émotion réellement éprouvée que l’on cherche à dissimuler. Feindre une émotion peut couvrir la fuite d’une émotion dissimulée. Un passage du roman de John Updike, Épouse-moi, illustre ce point comme beaucoup d’autres que j’ai décrits. La conversation téléphonique de Ruth et de son amant, Dick, est surprise par son mari, Jerry. Jusqu’à ce moment du livre, Ruth a pu dissimuler sa liaison sans avoir à feindre, mais à présent, interrogée directement par son mari, elle doit le faire. Alors que l’objectif de son mensonge a été de tenir son époux dans l’ignorance de la liaison, ce passage montre également combien les émotions peuvent facilement s’impliquer dans un mensonge et comment, une fois impliquées, elles augmentent le poids de ce qui doit être dissimulé. 17 « Jerry l’avait effrayée en surprenant la toute fin d’une conversation téléphonique avec Dick. Elle le croyait en train de ratisser le jardin. En sortant de la cuisine, il lui demanda : – Qui était-ce ? Elle paniqua. – Oh, quelqu’un. Une dame du catéchisme qui me demandait si nous allions inscrire Joanna et Charlie 9 . » La panique en soi n’est pas la preuve d’un mensonge, mais cela va rendre Jerry soupçonneux s’il la remarque, car il pensera que Ruth ne paniquerait pas si elle n’avait rien à cacher. Alors que des individus parfaitement innocents peuvent prendre peur quand ils sont interrogés, les interrogateurs n’y accordent généralement pas d’attention. Ruth est en position difficile. N’ayant pas prévu la nécessité de feindre, elle n’a pas préparé sa réplique. Prise de court dans cette situation délicate, elle panique d’être découverte, et comme cette agitation est difficile à dissimuler, cela augmente le risque que Jerry la confronte. Étant donné qu’elle ne va probablement pas pouvoir la dissimuler, le stratagème qu’elle pourrait employer pour ne pas mentir sur ce qu’elle ressent consisterait à mentir sur la cause de son émotion. Elle pourrait avouer qu’elle est paniquée, prétendre qu’elle éprouve cela parce qu’elle craint que Jerry ne la croie pas, et non parce qu’elle a quelque chose à cacher. Cela a peu de chance de réussir, sauf s’il est souvent arrivé par le passé que Jerry ne la croie pas et que chaque fois la suite des événements ait prouvé son innocence, si bien que mentionner à présent qu’il a l’habitude de l’accuser sans raison peut le décourager de creuser davantage cette fois-ci. Ruth ne réussira probablement pas si elle essaie de rester calme et imperturbable. Quand les mains commencent à trembler, il est beaucoup plus facile de les occuper – les serrer ou les joindre – que de les laisser immobiles. Quand les lèvres se contractent ou s’étirent et que les paupières et les sourcils se haussent de peur, il est très difficile de garder le visage immobile. Ces expressions sont mieux dissimulées si l’on ajoute des mouvements musculaires supplémentaires – serrer les dents, les lèvres, froncer les sourcils… La meilleure manière de dissimuler des émotions intenses est le masque. Se couvrir le visage entièrement ou en partie de la main, ou en se détournant de son interlocuteur peut se faire facilement sans trahir le mensonge. Le meilleur masque est une émotion feinte. Non seulement elle détourne les soupçons ailleurs, mais c’est le meilleur camouflage. Il est extrêmement difficile de garder un visage impassible ou des mains inertes quand on éprouve une émotion intense. Avoir l’air sans émotion, calme et neutre est l’apparence la plus difficile à maintenir. Il est beaucoup plus facile de prendre une pose, d’arrêter ou d’en contrer une par une autre série d’actions et de gestes. Plus loin dans le roman d’Updike, Jerry déclare à Ruth qu’il ne la croit pas. On peut présumer que la panique de Ruth va augmenter et être d’autant plus difficile à dissimuler. Elle pourrait, pour la masquer, tenter de recourir à la colère, la stupéfaction 18 ou la surprise. Elle pourrait s’insurger que Jerry ne la croie pas, lui reprocher de l’épier. Elle pourrait même faire semblant d’être stupéfaite qu’il ne la croie pas, surprise qu’il écoute ses conversations. Toutes les situations ne permettent pas au menteur de masquer l’émotion qu’il ressent. Certains mensonges exigent de dissimuler les émotions sans feindre, ce qui est beaucoup plus difficile. Ezer Weizman, ancien ministre israélien de la Défense, a décrit la difficulté d’une telle situation. Des discussions avaient lieu entre les délégations militaires israéliennes et égyptiennes pour lancer des négociations après la visite d’Anouar el-Sadate à Jérusalem. Durant l’une des séances, le chef de la délégation égyptienne, Mohamed el-Gamasy déclare à Weizman qu’il vient d’apprendre que les Israéliens sont en train d’implanter une autre colonie dans le Sinaï. Weizman sait que cela peut compromettre les négociations, puisque les colonies existantes sont déjà un sujet de discorde. « Je fus scandalisé, alors que je ne pouvais même pas exprimer ma colère en public. Nous étions là à discuter pour organiser la sécurité, faire avancer un peu plus la paix, et mes collègues à Jérusalem, au lieu de tirer des leçons des fausses colonies, étaient en train d’en implanter une autre au moment même où avaient lieu les négociations 10 . » Weizman ne pouvait se permettre de laisser voir la colère qu’il éprouvait contre ses collègues à Jérusalem. La dissimuler lui permettait de dissimuler également que ses collègues ne l’avaient pas consulté. Il devait cacher une émotion intense sans avoir la possibilité d’en utiliser une autre comme masque. Il n’était pas convenable d’avoir l’air heureux, effrayé, désemparé, surpris ou dégoûté. Il devait avoir l’air attentif mais impassible, et ne pas laisser paraître que l’information révélée par Gamasy était nouvelle pour lui et lourde de conséquences. Le poker est aussi une situation dans laquelle le masque ne peut pas être utilisé pour dissimuler des émotions. Quand un joueur s’enthousiasme à la perspective de remporter le tapis grâce à l’excellente main qu’il a tirée, il doit dissimuler tout indice de son excitation pour que les autres joueurs ne se couchent pas. La masquer avec une autre émotion sera dangereux. S’il recourt à une expression déçue ou irritée, les autres penseront qu’il a une mauvaise main et s’attendront à ce qu’il se couche, pas qu’il continue. Il doit avoir un visage impassible. S’il décide de dissimuler sa déception ou son irritation en bluffant, en essayant de forcer les autres à se coucher, il a la possibilité d’utiliser un masque. En feignant la joie ou l’excitation, il peut dissimuler sa déception et faire croire qu’il tient une bonne main. Il ne sera pas crédible vis-à-vis des autres joueurs, sauf s’ils le considèrent comme un novice. Un joueur de poker expérimenté est censé ne montrer aucune émotion concernant sa main. Dans son étude sur les joueurs de poker, David Hayano décrit un autre style utilisé par les professionnels : « Les joueurs animés bavardent constamment durant tout le jeu pour rendre leurs adversaires nerveux et angoissés. Des vérités sont énoncées comme des mensonges et vice versa. À ces bavardages s’ajoutent des gestes exagérés. Au point qu’il ait été dit d’un joueur de ce genre : “Il s’agite plus qu’une fille qui fait la danse du ventre.” » 19 Par ailleurs, je précise que les contrevérités au poker – dissimuler ou bluffer – n’entrent pas dans ma définition du mensonge. Personne n’attend d’un joueur qu’il révèle les cartes qu’il a tirées. Le jeu lui-même contient la mise en garde préalable que les joueurs tenteront de se duper les uns les autres. Toute émotion peut être feinte pour contribuer à en dissimuler une tout autre. Le sourire est le masque le plus fréquemment employé. Il sert d’opposé à toutes les émotions négatives – peur, colère, détresse, dégoût… L’employé déçu doit sourire s’il veut que son patron pense qu’il n’est pas vexé ni fâché de ne pas avoir reçu de promotion. L’amie cruelle doit se présenter comme bien intentionnée quand elle énonce une critique tranchante assortie d’un sourire plein de sollicitude. Une autre raison à l’utilisation fréquente du sourire comme masque est qu’il fait partie du rituel ordinaire de salutation et qu’il est requis dans la plupart des échanges polis. Si un individu se sent mal, il ne doit pas le montrer ni le reconnaître durant un échange de courtoisies. Au lieu de cela, l’individu malheureux est censé dissimuler toute émotion négative et arborer un sourire courtois qui accompagne le « Très bien, merci, et vous ? » en réponse au « Comment allez-vous ? ». Les véritables émotions resteront probablement indécelables, pas parce que le sourire est un excellent masque, mais parce que dans les échanges de politesses, il est rare que les gens s’intéressent vraiment à l’humeur de leur interlocuteur. Tout ce qui est attendu, c’est un semblant d’amabilité et de politesse. Les interlocuteurs scrutent rarement avec attention de tels sourires. Les gens ont l’habitude de ne pas en tenir compte dans ces contextes. On pourrait arguer qu’il est faux de considérer cela comme des mensonges, puisque les règles implicites de la politesse veulent qu’il ne soit jamais fait état des émotions véritablement ressenties. Il y a cependant une autre raison encore à l’utilisation courante du sourire comme masque : c’est l’expression faciale la plus facile à faire volontairement. Bien avant l’âge de un an, les enfants peuvent sourire volontairement. C’est l’une des toutes premières expressions utilisées par l’enfant de manière délibérée pour faire plaisir à autrui. Tout au long de la vie, des sourires sociaux présentent faussement des émotions non ressenties, mais requises ou utiles à montrer. Des erreurs peuvent être faites dans le déclenchement de tels sourires – trop rapides, trop lents, se produisant trop tôt ou trop longtemps après le mot ou la phrase qu’ils devraient accompagner. Mais les mouvements du sourire en eux-mêmes sont faciles à accomplir, ce qui n’est pas le cas pour l’expression de toutes les autres émotions. Pour la majorité des gens, les émotions négatives sont plus difficiles à feindre. Mon étude montre que la plupart des gens ne savent pas bouger volontairement les muscles spécifiques nécessaires pour feindre détresse ou peur de manière réaliste. Si le mensonge exige de feindre une émotion négative plutôt qu’un sourire, le menteur peut 20 avoir des difficultés. Il y a des exceptions : Hitler était de toute évidence un excellent acteur, capable sans peine de feindre des émotions négatives de manière convaincante. Lors d’une entrevue avec l’ambassadeur britannique, Hitler apparut en proie à la fureur, incapable de discuter davantage. Un officiel allemand présent rapporta : « À peine la porte s’était-elle refermée sur l’ambassadeur qu’il se flanqua une claque sur la cuisse et éclata de rire en disant : “Chamberlain ne sortira pas vivant de cette conversation ; son cabinet tombera ce soir 11 .” » D’autres techniques de mensonge Il existe de nombreuses autres manières de mentir en plus de la dissimulation et de la feinte. J’en ai déjà suggéré une en évoquant ce que Ruth pourrait faire pour entretenir sa tromperie malgré sa panique dans le passage du roman de John Updike. Au lieu de tenter de dissimuler sa panique, ce qui est difficile, elle pourrait reconnaître son émotion, mais mentir sur sa cause. Il s’agit d’une diversion. Ainsi, elle pourrait prétendre être parfaitement innocente et avoir paniqué parce qu’elle craint que son mari ne la croie pas. Si le psychiatre avait demandé à Mary pourquoi elle semblait un peu nerveuse, elle aurait également pu reconnaître cette nervosité, mais déclarer : « Je suis nerveuse parce que j’ai très envie de retrouver ma famille. » S’il reconnaît l’émotion éprouvée, le mensonge porte sur sa cause véritable. Une autre technique apparentée au mensonge consiste à dire la vérité avec une exagération appuyée afin que la victime ne la croie pas. Cela consiste à dire la vérité faussement. Quand Jerry demande à Ruth à qui elle parle au téléphone, elle pourrait répondre : « Oh, je parlais avec mon amant, il m’appelle toutes les cinq minutes. Comme je couche avec lui trois fois par jour, nous devons nous contacter régulièrement pour nous organiser ! » Exagérer la vérité ridiculise Jerry, ce qui ne lui permet plus de creuser davantage ses soupçons. Une intonation ou une expression moqueuse remplissent la même fonction. Un autre exemple de vérité énoncée faussement a été décrit dans le livre de Robert Daley, Le prince de New York. Comme l’annonce le sous-titre, L’histoire vraie d’un flic qui en savait trop, il s’agit d’un récit authentique et non d’une fiction. Robert Leuci est un policier qui devient informateur infiltré, travaillant pour des procureurs fédéraux pour obtenir des preuves de la corruption qui règne parmi des policiers, avocats, trafiquants de drogues et mafiosi. Il en obtient la majeure partie grâce à un magnétophone dissimulé sous ses vêtements. À un moment, Leuci est soupçonné d’être un informateur. S’il est pris avec son micro, sa vie sera en danger. Il parle à DeStefano, l’un des criminels sur lequel il rassemble des preuves. « Ne nous asseyons pas près du juke-box ce soir, parce que sinon je ne vais rien pouvoir enregistrer, dit Leuci. – Ce n’est pas drôle, répondit DeStefano. Leuci entreprit de se vanter qu’il travaillait pour le gouvernement, tout comme la barmaid, dont le micro était caché dans son… 21 Tout le monde s’esclaffa, mais DeStefano riait jaune 12 . » Leuci ridiculise DeStefano en énonçant sans vergogne la vérité : il ne peut effectivement pas bien enregistrer à côté du juke-box et il travaille pour le gouvernement. En l’admettant ouvertement et en plaisantant sur le fait que la serveuse porte elle aussi un micro, caché dans sa petite culotte ou son soutien-gorge, Leuci empêche DeStefano de creuser ses soupçons sans passer pour un imbécile. Un proche parent de la vérité énoncée faussement est la demi-dissimulation. La vérité est dite, mais seulement en partie. Le sous-entendu, la dissimulation du détail crucial, permet au menteur de maintenir sa tromperie tout en ne disant rien de faux. Peu après le premier incident dans Épouse-moi, Jerry retrouve Ruth au lit et, se blottissant contre elle, lui demande qui elle aime. « Je t’aime, dit-elle, et aussi tous les pigeons sur cet arbre, et tous les chiens de la ville, sauf ceux qui renversent nos poubelles, et tous les chats, sauf celui qui a engrossé Lulu. Et aussi les secouristes de la plage et les policiers de la ville, sauf celui qui m’a arrêtée pour un demi-tour interdit, et j’aime certains de nos horribles amis, surtout quand je suis ivre… – Et tu aimes Dick Mathias ? – Je n’ai rien contre lui 13 . » Autre technique qui permet au menteur d’éviter de dire quoi que ce soit de faux : l’esquive par inférence incorrecte. Un chroniqueur a expliqué avec humour comment utiliser cette esquive pour se sortir d’une situation délicate. Vous êtes au vernissage de l’exposition de votre ami Jerry. Vous trouvez son travail épouvantable, mais avant que vous n’ayez le temps de filer discrètement, il se précipite sur vous et vous demande votre avis. « Jerry, dites-vous en plongeant votre regard dans le sien. Jerry, Jerry, Jerry… » Ne lui lâchez pas la main, maintenez le contact visuel. Dix fois sur dix, Jerry finira par se dégager, marmonner une phrase pleine de modestie et s’en aller. Il y a des variations. En montant d’une octave sur une syllabe, façon critique d’art : « Jerry. Jer-ry. Que dire ? » Ou le mode trompeusement sobre : « Jerry. Les mots me manquent. » Ou le légèrement ironique : « Jerry. Tout le monde, tout le monde en parle 14 . » La vertu de cette stratégie, comme la demi-dissimulation et la vérité énoncée faussement, c’est que le menteur n’est pas forcé de dire quoi que ce soit de faux. Je la considère tout de même comme un mensonge, car il y a une tentative délibérée de tromper la cible sans mise en garde préalable. Fuites et indices de tromperie N’importe lequel de ces mensonges peut être trahi par un détail du comportement du menteur. Il existe deux types d’indice de tromperie : une erreur peut révéler la vérité ou simplement suggérer que ce qui est dit ou montré est faux sans révéler la vérité. 22 Quand un menteur révèle la vérité par mégarde, je qualifie cela de fuite. Lorsque son comportement laisse à penser qu’il ment sans révéler la vérité, j’appelle cela un indice de tromperie. Si le médecin de Mary remarque qu’elle se tord les mains en lui disant qu’elle va bien, il s’agit d’un indice de tromperie, une raison de soupçonner qu’elle ment. Il ne sait pas ce qu’elle éprouve réellement – elle en veut peut-être à l’hôpital, à elle-même, ou bien elle redoute l’avenir – sauf s’il obtient une fuite. Une expression faciale, l’intonation, un lapsus verbal ou certains gestes peuvent trahir ses véritables sentiments. Un indice de tromperie permet de déterminer si une personne ment ou non, mais sans révéler ce qui est dissimulé. Seule une fuite le permet. Souvent, cela n’a pas d’importance. Quand il importe de savoir davantage si un individu ment que ce qu’il dissimule, un indice de tromperie suffit. La fuite n’est pas nécessaire. L’information dissimulée peut être devinée ou n’a pas d’intérêt. Si l’employeur perçoit grâce à un indice de tromperie que tel candidat ment, cela peut suffire et il n’a pas besoin de savoir ce qui a été dissimulé pour décider de ne pas engager un candidat qui ment. Mais ce n’est pas toujours suffisant. Il est parfois important de savoir exactement ce qui est dissimulé. Découvrir qu’un employé en qui l’on a confiance détourne de l’argent peut ne pas suffire. Un indice de tromperie peut indiquer que l’employé a menti ; cela peut avoir conduit à une confrontation et un aveu. Pourtant, même si la question est réglée, l’employé licencié et les poursuites engagées, l’employeur cherche toujours une fuite. Il peut vouloir savoir comment l’employé s’y est pris et ce qu’il a fait de l’argent détourné. Si Chamberlain avait décelé le moindre indice de tromperie, il aurait su que Hitler mentait, mais dans cette situation, il aurait aussi été utile d’obtenir une fuite pour connaître ses projets de conquête et savoir jusqu’où il comptait aller. Parfois, la fuite ne fournit qu’une partie de l’information désirée par la victime, trahissant davantage qu’un indice de tromperie, mais pas la totalité de ce qui est dissimulé. Revenons au roman Épouse-moi, quand Ruth panique, ne sachant pas exactement ce que son mari Jerry a entendu de sa conversation téléphonique avec son amant. Quand Jerry la questionne, Ruth peut avoir un comportement qui trahit sa panique – un tremblement des lèvres ou une paupière écarquillée. Étant donné le contexte, un tel indice de panique implique que Ruth ment peut-être. Sinon, pourquoi la question l’inquiéterait-elle ? Mais un tel indice de tromperie ne peut informer Jerry de la teneur de son mensonge ni de l’identité de son interlocuteur. Jerry obtient en partie ces renseignements grâce à une fuite dans la voix de Ruth. Il lui explique pourquoi il ne croit pas à son explication : « C’était le ton que tu as pris. – Vraiment ? Comment ça ? Elle réprime un gloussement. Il fixe pensivement le vide comme s’il réfléchissait à une question esthétique. Il a l’air fatigué, jeune, émacié. Il a les cheveux trop courts. – C’était différent, dit-il. Plus chaleureux. C’était une voix de femme. – Je suis une femme. – Oui, mais quand tu me parles, continue-t-il, tu prends une voix de petite fille 15 . » 23 La voix qu’elle prend est adaptée pour parler non pas à une dame du catéchisme, mais à un amant. La fuite indique que la tromperie concerne probablement une liaison, mais elle ne lui donne pas la totalité de l’information. Jerry ne sait pas s’il s’agit d’une liaison qui commence ou qui se poursuit

 

; il ignore l’identité de l’amant. Mais il en sait plus qu’avec un simple indice de tromperie qui lui aurait seulement indiqué que Mary ment. J’ai défini le mensonge comme une décision délibérée de tromper une cible sans mise en garde préalable de

 

cette intention. Il existe deux formes principales de mensonge :

 

• la dissimulation, qui laisse de côté des informations vraies, et

• la feinte, qui présente des informations fausses comme si elles étaient vraies. Les autres manières de mentir comprennent :

• la diversion, qui consiste à reconnaître une émotion en mentant sur sa cause réelle ; • énoncer une vérité faussement, ou avouer la vérité avec une telle exagération ou un tel humour que la cible demeure sous-informée ou trompée ;

• la semi-dissimulation, qui consiste à avouer seulement une partie de la vérité, afin de détourner l’intérêt de la cible sur ce qui reste dissimulé ;

• et enfin l’esquive par inférence incorrecte, qui consiste à formuler la vérité d’une manière signifiant l’opposé de ce qui est dit. Il existe deux sortes d’indices de tromperie :

• la fuite, quand le menteur révèle par mégarde la vérité, et

• l’indice de tromperie proprement dit, quand le comportement du menteur révèle seulement que ses propos sont faux. Fuite et indices de tromperie sont des erreurs. Mais des erreurs ne se produisent pas toujours.

 

 

Les mensonges n’échouent pas systématiquement. Le chapitre suivant explique pourquoi c’est le cas pour certains.

 

 

Chapitre 2

Pourquoi le mensonge peut échouer

Les mensonges échouent pour plusieurs raisons. La victime de la tromperie peut découvrir la preuve par accident, trouver des documents cachés ou une tache de rouge à lèvres sur un mouchoir. Le menteur peut être trahi par un tiers. Un collègue envieux, un conjoint délaissé, un informateur payé peuvent tous permettre de déceler une tromperie. Cependant, ce qui nous intéresse, ce sont les erreurs commises durant l’action de mentir, les erreurs que fait le menteur malgré lui, les mensonges qui échouent à cause du comportement du menteur. Des indices de tromperie ou des fuites peuvent apparaître dans un changement d’expression du visage, un geste, une inflexion de la voix, une déglutition, une respiration longue ou saccadée, des pauses entre les mots, un lapsus verbal ou gestuel, une microexpression faciale. La question est pourquoi les menteurs ne peuvent-ils pas empêcher ce comportement qui les trahit ? Ils en sont parfois capables. Certains mensonges sont magnifiquement exécutés : rien dans les paroles ou les gestes du menteur ne trahit le mensonge. Pourquoi n’est-ce pas toujours le cas ? Pour deux raisons : l’une liée à la pensée, l’autre, à l’émotion. Les mauvaises répliques Le menteur ne prévoit pas toujours le moment où il devra mentir. Il n’a pas toujours le temps de préparer, répéter et mémoriser la réplique à prononcer. Ruth, dans le roman cité plus haut, ne prévoit pas que son mari Jerry va surprendre sa conversation. La justification qu’elle invente dans l’instant – le catéchisme qui appelle à propos de leurs enfants – la trahit parce qu’elle ne correspond pas à ce que son mari l’a entendue dire. Même lorsqu’il dispose de suffisamment de temps et qu’il a soigneusement préparé sa réplique, le menteur peut ne pas être assez habile pour anticiper toutes les questions qui lui seront posées et avoir réfléchi à ses réponses. Même l’habileté peut ne pas suffire, car des modifications invisibles des circonstances peuvent trahir une réplique qui aurait été sinon efficace. Durant l’enquête fédérale du Watergate, le juge John J. Sirica décrivit un problème de ce type en expliquant ses réactions devant la déposition de Fred Buzhardt, conseiller du président Nixon : « Le premier problème posé à Fred Buzhardt quand il a tenté d’expliquer la disparition des enregistrements était d’inventer une version cohérente. Au premier jour de l’audition, Buzhardt déclara qu’il n’y avait pas d’enregistrement de l’entretien du Président avec Dean le 15 avril parce que le déclencheur automatique n’avait pas fonctionné. Mais il dut rapidement modifier cette version, car il avait entre-temps appris qu’il pourrait être prouvé que les déclencheurs avaient fonctionné. Il déclara alors que l’entretien n’avait pas été enregistré parce qu’il n’y avait pas de bandes vierges 25 disponibles 1 . » Même quand le menteur n’est pas forcé par les circonstances de changer de version, il arrive qu’il ait du mal à se rappeler la version de départ, si bien qu’il ne peut pas répondre rapidement aux nouvelles questions. Aucun de ces échecs – à prévoir le moment où le mensonge sera nécessaire, à inventer une réplique cohérente avec les nouvelles circonstances, à se rappeler la version originale – ne produit des indices de tromperie faciles à repérer. Ce que l’individu formule est incohérent en soi ou par rapport à d’autres faits irréfutables, connus sur le moment ou révélés par la suite. De tels indices de tromperie ne sont pas toujours aussi fiables et directs qu’ils le paraissent. Une réplique trop parfaite peut être le signe d’un escroc accompli. D’ailleurs certains escrocs, conscients de cela, font exprès de petites erreurs afin de ne pas paraître trop parfaits. James Phelan, journaliste, décrivit un exemple fascinant de cette astuce dans son récit de la fausse biographie de Howard Hughes. Personne n’avait vu Hughes depuis des années, ce qui ne faisait qu’accroître la fascination du public pour ce milliardaire, qui avait tourné des films et possédait une compagnie aérienne ainsi que le plus grand casino de Las Vegas. Il était resté invisible si longtemps que certains doutaient qu’il soit encore en vie. Il était étonnant qu’un tel reclus ait autorisé quelqu’un à rédiger sa biographie. C’est pourtant ce que prétendait Clifford Irving. L’éditeur McGraw-Hill le paya 750 000 dollars pour la publier ; le magazine Life en paya 250 000 pour en divulguer trois extraits ; et elle se révéla être un faux ! Clifford Irving était « un excellent arnaqueur, l’un des meilleurs. Voici un exemple. Quand nous l’interrogeâmes pour tenter de le confondre, il ne commit jamais l’erreur de raconter les faits chaque fois de la même façon. Il y avait de petits décalages qu’il admettait sans difficulté quand nous les relevions. Un escroc lambda peaufine sa version au mot près de manière à pouvoir la répéter inlassablement sans en dévier. Un homme honnête commet généralement de petites erreurs, notamment quand l’histoire est longue et complexe comme c’était le cas pour Cliff. Lui était assez malin pour le comprendre et il nous joua magnifiquement la comédie de l’homme honnête. Quand nous le prenions en flagrant délit, il répondait sans problème : “Zut, ça la fiche mal pour moi, hein ? Mais c’est comme ça que ça s’est passé.” Il se donnait l’apparence de la sincérité, même à son détriment, tout en débitant mensonge sur mensonge 2 . » Il est impossible de se protéger contre une telle habileté ; les escrocs les plus astucieux réussissent. Mais la plupart des menteurs ne sont pas aussi machiavéliques. Le manque de préparation ou l’incapacité de se rappeler la version originale peuvent susciter des indices de tromperie dans la forme, la manière dont une phrase est prononcée, même quand le fond lui-même n’est pas incohérent. La nécessité de réfléchir à chaque mot avant de le dire – soupeser les possibilités, chercher un mot ou une idée – peut être trahie par des pauses dans la formulation ou, plus subtilement, par le plissement de la paupière inférieure ou du sourcil et certaines modifications des gestes. Je ne dis pas que réfléchir à chaque mot avant de parler est toujours un signe de tromperie, mais c’est le cas dans certaines circonstances. Quand Jerry demande à Ruth à 26 qui elle parlait au téléphone, le fait qu’elle choisisse soigneusement ses mots pourrait indiquer qu’elle ment. Mentir sur ses émotions L’incapacité de prévoir, formuler et répéter le mensonge n’est que l’une des raisons pour lesquelles le menteur donne accidentellement des indices de tromperie. Des erreurs sont également commises à cause de la difficulté de dissimuler ou jouer une émotion. Les mensonges n’impliquent pas tous une émotion, mais ceux qui entrent dans cette catégorie posent des problèmes particuliers au menteur. La tentative pour dissimuler une émotion lorsqu’elle est ressentie peut être trahie par les paroles, mais en dehors du lapsus verbal, ce n’est généralement pas le cas. À moins de désirer avouer ce qu’il ressent, le menteur n’est pas obligé de traduire en paroles l’émotion qu’il dissimule. Il est moins facile de cacher une expression faciale, une modification du rythme respiratoire ou une tension dans la voix. Quand des émotions surviennent, des changements se produisent automatiquement et involontairement en une fraction de seconde. Dans Épouse-moi, quand Jerry accuse Ruth de mensonge, Ruth n’a aucun problème à empêcher les mots « Si, c’est vrai ! » de franchir ses lèvres. Mais la panique d’être découverte produit des signes visibles et audibles. Elle ne choisit pas d’éprouver de la panique, pas plus qu’elle ne peut décider de la réprimer. C’est au-delà de son contrôle. C’est, selon moi, un trait fondamental de l’émotion. L’individu ne choisit pas le moment où il éprouve une émotion. Au contraire, il la subit généralement et, dans le cas d’émotions négatives comme la peur ou la colère, elle survient malgré sa volonté. Non seulement l’individu ne peut choisir le moment où elle se produit, mais généralement il ne peut pas choisir de manifester ou non les signes de cette émotion. Ruth ne peut pas décider d’éliminer les signes de sa panique. Il n’existe pas d’interrupteur émotionnel. Il se peut même que l’individu ne puisse maîtriser ses gestes si l’émotion éprouvée est intense. Une émotion intense explique, même si elle ne les justifie pas, des conduites déplacées. « Je ne voulais pas hausser le ton (taper sur la table, vous insulter, vous frapper), mais j’ai perdu la tête. Je ne pouvais plus me maîtriser. » Quand une émotion survient progressivement et non soudainement, lorsqu’elle commence à un faible niveau – agacement plutôt que fureur –, les modifications de comportement sont mineures, et relativement faciles à dissimuler lorsque l’individu est conscient de ce qu’il éprouve… ce qui n’est généralement pas le cas. En effet, quand une émotion survient progressivement sans s’intensifier, elle est parfois plus visible pour autrui que pour l’individu lui-même, qui n’en prend conscience qu’une fois qu’elle est devenue intense. Cependant, une fois à ce stade, l’émotion est beaucoup plus difficile à contrôler. Dissimuler les modifications du visage, du corps et de la voix exige un effort. 27 Même lorsque la dissimulation est réussie et qu’il n’y a pas de fuite d’émotion, cet effort est parfois perceptible et devient un indice de tromperie. Dissimuler une émotion n’est pas facile, mais feindre une émotion que l’on n’éprouve pas ne l’est pas davantage. Il ne suffit pas de dire simplement : « Je suis en colère » ou « J’ai peur ». Pour être cru, le menteur doit paraître fâché ou effrayé. Il n’est pas facile de mobiliser les gestes adéquats et les modifications spécifiques de la voix nécessaires pour feindre des émotions. Il existe certains mouvements faciaux, par exemple, que très peu d’individus peuvent exécuter volontairement et qui sont indispensables pour feindre avec succès détresse, peur ou colère. Feindre devient beaucoup plus difficile lorsque c’est le plus nécessaire, pour dissimuler une autre émotion. Essayer de paraître en colère n’est pas facile, mais encore moins si l’individu a peur quand il tente de feindre : il sera tiraillé d’un côté par un ensemble d’impulsions provoquées par la peur, de l’autre par la tentative délibérée de paraître en colère. Par exemple, la peur provoque un haussement involontaire des sourcils. Mais pour feindre la colère, l’individu doit les froncer. Souvent, les signes de cet effort intérieur entre émotion éprouvée et émotion feinte trahissent la tromperie. Qu’en est-il des mensonges qui n’impliquent pas des émotions, les mensonges concernant les actions, projets, pensées, intentions, faits et fantasmes ? Sont-ils trahis par le comportement du menteur ? Les émotions qui sont provoquées par l’acte de mentir Les tromperies n’impliquent pas toutes de dissimuler ou feindre des émotions. Celui qui détourne de l’argent dissimule son crime. Le plagiaire dissimule le fait d’avoir emprunté l’œuvre d’un autre en la faisant passer pour la sienne. Le quadragénaire coquet dissimule son âge en teignant ses cheveux gris et en prétendant avoir sept ans de moins. Pourtant, même quand le mensonge dissimule autre chose qu’une émotion, des émotions peuvent être impliquées. Le coquet peut être gêné par sa coquetterie. Pour réussir dans sa tromperie, il doit dissimuler non seulement son âge, mais aussi sa gêne. Le plagiaire peut éprouver du mépris pour ceux qu’il trompe. Il doit donc dissimuler l’origine de son œuvre et prétendre à un talent usurpé tout en dissimulant son mépris. Le détourneur d’argent peut éprouver de la surprise si un autre employé est accusé à sa place. Il doit dès lors dissimuler cette surprise, ou du moins sa véritable cause. Des émotions sont donc souvent impliquées dans des mensonges qui n’étaient pas au départ destinés à dissimuler des émotions. Une fois impliquées, les émotions doivent être dissimulées pour que le mensonge ne soit pas découvert. N’importe quelle émotion peut être la coupable, mais trois d’entre elles sont si souvent impliquées dans la tromperie qu’elles méritent une étude séparée. Ce sont l’appréhension de détection, la culpabilité de tromperie et le plaisir de duper. L’appréhension de détection La peur d’être démasqué, dans ses formes les moins prononcées, n’est pas un 28 handicap et au contraire peut aider le menteur à éviter les erreurs en le gardant en alerte. Un niveau modéré de peur peut produire des indices comportementaux qu’un détecteur bien entraîné peut repérer, et à un niveau élevé la peur d’être démasqué provoque précisément ce que redoute le menteur. Si un menteur pouvait évaluer le niveau d’appréhension de détection qu’il éprouverait en mentant, il pourrait mieux décider si le risque en vaut la peine. Même si le mensonge est déjà accompli, cette appréhension pourrait l’aider à prévoir des contre-mesures permettant de diminuer ou dissimuler sa peur. Un détecteur peut également tirer parti de cette information. Il peut guetter les signes de peur s’il estime qu’un suspect redoute particulièrement d’être démasqué. De nombreux facteurs influencent le niveau d’appréhension de détection. Le premier facteur à considérer est le niveau de compétence que le menteur attribue au détecteur. Si la cible est réputée comme timorée et influençable, le niveau d’appréhension sera faible. En revanche, si la cible est connue comme coriace et difficile à duper, le niveau d’appréhension sera élevé. Les parents persuadent souvent leurs enfants qu’ils sont des détecteurs infaillibles : « Je peux deviner si tu mens ou non rien qu’en te regardant dans les yeux. » L’enfant menteur redoute tellement d’être démasqué que sa peur le trahit, ou bien il avoue parce qu’il pense qu’il a peu de chances de réussir. Dans la pièce de Terence Rattigan, The Winslow Boy, et le film L’honneur des Winslow qui en a été tiré, le père, Arthur, utilise très habilement ce stratagème. Son fils adolescent, Ronnie, accusé de vol, a été renvoyé de l’école navale : « ARTHUR : Il est dit dans cette lettre que tu as volé un mandat postal. (Ronnie veut répondre, mais son père l’arrête.) Je ne veux pas entendre un mot tant que je n’ai pas terminé. Si tu as volé, tu dois me le dire. Je ne me fâcherai pas, Ronnie, à condition que tu me dises la vérité. Mais si tu mens, je le saurai, car un mensonge entre nous est impossible à cacher. Je le saurai, Ronnie. Alors, souviens-t-en avant de parler. As-tu volé ce mandat ? RONNIE (hésitant) : Non, Père, je ne l’ai pas volé. (Arthur s’avance vers lui.) ARTHUR (le regardant droit dans les yeux) : As-tu volé ce mandat ? RONNIE : Non, Père, je ne l’ai pas volé. (Arthur continue de le fixer un instant, puis il se détend 3 .) » Arthur croit Ronnie et la pièce raconte les énormes sacrifices que le père et le reste de la famille feront pour venger l’honneur de Ronnie. Un parent ne peut pas toujours utiliser la stratégie d’Arthur pour obtenir la vérité. Un enfant qui a menti à plusieurs reprises par le passé et a réussi à berner son père n’a aucune raison de penser qu’il ne pourra pas continuer. Un père peut ne pas être disposé à l’indulgence pour l’aveu d’un méfait, ou encore cette proposition peut ne pas être crue en raison d’incidents passés. L’enfant doit faire confiance à son père et être certain que son père est capable de la réciproque. Un père qui s’est montré soupçonneux et méfiant, qui a déjà refusé de croire son fils alors qu’il disait la vérité, suscitera la peur chez l’enfant innocent. Cela soulève un problème crucial dans la détection de la tromperie : il 29 est pratiquement impossible de distinguer la crainte de ne pas être cru qu’éprouve un enfant innocent de l’appréhension de détection. Les signes sont identiques. Ces problèmes ne sont pas spécifiques à la découverte de la tromperie entre parent et enfant. Il est toujours délicat de faire la différence entre la crainte de ne pas être cru de l’innocent et l’appréhension de détection du coupable. La difficulté est amplifiée quand le détecteur a la réputation d’être soupçonneux et a déjà refusé de croire la vérité par le passé. Chaque fois, il sera plus difficile pour le détecteur de distinguer ces deux formes, peur et appréhension. La pratique et l’accumulation des succès dans le mensonge permettent toujours de réduire le niveau d’appréhension. Le mari qui entretient sa quatorzième liaison ne s’inquiétera guère d’être démasqué. Il est entraîné au mensonge. Il sait à quoi s’attendre et comment réagir. Plus important, il sait qu’il réussira. L’assurance anéantit l’appréhension de détection. Mais sur le long terme, un menteur peut commettre des erreurs par négligence, et un minimum d’inquiétude lui est probablement utile. Le détecteur de mensonges électronique, que nous appellerons « décodeur de mensonges », fonctionne sur le même principe de détection des indices de tromperie comportementaux et il souffre de la même vulnérabilité. L’appareil ne détecte pas les mensonges, mais seulement les signes d’émotion. Les capteurs fixés sur le suspect mesurent les modifications de transpiration, rythme respiratoire et pression artérielle. L’augmentation de la pression artérielle ou de la transpiration n’est pas en soi un signe de tromperie. Les mains deviennent moites et le cœur bat plus vite en cas d’émotion. Avant de soumettre un individu au décodeur, les opérateurs essaient généralement de le convaincre que l’appareil est infaillible, en lui faisant passer ce que l’on appelle un test de stimulation. La technique la plus courante consiste à démontrer au suspect que la machine peut identifier quelle carte il choisit dans une pile. Une fois la carte choisie et remise dans la pile, l’opérateur demande au sujet de répondre « non » chaque fois qu’on lui demande si c’est telle carte particulière. Certains des opérateurs utilisant cette technique ne commettent aucune erreur, car ils ne se fient pas à l’appareil, mais utilisent un jeu truqué où les cartes sont marquées. Ils justifient la tromperie du suspect de deux manières. S’il est innocent, il importe qu’il soit convaincu que l’appareil est infaillible, sinon il risque de donner des signes de crainte de ne pas être cru. S’il est coupable, il importe qu’il ait peur d’être démasqué, sans quoi l’appareil ne fonctionnera pas. La plupart des opérateurs ne pratiquent pas cette tromperie et se fient au tracé du décodeur pour repérer la carte choisie 4 . C’est la même chose dans L’honneur des Winslow : le suspect doit croire dans la fiabilité du détecteur. Les signes de peur seront ambigus, sauf si la situation est modifiée de manière que seul un menteur, et non un individu sincère, soit effrayé. Le test du décodeur échoue non seulement parce que certains innocents continuent de craindre d’être accusés à tort ou sont émus pour une raison quelconque lors du test, mais aussi parce que certains criminels ne croient pas à la « magie » de l’appareil. Ils savent qu’ils peuvent le duper et, s’ils en sont conscients, ils ont d’autant plus de chances d’y parvenir. 30 Autre parallèle avec L’honneur des Winslow : l’opérateur du décodeur tente d’extorquer un aveu. Tout comme le père prétend posséder le don de déceler les mensonges afin d’amener son fils à avouer son éventuelle culpabilité, certains opérateurs tentent de convaincre leur suspect qu’ils ne peuvent pas battre l’appareil. Quand un suspect n’avoue pas, certains opérateurs l’intimident en lui disant que le décodeur a démontré qu’il ne disait pas la vérité. En augmentant l’appréhension de détection, ils espèrent pousser le coupable aux aveux. Malheureusement, sous une telle pression, certains innocents avouent simplement pour avoir la paix. Contrairement aux parents, les opérateurs n’ont généralement pas la possibilité d’obtenir des aveux en promettant l’indulgence. Les policiers peuvent s’en approcher en déclarant que la peine sera moins lourde si le suspect avoue. Bien que ne pouvant pas proposer une indulgence totale, les interrogateurs peuvent offrir une amnistie psychologique, espérant obtenir un aveu en laissant entendre que le suspect n’a pas besoin d’avoir honte ni même de se sentir responsable du crime commis. Un interrogateur peut expliquer avec compassion qu’il trouve le crime très compréhensible et qu’il en aurait fait autant dans la même situation. Une autre variante consiste à proposer au suspect une justification du mobile qui lui sauve la face. L’exemple suivant est tiré de l’enregistrement de l’interrogatoire d’un suspect de meurtre – par ailleurs innocent. C’est le policier qui parle : « Il y a des fois où, à cause des circonstances, d’une maladie, de tout un tas de raisons, les gens ne suivent pas le droit chemin. Parfois, on ne peut pas se retenir. Parfois, on commet certains actes dans un moment de passion ou de colère, ou encore parce que quelque chose ne tourne pas rond. Les êtres humains normaux veulent que tout redevienne normal quand quelque chose de mal a été commis 5 . » Pour le moment, nous avons vu comment la réputation d’un détecteur peut influencer l’appréhension de détection chez le menteur et la crainte de ne pas être cru chez l’innocent. Un autre facteur qui influence cette crainte, c’est la personnalité du menteur. Certains individus ont beaucoup de mal à mentir, alors que d’autres en sont capables avec une facilité inquiétante. On en sait bien plus sur ceux qui mentent facilement que sur ceux qui n’en sont pas capables. J’en ai appris un peu plus sur ces derniers lors de mes recherches sur la dissimulation des émotions négatives. J’ai commencé une série d’expériences il y a une dizaine d’années pour vérifier les indices de tromperie que j’avais découverts en analysant le film de la patiente Mary. Rappelez-vous que Mary a dissimulé son angoisse et son désespoir pour que le médecin l’autorise à sortir durant le week-end et qu’elle puisse, en l’absence de surveillance, faire une tentative de suicide. J’ai dû étudier des mensonges similaires chez d’autres individus pour apprendre si les indices de tromperie que j’avais découverts dans ce film apparaissaient chez d’autres sujets. J’avais peu d’espoir de trouver suffisamment 31 d’exemples cliniques. Bien que l’on soupçonne souvent qu’un patient a menti, il est rare que l’on en soit certain, sauf si le patient avoue, comme dans le cas de Mary. Ma seule possibilité était de créer une situation expérimentale modelée sur le mensonge de Mary me permettant d’étudier les erreurs commises par d’autres individus lorsqu’ils mentent. Les sujets de l’expérience devaient éprouver des émotions négatives très intenses et être fortement motivés à les dissimuler. Je suscitai l’émotion négative en projetant aux sujets des scènes d’interventions médicales sanglantes et en leur demandant de dissimuler toutes les émotions qu’ils éprouvaient. Au départ, l’expérience échoua : aucun des sujets ne se donna beaucoup de mal. Je n’avais pas prévu combien il serait difficile de conduire des gens à mentir dans un laboratoire. Les sujets sont embarrassés de savoir que des scientifiques sont témoins de comportements gênants. Et souvent, l’enjeu est si peu élevé que même lorsqu’ils mentent, ils ne se donnent pas autant de mal que dans la vraie vie, quand c’est important. Je sélectionnai des élèves infirmières comme sujets d’expérience parce qu’il était important pour elles de réussir un tel mensonge : les infirmières doivent être capables de dissimuler toute émotion négative quand elles assistent à une intervention ou toute autre scène du même genre. Mon expérience leur offrait donc la possibilité de s’entraîner à cette compétence utile pour leur profession. En outre, cela m’évitait le problème éthique de projeter à n’importe qui des scènes aussi sanglantes, alors que, de par leur choix de carrière, les infirmières acceptent de les subir. Voici les instructions qui leur furent données : « Si vous travaillez aux urgences et qu’une mère se présente avec un enfant grièvement blessé, vous ne pouvez pas laisser voir votre désarroi, même si vous savez que l’enfant souffre horriblement et qu’il a peu de chances de s’en tirer. Vous devez ravaler vos émotions et calmer la mère jusqu’à ce que le médecin arrive. Ou encore, imaginez ce que vous ferez quand vous devrez nettoyer les excréments d’un patient incontinent. Il est déjà gêné ou honteux d’être réduit à un état infantile. Vous serez probablement dégoûtée, mais vous devez dissimuler cette émotion. Cette expérience vous offre l’occasion de tester et pratiquer votre capacité à contrôler l’expression de vos émotions. D’abord, un film agréable de scènes maritimes colorées va vous être projeté et, tout en le regardant, vous devrez décrire sincèrement ce que vous éprouvez à un interlocuteur qui ne peut pas voir le film que vous visionnez. Ensuite, vous seront projetées les pires scènes auxquelles vous pourrez assister durant votre carrière d’infirmière. Tout en les visionnant, vous devrez dissimuler vos véritables émotions afin que votre interlocuteur pense que vous regardez un autre film agréable. Vous pouvez dire par exemple que vous voyez de jolies fleurs dans un parc. Faites le maximum d’efforts. » Nous sélectionnâmes les pires films que nous pûmes trouver. Durant nos études préliminaires, nous avions découvert que certains individus étaient particulièrement bouleversés par les images de brûlures graves, car ils savaient qu’un grand brûlé connaît des souffrances terribles qu’aucun traitement ne peut véritablement soulager. D’autres avaient été plus émus par des scènes d’amputation, d’une part à cause des giclées de sang, mais également à la pensée de ce qu’éprouverait le patient au réveil en constatant 32 qu’il était privé d’un membre. Nous montâmes les deux films ensemble de manière à laisser croire que le grand brûlé subissait une amputation. Ce film affreux devait nous permettre de voir comment les individus peuvent dissimuler des émotions très intenses quand ils le veulent ou y sont obligés. Comme la compétition pour entrer à l’école d’infirmières était très forte, ces jeunes étudiantes avaient toutes d’excellents résultats aux examens, de très bonnes références et des notes élevées. Bien que formant un groupe d’élite, elles présentèrent des différences très marquées dans leur capacité à dissimuler leurs émotions. Certaines s’en tirèrent parfaitement, alors que d’autres en furent totalement incapables. Je découvris dans les entretiens qui suivirent que l’incapacité de mentir en regardant mes films sanglants n’était pas limitée au cadre de mon expérience. Quelques-unes avaient en permanence du mal à mentir sur leurs émotions. Certains individus sont particulièrement sensibles à l’appréhension de détection. Ils redoutent davantage d’être pris en flagrant délit de mensonge. Ils sont convaincus que n’importe qui peut voir s’ils mentent, ce qui ne manque pas. Je fis passer à toutes ces étudiantes plusieurs tests de personnalité objectifs et, à ma surprise, je découvris que celles qui avaient le plus de mal à mentir ne différaient pas dans ces tests du reste de leur groupe. En dehors de cette particularité unique, elles étaient comme tout le monde. Je tentai également d’en apprendre davantage sur celles qui mentaient facilement et avec succès. Les menteurs-nés ont conscience de leur capacité, tout comme ceux qui les connaissent bien. Ils se tirent à bon compte de bien des situations dès leur enfance, dupant leurs parents, professeurs et amis dès que cela leur chante. Ils n’éprouvent aucune appréhension de détection mais exactement le contraire. Ils sont confiants dans leur aptitude à tromper. Une telle assurance, une si faible appréhension de détection lors du mensonge constituent l’un des traits caractéristiques de la personnalité psychopathe. Mais c’est le seul que les menteurs-nés ont en commun avec les psychopathes. Contrairement à ces derniers, les menteurs-nés ne font pas preuve de mauvais jugement et ils n’ont aucun mal à tirer des leçons de l’expérience. Ils ne possèdent pas non plus les autres caractéristiques des psychopathes, « charme superficiel, absence de remords ou de honte ; comportement antisocial sans scrupules ; égocentrisme pathologique et incapacité à aimer 6 ». Les menteuses-nées de mon expérience ne différaient pas des autres dans leurs résultats à divers tests de personnalité objectifs. Elles ne présentaient aucune trace de personnalité psychopathique. Elles n’avaient rien d’antisocial dans leur attitude. Contrairement aux psychopathes, elles n’utilisaient pas leur capacité pour nuire à autrui. Les menteurs-nés, extrêmement doués pour tromper mais non dénués de conscience, devraient exploiter leur talent en exerçant certaines professions – acteurs, vendeurs, avocats, négociateurs, espions ou diplomates. Ceux qui étudient les tromperies militaires se sont intéressés aux caractéristiques d’un individu capable de mentir avec talent : « Il doit avoir un esprit combinatoire 33 souple, un esprit qui travaille en réduisant idées, concepts ou “mots” aux composants de base pour les recombiner différemment. Ce type de pensée est par exemple utilisé dans le Scrabble. Les plus grands praticiens de la tromperie sont extrêmement individualistes et compétitifs ; ils ont peine à s’insérer dans une hiérarchie et préfèrent travailler seuls. Ils sont souvent convaincus de la supériorité de leurs opinions. D’une certaine manière, ils correspondent au personnage de l’artiste bohème solitaire et excentrique, sauf qu’ils pratiquent un art différent. C’est apparemment le seul dénominateur commun de ces grands praticiens de la tromperie que furent Churchill, Hitler, Moshe Dayan et T.E. Lawrence 7 . » Ces « grands praticiens » ont besoin de deux facultés différentes : celle nécessaire pour planifier une stratégie trompeuse et celle exigée pour berner un interlocuteur lors d’un tête-à-tête. Hitler possédait apparemment les deux, mais on peut imaginer qu’un individu excelle dans un domaine et pas dans l’autre. Malheureusement, les caractéristiques des trompeurs qui réussissent ont été très peu étudiées. Aucune étude n’a cherché à savoir si la personnalité du trompeur qui réussit diffère selon le domaine où il pratique cette tromperie. J’estime que non, et que ceux qui mentent avec succès dans le domaine militaire peuvent réussir tout autant dans celui des affaires. J’ai décrit deux déterminants de l’appréhension de détection : la personnalité du menteur et, avant cela, la réputation et le caractère du détecteur. Mais il faut également prendre en compte l’enjeu du mensonge. La règle est simple : plus l’enjeu est important, plus l’appréhension de détection est élevée. Mais appliquer cette règle simple peut se révéler compliqué, car il n’est pas toujours facile de déterminer ce qui est en jeu. C’est parfois facile. Puisque les élèves infirmières ont une forte motivation à réussir dans leur carrière, surtout en début de formation, l’enjeu était élevé dans notre expérience. En conséquence, les infirmières auraient dû avoir une appréhension de détection élevée, qui pouvait trahir d’une autre manière leur tromperie. L’appréhension de détection aurait été plus faible si leurs carrières n’avaient pas paru impliquées. Par exemple, la plupart se seraient moins inquiétées d’échouer si on leur avait demandé de dissimuler leurs émotions concernant la moralité du vol à l’étalage. Les enjeux auraient été accrus si elles avaient été amenées à croire que celles qui échouaient à l’expérience ne seraient pas admises à l’école d’infirmières. Notre étude a démontré que celles qui avaient le mieux réussi l’expérience, les plus capables de dissimuler leurs émotions, furent les meilleures durant les trois années de leur formation. Plus sa commision sera élevée, plus un vendeur qui trompe son client se souciera d’une vente. Parfois, la récompense évidente n’est pas celle qui compte le plus pour le menteur. Le vendeur cherche peut-être à être admiré de ses collègues. Embobiner un client difficile peut s’accompagner d’une récompense plus élevée en termes d’admiration, 34 même si la commission touchée est faible. Les enjeux peuvent être très élevés au poker, même quand aucun argent n’est misé, si l’un des joueurs veut battre un rival pour gagner l’affection de sa petite amie. Pour certains individus, gagner est l’enjeu suprême. Peu importe qu’il s’agisse d’argent ou d’estime : pour eux, les enjeux sont extrêmement élevés dans n’importe quelle compétition. Ce qui est en jeu est parfois si personnel qu’aucun observateur extérieur ne peut le savoir directement. Le dragueur peut éprouver plus de plaisir à tromper son épouse – répétant par là une sorte de pulsion à cacher des choses à maman – qu’à satisfaire un désir ardent. L’appréhension de détection devrait être plus grande quand l’enjeu n’est pas seulement de remporter une récompense, mais aussi d’échapper à un châtiment. Quand la décision de tromper est prise au départ, l’enjeu est généralement d’obtenir une récompense. Le menteur pense surtout à ce qu’il peut gagner. Un individu qui détourne des fonds peut uniquement songer à tout ce qu’il pourra s’offrir s’il réussit. Une fois que la tromperie dure depuis un certain temps, il se peut que la récompense ne soit plus accessible. L’entreprise peut prendre conscience de ses pertes et se montrer assez soupçonneuse pour que le détourneur ne puisse plus voler d’argent. Dès lors, il poursuit sa tromperie pour éviter d’être démasqué, car le seul enjeu qui demeure est le châtiment. Éviter le châtiment peut également être l’enjeu dès le départ si la cible est soupçonneuse ou si le menteur a peu d’assurance. Deux châtiments sont en jeu dans la tromperie : la punition qui guette le coupable si son mensonge échoue, et le châtiment pour le simple fait d’avoir entrepris une tromperie. L’appréhension de détection sera plus élevée si les deux types de châtiment sont en jeu. Parfois, la punition lorsque le menteur est démasqué est bien pire que le châtiment que le mensonge servait à éviter. Dans L’honneur des Winslow, le père fait bien comprendre que c’est le cas. Si le détecteur explique clairement au suspect avant de l’interroger que la punition du mensonge sera pire que le châtiment du crime, il a plus de chances de dissuader le suspect de se lancer dans un mensonge. Les parents devraient savoir que la sévérité de leur châtiment est l’un des facteurs qui influence la disposition des enfants à avouer ou cacher leurs méfaits. On en trouvera la description classique dans le récit plus ou moins fictif de Mason Locke Weems, The Life of George Washington. Le père s’adresse au jeune George : « Beaucoup de parents, en vérité, forcent même leurs enfants à cette méprisable pratique [le mensonge] en les battant cruellement pour chaque petite faute : dès lors, à son prochain méfait, le pauvre être terrifié profère un mensonge ! Simplement pour échapper au bâton. Mais en ce qui te concerne, George, tu sais que je t’ai toujours dit, et je te le répète, que si par mégarde tu fais quelque chose de mal, ce qui sera souvent le cas, car tu n’es encore qu’un pauvre petit enfant sans expérience ni savoir, tu ne dois jamais dire un mensonge pour le dissimuler ; mais venir bravement, mon fils, comme un homme et m’en parler. Et au lieu de te battre, George, je ne t’en honorerai et ne t’en aimerai que davantage, mon cher enfant. » 35 Il n’y a pas que les enfants qui, simplement en mentant, peuvent perdre plus qu’en disant la vérité. Un mari peut dire à son épouse que, bien que blessé, il lui aurait pardonné sa liaison si elle n’avait pas menti à son propos. Il pourrait prétendre que la perte de confiance est plus grande que son infidélité. Son épouse pourrait l’avoir ignoré et il est possible que ce ne soit pas vrai. Avouer une liaison peut être interprété comme de la cruauté, et l’époux meurtri peut prétendre qu’un conjoint vraiment attentionné devrait garder le secret sur ses incartades. Mari et femme peuvent ne pas être d’accord. Les sentiments peuvent changer au cours du mariage. Les comportements peuvent changer radicalement entre le moment où la question était seulement hypothétique et celui où une liaison a réellement lieu. Même si celui qui faute sait que les dommages, s’il est pris en flagrant délit de mensonge, seront pires que ce qu’il encourt s’il avoue la faute, le mensonge peut encore être tentant, étant donné que dire la vérité apporte une punition immédiate et certaine, alors qu’un mensonge promet la possibilité d’éviter tout châtiment. La perspective de se soustraire à un châtiment immédiat peut être si séduisante que le désir de choisir cette voie amène le menteur à sous-estimer la probabilité d’être démasqué et ce qu’il lui en coûtera. On reconnaît trop tard qu’un aveu aurait été une meilleure option, quand la tromperie dure depuis trop longtemps et de manière si élaborée que l’avouer ne rapporte plus un châtiment moindre. Parfois, le coût relatif de l’aveu par rapport à la poursuite de la dissimulation est peu ambigu. Certains actes sont en soi si vils que les avouer rapporte peu de reconnaissance tandis que les dissimuler n’ajoute pas grand-chose au châtiment qui attend le coupable. C’est le cas si le mensonge dissimule la maltraitance d’un enfant, l’inceste, un meurtre, une trahison ou des actes terroristes. Contrairement aux récompenses possibles pour certains infidèles repentants, ceux qui avouent de tels crimes ne peuvent attendre le pardon, bien qu’un aveu assorti de remords puisse atténuer le châtiment. De la même manière, rares sont ceux qui en les découvrant seront scandalisés qu’ils aient été dissimulés. Ce ne sont pas seulement des individus méchants ou cruels qui peuvent se trouver dans cette situation. Le Juif qui dissimulait son identité dans un pays occupé par les nazis ou l’espion en temps de guerre gagnent peu à avouer et ne perdent rien à tenter de maintenir leur mensonge. Quand il est totalement impossible d’obtenir un châtiment atténué, un menteur peut encore avouer pour s’éviter la charge de devoir maintenir sa tromperie, mettre un terme à la souffrance provoquée par un niveau élevé d’appréhension de détection, ou soulager sa culpabilité. Un autre facteur est à prendre en considération dans la manière dont l’enjeu importe : ce qui peut être gagné ou perdu par la cible et non pas seulement par le menteur. Généralement, les gains du menteur se font aux dépens de sa cible. Celui qui détourne de l’argent gagne ce que son employeur perd. Ce n’est pas toujours équitable. La commission qu’obtient un vendeur en mentant sur un produit peut être beaucoup plus basse que la perte subie par le client naïf. Les enjeux pour le menteur et la cible peuvent 36 être différents, non seulement en quantité mais en espèce. Un mari volage peut gagner une liaison, alors que l’épouse trompée perd son amour-propre. Quand les enjeux pour le menteur et la cible sont différents, ils peuvent être l’élément déterminant de l’appréhension de détection du menteur. Cela dépend si le menteur reconnaît cette différence. Le menteur n’est pas la source la plus fiable pour estimer ce qui est en jeu pour sa cible. Il a un intérêt personnel à croire ce qui sert ses objectifs. Le menteur se réconforte en pensant que sa cible tire de son mensonge un bénéfice au moins égal sinon supérieur au sien. Cela peut arriver. Toutes les cibles ne pâtissent pas des mensonges. Certaines tromperies sont altruistes : « Un garçon de onze ans, blessé mais en vie, a été retiré hier de l’épave d’un petit avion qui s’est écrasé dimanche dans les montagnes du parc national de Yosemite. Il avait survécu à plusieurs jours de violent blizzard et à des températures nocturnes glaciales sur le lieu de l’accident, à trois mille mètres d’altitude, blotti dans un sac de couchage au fond de l’épave enfouie sous la neige, seul. “Et mes parents ? Ils vont bien ?” a demandé le garçon. Les sauveteurs ne lui ont pas dit que son beau-père et sa mère étaient morts, toujours attachés à leur siège dans le cockpit fracassé, à moins de un mètre 8 . » Rares sont ceux qui nieront qu’il s’agit là d’un mensonge altruiste, qui bénéficie à la cible sans apporter le moindre gain aux sauveteurs. Le fait que la cible tire un bénéfice ne signifie pas qu’il n’y a pas un niveau très élevé d’appréhension de détection. Si les enjeux sont élevés, ce niveau le sera tout autant, quel que soit le bénéficiaire. Redoutant que l’enfant ne puisse supporter le choc de la nouvelle, les sauveteurs avaient toutes les raisons de s’inquiéter que leur dissimulation réussisse. Pour résumer, l’appréhension de détection est la plus intense quand : la cible a la réputation d’être difficile à duper ; la cible est d’emblée soupçonneuse ; le menteur est peu entraîné et n’a encore jamais réussi ; le menteur est particulièrement sensible à la peur d’être démasqué ; les enjeux sont élevés ; une récompense et un châtiment sont en jeu ; ou bien seul un châtiment est en jeu ; le châtiment du flagrant délit de mensonge est important, ou bien le châtiment de ce que le mensonge couvre est si élevé qu’il n’y a aucun intérêt à avouer ; la cible ne bénéficie aucunement du mensonge. La culpabilité de tromperie Ce terme désigne le sentiment de culpabilité éprouvé lorsque l’on ment, et non la culpabilité au sens légal. La culpabilité de tromperie doit également être distinguée du sentiment de culpabilité concernant le contenu d’un mensonge. Imaginons que dans L’honneur des Winslow, Ronnie ait réellement volé de l’argent. Il peut éprouver de la 37 culpabilité à propos du vol lui-même – se considérer comme un monstre à cause de son geste. Si Ronnie dissimulait ce vol à son père, il éprouverait également de la culpabilité pour avoir menti : ce serait en l’occurrence de la culpabilité de tromperie. Il n’est pas nécessaire d’éprouver de la culpabilité concernant la teneur d’un mensonge pour se sentir coupable de tromperie. Imaginons que Ronnie ait volé l’argent à un garçon qui aurait triché pour battre Ronnie lors d’un concours à l’école. Ronnie pourrait ne pas éprouver de culpabilité de voler un condisciple aussi malveillant : cela pourrait même passer pour une vengeance méritée. Mais il pourrait tout de même éprouver de la culpabilité de tromperie parce qu’il dissimule le vol au directeur ou à son père. La patiente Mary ne se sent pas coupable de projeter de se suicider, mais elle éprouve de la culpabilité à mentir à son médecin. Comme l’appréhension de détection, la culpabilité de tromperie peut varier en intensité. Elle peut être légère, ou si forte que le mensonge échoue parce que la culpabilité de tromperie suscite des fuites ou des indices de tromperie. Quand elle est extrême, la culpabilité de tromperie devient une torture qui sape l’estime de soi du menteur. Le désir de se soulager de cette culpabilité peut motiver des aveux, malgré la probabilité du châtiment pour les méfaits avoués. Quand l’individu prend la décision de mentir, il ne prévoit pas toujours avec justesse les souffrances que provoquera la culpabilité de tromperie. Le menteur ne se rend pas toujours compte du choc qu’il subira quand sa victime le remerciera de sa prétendue sollicitude, ou qu’il verra quelqu’un d’autre accusé de son méfait. Si de telles scènes suscitent typiquement la culpabilité, pour d’autres individus, c’est ce qui donne tout le sel à un mensonge. Il y a une autre raison pour laquelle le menteur sous-estime la culpabilité de tromperie qu’il éprouvera : c’est seulement à mesure que le temps passe qu’il peut s’apercevoir qu’un seul mensonge ne suffit pas, qu’il doit le réitérer constamment et souvent l’enjoliver d’autres mensonges afin de préserver la tromperie originelle. La honte est un sentiment proche de la culpabilité, mais avec une différence qualitative clé. Pour être éprouvée, la culpabilité n’a pas besoin d’un « public », il n’est pas nécessaire qu’un tiers soit au courant, car celui qui se sent coupable est son propre juge. Il n’en est pas de même pour la honte. L’humiliation de la honte nécessite la réprobation ou la moquerie de tiers. Si personne n’apprend le méfait, il n’y aura pas de honte, mais il peut y avoir encore de la culpabilité. Bien sûr, il peut y avoir les deux. La distinction entre honte et culpabilité est donc très importante, puisque ces deux émotions peuvent déchirer un individu : le besoin de soulager sa culpabilité peut motiver un aveu, alors que le désir d’éviter l’humiliation de la honte peut le retenir. Imaginons que dans L’honneur des Winslow Ronnie ait volé l’argent, qu’il s’en sente extrêmement coupable et éprouve aussi de la culpabilité de tromperie d’avoir dissimulé 38 son méfait. Ronnie pourrait vouloir avouer pour soulager la torture de sa conscience coupable. Pourtant, la honte qu’il éprouve en imaginant comment son père réagira pourrait l’en empêcher. Afin de l’encourager à avouer, rappelez-vous que son père lui propose l’indulgence : il ne sera pas puni s’il avoue. La diminution de la crainte du châtiment de Ronnie devrait réduire son appréhension de détection, mais son père doit tout de même diminuer sa honte s’il veut amener Ronnie à avouer. Le père s’y efforce donc en assurant à Ronnie qu’il lui pardonnera, mais il diminuerait encore plus la honte et accroîtrait la probabilité d’aveu s’il recourait à un stratagème similaire à celui de l’interrogateur qui essaie de faire avouer un suspect de meurtre. Il pourrait par exemple lui dire : « Je comprends qu’on puisse voler, j’en aurais fait autant dans ta situation, tenté comme tu l’étais. Tout le monde commet des erreurs dans la vie et ce n’est qu’après qu’on se rend compte que c’était mal. Parfois, on ne peut tout simplement pas se retenir. » Bien sûr, un père honnête aurait du mal à cautionner un vol et, contrairement à un policier, pourrait ne pas être disposé à mentir pour obtenir un aveu. Certains individus sont particulièrement sensibles à la honte du mensonge et à la culpabilité de tromperie. Il s’agit par exemple de ceux qui ont eu une éducation très stricte selon laquelle mentir est l’un des péchés les plus graves. Pour d’autres, l’éducation n’a pas condamné particulièrement le mensonge, mais instillé des sentiments de culpabilité prononcés. Ces individus semblent rechercher des situations dans lesquelles ils peuvent renforcer leur culpabilité et s’exposer sans honte devant autrui. Malheureusement, peu d’études ont été consacrées aux individus sensibles à la culpabilité. Mais nous en savons plus sur leurs contraires. Le chroniqueur Jack Anderson parle d’un menteur qui n’éprouva jamais ni honte ni culpabilité dans un article attaquant la crédibilité de Mel Weinberg, témoin principal du FBI dans l’opération Abscam. Il décrit ainsi la réaction de Weinberg quand son épouse découvrit la liaison qu’il entretenait secrètement depuis quatorze ans : « Quand Mel rentra enfin chez lui, il accueillit avec désinvolture la demande d’explications de Marie. “Je me suis fait prendre, et alors ? Je t’ai toujours dit que j’étais le plus grand menteur du monde.” Puis il s’installa dans son fauteuil préféré, commanda des plats chinois… et demanda à Marie de lui faire une manucure. » L’incapacité de se sentir coupable ou honteux de ses méfaits est considérée comme la marque de l’individu psychopathe, si cette absence de culpabilité ou de honte envahit tous les aspects de sa vie ou presque. Il est évidemment impossible de faire un tel diagnostic en se fondant uniquement sur un article de journal. Les experts sont partagés sur la cause de cette absence : est-elle due à l’éducation ou à des facteurs biologiques ? Mais tous conviennent que ni la culpabilité éprouvée pour un mensonge ni la peur d’être démasqué n’amènent un psychopathe à commettre des erreurs quand il ment. Quand le menteur ne partage pas de valeurs sociales avec sa victime, il éprouve peu de culpabilité de tromperie. L’individu se sent moins coupable de mentir à quelqu’un qu’il considère négativement. 39 Un mari infidèle dont l’épouse est froide et se refuse à lui se sentira moins coupable d’avoir une liaison. Un révolutionnaire ou un terroriste se sent rarement coupable de tromper les représentants de l’État. Un espion n’a aucun scrupule à tromper sa victime. Un ancien agent de la CIA le formule ainsi : « Si on enlève toutes les fioritures, le travail d’un espion est de trahir la confiance 9 . » Lorsque je conseillais des responsables des services de sécurité traquant des gens qui cherchaient à assassiner un membre haut placé du gouvernement, je ne pouvais pas espérer que la culpabilité de tromperie suscite des indices. Les assassins peuvent craindre d’être démasqués s’ils ne sont pas professionnels, mais ils n’éprouvent probablement aucune culpabilité concernant leurs projets. Un criminel endurci n’a aucun scrupule à tromper un inconnu. Le même principe est à l’œuvre pour expliquer pourquoi un diplomate ou un espion ne se sentent pas coupables de tromper l’adversaire. Il n’y a pas de valeurs communes. Le menteur fait le bien pour sa partie. Mentir est autorisé dans la plupart de ces exemples : chacun de ces individus invoque une norme sociale bien définie qui légitime de tromper un adversaire. Il y a peu de culpabilité quand les cibles appartiennent à un autre camp et ont des valeurs différentes. Il peut également être autorisé à tromper des cibles qui ne sont pas des adversaires et qui partagent des valeurs avec le menteur. Un médecin peut ne pas éprouver de culpabilité à mentir à un patient s’il estime que c’est pour le bien de ce dernier. Administrer à un patient un placebo est une tromperie médicale aussi ancienne que respectée. Si le patient se sent mieux, ou du moins s’il cesse de réclamer au médecin un remède non nécessaire qui pourrait même lui nuire, beaucoup de médecins estiment que le mensonge est justifié. Le serment d’Hippocrate n’exige pas l’honnêteté avec le patient. Le médecin est censé faire ce qui aide le patient. Pourtant, si l’utilisation du placebo soulage 30 à 40 % des patients, certains chercheurs et philosophes médicaux estiment que cette pratique compromet la confiance nécessaire dans la relation médecin-patient et laisse le champ libre à des tromperies plus dangereuses. Le prêtre qui dissimule la confession d’un criminel quand la police l’interroge ne devrait pas éprouver de culpabilité de tromperie. Ses vœux autorisent cette dissimulation. Il n’en tire aucun bénéfice ; c’est le criminel qui en bénéficie, son identité restant tue. Les élèves infirmières de mon expérience n’éprouvèrent aucune culpabilité de tromperie à dissimuler leurs émotions. La tromperie était autorisée par les exemples qui leur étaient donnés : une infirmière doit dissimuler pour accomplir sa tâche et soulager la souffrance du patient. Il arrive que le menteur ne s’aperçoive ni n’admette qu’il tire souvent lui-même un bénéfice d’une tromperie présentée comme altruiste. Le vice-président d’une compagnie d’assurances expliqua que dire la vérité peut être ignoble quand elle touche l’ego d’un tiers : « Parfois, il est difficile de dire à un candidat qu’il ne sera jamais membre du conseil d’administration 10 . » L’amour-propre du candidat est indemne, mais le viceprésident n’a pas souffert non plus : il peut se révéler difficile d’affronter la déception du candidat, voire ses protestations, surtout s’il estime le vice-président responsable de la 40 décision négative. Le mensonge les épargne tous les deux. On pourrait bien sûr arguer que le candidat est lésé par le mensonge, privé de l’information qui, bien que déplaisante, pourrait lui permettre d’améliorer sa performance ou de chercher ailleurs un emploi. De la même manière, on peut arguer que le médecin qui administre un placebo, tout en étant altruiste, bénéficie aussi du mensonge. Il n’a pas à affronter la frustration ou la déception du patient en lui apprenant qu’il n’y a pas de remède à sa maladie, ni la colère du patient si celui-ci apprend que le médecin lui a administré un placebo parce qu’il le juge hypocondriaque. Là encore, savoir si le mensonge bénéficie au patient ou le lèse est sujet à débat. Cependant, il existe des mensonges totalement altruistes où le menteur ne tire aucun bénéfice : le prêtre qui dissimule la confession d’un criminel, les sauveteurs qui n’annoncent pas à un enfant que ses parents sont morts dans l’accident d’avion. Si un menteur pense qu’il ne gagne rien à son mensonge, il n’éprouvera probablement aucune culpabilité de tromperie. Même les tromperies égoïstes peuvent ne pas susciter de culpabilité de tromperie quand le mensonge est autorisé. Les joueurs de poker n’en éprouvent aucune quand ils bluffent. Il en est de même du marchandage, que ce soit dans un bazar du MoyenOrient, à Wall Street ou dans une agence immobilière. Un article sur le mensonge dans l’industrie déclare : « Le mensonge le plus fameux de tous est sans doute : “C’est ma dernière offre.” Dans le monde des affaires, une telle phrase est non seulement acceptée, mais attendue. Durant les négociations collectives, par exemple, personne n’est censé mettre toutes ses cartes sur la table dès le début 11 . » Le propriétaire qui demande plus pour sa maison que ce qu’il accepterait de la vendre ne se sent pas coupable s’il obtient le prix demandé. Son mensonge est autorisé. Comme les participants s’attendent à recevoir des informations fausses et non la vérité, le marchandage et le poker n’entrent pas dans la définition du mensonge. De par leur nature, ces situations comportent l’avertissement préalable que personne ne dira la vérité. Seul un imprudent montre sa main au poker ou demande le prix le plus bas qu’il puisse accepter lorsqu’il met sa maison en vente. La culpabilité de tromperie est la plus probable quand mentir n’est pas autorisé. Elle devrait être la plus prononcée lorsque la cible est confiante et ne s’attend pas à être dupée parce que l’honnêteté est autorisée entre un menteur et sa cible. Dans ces duperies opportunistes, la culpabilité de tromperie sera plus grande si la perte de la cible est au moins égale au gain du menteur. Même dans ce cas, il y aura peu (ou pas) de culpabilité, sauf si le menteur et la cible partagent certaines valeurs. L’adolescent qui dissimule à ses parents sa consommation de marijuana n’éprouvera peut-être pas de culpabilité de tromperie s’il estime que ses parents ont tort de croire que la drogue est dangereuse et s’il croit savoir d’expérience que leur jugement est généralement faussé. S’il estime en plus qu’ils sont hypocrites en consommant de l’alcool et en lui interdisant l’usage d’une autre drogue récréative, il aura encore moins de probabilité d’éprouver de la culpabilité. Même s’il n’est pas d’accord avec ses parents sur la marijuana et d’autres questions, s’il a encore pour eux de l’attachement et de l’affection, il peut éprouver de la 41 honte s’ils découvrent son mensonge. La honte nécessite le respect de ceux qui réprouvent ; faute de quoi, la réprobation n’apporte que colère et mépris, et non la honte. Le menteur se sent moins coupable quand sa cible est impersonnelle ou totalement anonyme. Une cliente qui dissimule dans un magasin une erreur de caisse en sa faveur se sentira moins coupable si elle ne connaît pas le caissier. Si celui-ci est le propriétaire ou un membre de sa famille, s’il s’agit d’une petite boutique familiale, la cliente menteuse se sentira plus coupable que si elle se trouvait dans un grand magasin. Si la cible est anonyme, il est plus facile de diminuer sa culpabilité en s’imaginant que la cible n’est pas vraiment lésée, s’en moque, ne remarquera même pas le mensonge ou même mérite d’être lésée ou le désire. Il y a souvent une relation inverse entre culpabilité de tromperie et appréhension de détection. Ce qui diminue la culpabilité à propos du mensonge augmente la crainte d’être démasqué. C’est parce que la dissimulation avait un sens dans leur profession – elle était autorisée – que les élèves infirmières y prêtaient assez attention pour redouter d’échouer dans mon expérience. Elles avaient une forte appréhension de détection et une faible culpabilité de tromperie. L’employeur qui ment à l’employé qu’il soupçonne de détourner de l’argent en dissimulant ses soupçons pour le prendre en flagrant délit a une forte probabilité d’éprouver une appréhension de détection élevée mais une faible culpabilité de détection. Les facteurs mêmes qui augmentent la culpabilité de tromperie peuvent également diminuer l’appréhension de détection. Un menteur peut se sentir coupable de tromper une cible confiante, mais il aura moins peur d’être démasqué par quelqu’un qui ne s’attend pas à être exploité. Bien sûr, il est possible pour un individu de se sentir à la fois très coupable de mentir et très effrayé d’être démasqué, ou au contraire très peu. Tout dépend des particularités de la situation, du menteur et du détecteur. La motivation de certains individus à mentir peut même parfois être partiellement le désir d’éprouver de la culpabilité. Cependant, la plupart des gens trouvent la culpabilité si déplaisante qu’ils cherchent plutôt à la diminuer. Il existe de nombreuses manières de justifier la tromperie. Elle peut être considérée comme la réparation d’une injustice. On peut considérer qu’une cible malveillante ou méchante ne mérite pas qu’on soit honnête avec elle. « Comme le patron est tellement avare et qu’il ne m’a pas récompensé de tout le travail que j’ai fait, je me suis servi tout seul. » La victime peut être vue comme si naïve que le menteur considère que la faute revient à elle et non à lui. Une cible facile ne demande qu’à être touchée. J’ai mentionné plus haut deux autres justifications du mensonge qui diminuent la culpabilité de tromperie. D’abord, un objectif noble ou une exigence de la fonction : rappelez-vous Nixon qui refusait de qualifier ses contrevérités de mensonges parce qu’elles étaient selon lui nécessaires pour remporter et conserver sa fonction. L’autre justification est la protection de la cible. Parfois, le menteur va jusqu’à prétendre que la 42 cible était consentante. Si la cible a coopéré au mensonge, si elle connaissait la vérité depuis le début mais prétendait le contraire, dès lors, dans un sens, il n’y a pas de mensonge et le menteur est déchargé de toute responsabilité. Une cible réellement consentante aide le menteur à entretenir la tromperie en ne remarquant pas les signes qui trahissent le mensonge. Bien sûr, une cible non consentante essaiera, si elle est soupçonneuse, de découvrir la tromperie. Nous trouvons un intéressant exemple de cible consentante dans l’histoire de Robert Leuci, que j’ai abordée à la fin du chapitre 1. Leuci a connu la gloire grâce au livre et au film Le prince de New York qui se présentent comme un récit authentique. Quand Leuci arriva dans le service des procureurs fédéraux, ceux-là lui demandèrent quels crimes il avait lui-même commis. Il n’en avoua que trois. Ceux qu’il contribua à inculper déclarèrent qu’il en avait commis bien plus qu’il n’en avait avoué. En conséquence de quoi, puisqu’il avait menti sur son propre passé, les dépositions qu’il faisait contre eux ne pouvaient être prises en compte. Ces allégations ne furent jamais prouvées et beaucoup de gens furent inculpés sur la foi de la déposition de Leuci. Alan Dershowitz, l’avocat de Rosner, l’un des accusés, rapporte une conversation postérieure au procès où Leuci lui avoua qu’il avait effectivement commis d’autres crimes : « Je lui [Leuci] déclarai qu’il était difficile pour moi de croire que Shaw [le procureur fédéral] n’était pas au courant des autres crimes avant le procès de Rosner. – Je suis convaincu qu’au fond de son cœur, il savait que j’en avais commis davantage, déclara Leuci. Ce n’était pas possible autrement. Mike Shaw n’est pas un imbécile. – Dans ce cas, comment a-t-il pu rester sans rien dire pendant que vous mentiez à la barre ? demandai-je. – Il n’avait pas la certitude consciente que je mentais, continua Leuci. Il le soupçonnait sûrement et en était probablement convaincu, mais je lui avais dit de ne pas insister et il ne l’a pas fait. Je lui ai dit “trois crimes” et il ne devait pas aller plus loin. Les procureurs subornent le parjure tous les jours, Alan. Vous le savez bien 12 . » Dershowitz apprit plus tard que cet aveu de mensonge était également un mensonge. Un policier, présent lors du premier entretien entre Leuci et les procureurs fédéraux, raconta à l’avocat que Leuci avait avoué dès le début beaucoup plus que les trois crimes qu’il devait reconnaître plus tard publiquement. Les procureurs fédéraux furent complices de Leuci dans la dissimulation de ses antécédents criminels afin de préserver sa crédibilité en tant que témoin : un jury peut croire un policier s’il n’a commis que trois crimes, mais pas s’il en a commis une quantité. Après les procès, quand il fut largement connu que Leuci avait un casier chargé, ce dernier mentit à Dershowitz, prétendant que les procureurs étaient des victimes consentantes, n’avouant pas qu’ils étaient complices de la dissimulation de son passé criminel pour qu’il tienne sa parole, les protégeant tant qu’eux-mêmes le protégeaient. Ne se fiant pas à l’honneur des voleurs, Leuci aurait conservé un enregistrement de ses aveux aux procureurs. Ainsi, ceux-là ne pourraient jamais prétendre à leur innocence et, comme Leuci avait toujours la possibilité de rendre publique leur parjure sur son témoignage, il pouvait être certain 43 que les procureurs tiendraient leur engagement et le protégeraient de toute poursuite criminelle. Quelle que soit la vérité concernant Leuci, sa conversation avec Alan Dershowitz fournit un excellent exemple de la manière dont une cible consentante qui tire profit d’un mensonge peut aider le menteur à exécuter la tromperie. Certains peuvent coopérer avec un mensonge pour des raisons moins malveillantes. En matière de politesse, la cible de la tromperie est souvent consentante. L’hôtesse accepte sans chercher à creuser l’excuse d’un invité qui s’éclipse un peu tôt. L’important est l’absence d’affront, prétendument pour épargner l’amour-propre de l’hôtesse. Comme la cible non seulement est consentante mais l’a en un sens exprimé, les contrevérités exigées par l’étiquette de la politesse n’entrent pas dans ma définition du mensonge. L’amour est un autre exemple de tromperie bénigne, dans laquelle la cible accepte d’être trompée, les deux parties collaborant afin d’entretenir mutuellement leurs mensonges. Comme l’écrit Shakespeare : « Quand elle jure qu’elle est faite de vérité, je la crois tout en sachant qu’elle ment, aussi peut-elle me penser jeune et innocent, ignorant en fausse mondaine subtilité. « Croyant en vanité que jeune elle me croit, bien qu’elle sache le meilleur de mes jours passé, simplement à sa menteuse langue je fais foi : des deux côtés vérité simple escamotée. « Mais pourquoi ne dit-elle pas qu’elle est fausse ? Et pourquoi ne dis-je pas que je suis vieux ? Oh ! le meilleur jeu d’amour est sembler confiance, l’âge en amour n’aime pas dire les années. « C’est pourquoi je lui mens, et elle avec moi ment, et dans nos fautes nous sommes flattés en mentant *1 13 . » Bien sûr, les tromperies amoureuses ne sont pas toutes aussi bénignes et les cibles ne sont pas toutes consentantes. Ce n’est pas au menteur qu’il faut se fier pour savoir si sa cible est ou non consentante. Il a tendance à la juger consentante parce que cela atténue sa culpabilité. S’il peut amener sa cible à admettre qu’elle est soupçonneuse, il est au moins en partie déchargé. Une cible d’abord non consentante peut le devenir au bout d’un certain temps afin d’éviter le coût de la découverte de la tromperie. Imaginez la pénible situation d’un membre d’un gouvernement qui commence à soupçonner que la maîtresse à laquelle il confie des informations sur son travail est une espionne. De la même manière, un recruteur peut devenir la victime consentante d’un candidat menteur, une fois que celui-ci a été embauché, plutôt que de devoir reconnaître une erreur de jugement. Roberta Wohlstetter rapporte de nombreux exemples de dirigeants nationaux devenus des victimes consentantes de leurs adversaires : Chamberlain n’est pas resté un cas isolé. « Dans tous ces exemples d’erreurs persistant sur une longue période, devant des preuves croissantes et parfois patentes, la victime se rassure par des pensées réconfortantes sur la bonne foi de son adversaire et les intérêts 44 communs qu’elle est censée partager avec lui. Un adversaire n’a besoin que d’aider un peu sa victime pour cela ; elle aura tendance à trouver une justification à ce qui sinon aurait paru un geste menaçant 14 . » Pour résumer, la culpabilité de tromperie est la plus intense quand : la cible n’est pas consentante ; la tromperie est totalement égoïste, la cible ne tire aucun bénéfice du mensonge et perd au moins l’équivalent de ce que le menteur gagne ; la tromperie n’est pas autorisée et la situation fait partie de celles où l’honnêteté est permise ; le menteur n’a pas pratiqué la tromperie depuis longtemps ; le menteur et la cible ont des valeurs sociales communes ; le menteur a un lien personnel avec la cible ; la cible ne peut pas être facilement taxée de malveillance ou de naïveté ; il y a des raisons pour que la cible s’attende à être trompée ; tout au contraire, le menteur a agi pour gagner sa confiance. Le plaisir de duper Jusqu’ici, je n’ai abordé que les sentiments négatifs qui peuvent apparaître lorsqu’un individu ment : la crainte d’être démasqué et la culpabilité de tromper la cible. Mais mentir peut également susciter des émotions positives. Le mensonge peut être vu comme un exploit. Le menteur peut éprouver de l’excitation, soit dans l’anticipation du défi à relever, soit au moment même du mensonge, quand la réussite n’est pas encore certaine. Par la suite, il peut connaître le plaisir du soulagement, la fierté de l’exploit accompli ou un mépris satisfait envers sa cible. Le plaisir de duper recouvre tout ou partie des sentiments qui peuvent, s’ils ne sont pas dissimulés, trahir la tromperie. Nous trouvons un exemple innocent du plaisir de duper lorsqu’une plaisanterie consiste à mener en bateau un ami crédule. Le plaisantin doit dissimuler son plaisir de duper, même si sa performance est en grande partie destinée à un public qui apprécie que le naïf se laisse berner. Le plaisir de duper est plus ou moins intense. Il peut être inexistant, presque insignifiant en comparaison de l’appréhension de détection ressentie, ou bien être si intense que certains signes comportementaux le trahissent. Un individu peut avouer sa tromperie afin de partager le plaisir qu’il a éprouvé à jouer un bon tour. Certains criminels révèlent leurs méfaits à des amis, des inconnus, voire à la police afin d’être reconnus et appréciés pour leur habileté à avoir réussi une tromperie particulière. Comme l’alpinisme ou les échecs, le mensonge peut être agréable seulement s’il comporte un certain risque. Quand j’étais étudiant à l’université de Chicago, c’était très à la mode de voler des livres dans la librairie de l’université. Quasi-rite d’initiation pour les nouveaux, le vol se limitait généralement à quelques livres et l’exploit était clamé sur les toits et apprécié. La culpabilité de tromperie était faible. La culture estudiantine estimait 45 qu’une librairie d’université devait être une coopérative et qu’étant un établissement commercial, elle méritait d’être volée. L’appréhension de détection était faible parce qu’il n’y avait aucun système de sécurité dans la librairie universitaire. Un seul étudiant fut pris durant mes études là-bas, et ce fut à cause de son plaisir de duper. Bernard ne se satisfaisait pas du défi représenté par un vol ordinaire. Il avait fallu qu’il augmente le risque pour en tirer fierté, montrer son mépris pour la librairie et gagner l’admiration qu’il recherchait de ses camarades. Il ne volait que de gros livres d’art, qui étaient très difficiles à dissimuler. Au bout d’un moment, l’exploit ne suffisant plus, il monta la barre en volant trois ou quatre livres en même temps. C’était encore trop facile. Il commença à narguer les employés. En s’attardant autour de la caisse avec ses larcins sous le bras, bien en évidence. Le plaisir de duper l’amena à tenter le destin de plus en plus. Ce furent les signes comportementaux de ce plaisir qui le trahirent en partie. Il fut pris. On retrouva des centaines de livres dans sa chambre. Bernard devint plus tard milliardaire grâce à une affaire tout à fait respectable. Il existe d’autres manières d’augmenter le plaisir de duper. Une victime qui a la réputation d’être difficile à berner peut ajouter un peu de sel à l’exploit et accroître le plaisir de duper. Des tiers au courant de ce qui se trame peuvent également augmenter le plaisir, même s’ils ne sont pas physiquement présents, du moment qu’ils sont attentifs et connaisseurs. S’ils sont présents et savourent la performance du menteur, celui-ci peut éprouver un tel plaisir qu’il aura beaucoup de mal à le dissimuler. Quand un enfant ment à un autre devant des camarades, il peut être si comblé de voir combien il les distrait que son plaisir prend le dessus et met fin à toute la comédie. Un joueur de poker habile est capable de contrôler tout signe de plaisir de duper. S’il reçoit une main gagnante, son comportement doit conduire les autres à penser qu’elle n’est pas très bonne, afin qu’ils augmentent la mise et restent dans le jeu. Et il doit également se dissimuler vis-à-vis des spectateurs de la partie, par exemple en évitant tout contact visuel avec eux. Il est possible que certains individus soient plus prédisposés au plaisir de duper. Aucun scientifique ne les a encore étudiés ni n’a même vérifié leur existence. Pourtant, il semble évident que certaines personnes se vantent plus que d’autres et sont donc plus vulnérables au plaisir de duper. Quand il ment, un individu peut éprouver du plaisir à duper, de la culpabilité de tromperie et de l’appréhension de détection – successivement ou simultanément. Revenons au poker. Dans un bluff, quand un joueur qui a une mauvaise main prétend en avoir une bonne afin que les autres se couchent, il peut y avoir une appréhension de détection si les mises sont très élevées. À mesure que le bluffeur voit ses adversaires se coucher, il peut également ressentir du plaisir à tromper. Comme les informations fausses sont autorisées, il ne doit éprouver aucune culpabilité de tromperie, du moment qu’il ne triche pas. Un individu qui détourne de l’argent éprouve les trois émotions : du plaisir d’avoir trompé ses collègues et son employeur ; de l’appréhension à tout moment quand il pense qu’il y a des soupçons ; et peut-être de la culpabilité d’avoir enfreint la loi et trahi la confiance que lui avait accordée son entreprise. 46 Pour résumer, le plaisir de duper est le plus intense quand : la cible représente un défi, a la réputation d’être difficile à berner ; le mensonge est un défi à cause de ce qui doit être soit dissimulé, soit inventé ; des tiers assistent au mensonge ou en sont informés et apprécient l’habileté du menteur. Appréhension, culpabilité, plaisir, tous peuvent apparaître dans des expressions faciales, la voix ou les gestes, même quand le menteur tente de les dissimuler. Même s’il n’y a aucune fuite non verbale, les efforts pour les empêcher peuvent produire un indice de tromperie. Les deux chapitres suivants expliquent comment déceler la tromperie dans les paroles, la voix, la gestuelle et le visage. 47 Chapitre 3 Détection de la tromperie dans les paroles, la voix ou les indices corporels «Et comment pouvez-vous savoir que j’ai dit un mensonge ? – Les mensonges, mon cher enfant, sont aussitôt découverts, car ils sont de deux espèces. Certains ont de petites jambes, et d’autres un long nez. Il se trouve que le tien fait partie de ces derniers *1 . » Les gens mentiraient moins s’ils pensaient qu’il existe des signes certains de mensonge, mais ce n’est pas le cas. Il n’existe aucun signe de tromperie en soi – ni geste, ni expression faciale, ni tressaillement musculaire qui en lui-même signifie qu’un individu ment. Il n’existe que des indices signalant que l’individu est mal préparé ou que ses émotions ne sont pas conformes à ce qu’il énonce. C’est ce que nous fournissent les fuites ou indices de tromperie. Le détecteur doit apprendre comment l’émotion est véhiculée par les paroles, la voix, la gestuelle et le visage, quelles traces en subsistent malgré les efforts du menteur pour dissimuler ses émotions, et ce qui trahit les émotions simulées. Repérer la tromperie exige de comprendre comment ces comportements peuvent révéler qu’un menteur invente au fur et à mesure. Détecter un mensonge n’est pas une mince affaire. L’une des difficultés est le bombardement d’information. Trop d’éléments doivent être considérés en même temps. Les sources sont trop nombreuses : mots, pauses, intonation, expressions, mouvement de la tête, gestes, postures, respiration, rougeur ou pâleur, transpiration, etc. Et toutes ces sources peuvent transmettre de l’information simultanément ou successivement, mobilisant toute l’attention du détecteur. Heureusement, celui-là n’a pas besoin de scruter avec autant de soin tout ce qu’il voit et entend. Durant une conversation, les sources d’information ne sont pas toutes fiables. Certaines fuitent davantage que d’autres. Assez étrangement, la plupart des gens prêtent le plus d’attention aux sources les moins fiables – paroles et expressions faciales – et sont ainsi facilement trompés. Le menteur ne dirige et ne maîtrise généralement pas la totalité de son comportement. Il en serait probablement incapable, même s’il le voulait. Il est inconcevable qu’un individu puisse maîtriser tout ce qui en lui peut le trahir, de la tête aux pieds. Au lieu de quoi, le menteur dissimule et feint ce qu’il estime que son interlocuteur va surveiller le plus. Il a tendance à prêter une attention toute particulière au choix de ses mots. Tout le monde apprend en grandissant que la plupart des gens écoutent avec attention ce qu’on leur dit. Les paroles bénéficient d’une telle attention 48 parce qu’elles sont d’évidence le moyen de communiquer le plus riche et le plus nuancé. Les mots transmettent beaucoup plus de messages, et plus rapidement, que le visage, la voix ou le corps. Le menteur censure ce qu’il énonce, dissimulant soigneusement les messages qu’il ne désire pas délivrer, non seulement parce qu’il a appris que tout le monde prête attention à cette source, mais aussi parce qu’il sait qu’on le tiendra plus responsable de ses paroles que de son intonation, ses expressions faciales ou ses gestes. On peut toujours nier avoir eu une expression fâchée ou un ton dur. L’accusation peut être retournée : « Vous l’avez perçu ainsi. Il n’y avait pas la moindre colère dans ma voix. » Il est beaucoup plus difficile de nier avoir prononcé des paroles agressives. Elles demeurent, peuvent être répétées et sont difficiles à désavouer entièrement. Si les mots sont si soigneusement surveillés et si souvent l’objet de la feinte, c’est qu’il est plus facile de feindre – déclarer des choses qui ne sont pas vraies – avec des mots. Ce qui va être dit peut être écrit et reformulé au préalable. Seul un acteur très habile pourrait planifier aussi précisément chaque expression faciale, geste et inflexion de voix. Les paroles sont faciles à répéter. Le locuteur dispose d’un feed-back, il entend ce qu’il dit et est donc en mesure de peaufiner son message. Le feed-back du visage, du corps et de la voix est beaucoup moins juste et précis. Après les paroles, c’est le visage qui est l’objet de l’attention de l’interlocuteur. Des commentaires sont souvent donnés sur l’expression du visage : « Ne fais pas cette têtelà ! », « Souris quand tu dis cela ! », « Épargne-moi ce regard insolent ! ». Le visage bénéficie d’une telle attention en partie parce qu’il est la marque et le symbole de l’identité. C’est principalement grâce à lui que nous distinguons un individu d’un autre. Les visages sont des icônes, nous leur rendons hommage en exposant des photos au mur ou sur un bureau, nous en avons sur nous dans notre portefeuille 1 . Une étude récente a découvert qu’une partie du cerveau est spécialisée dans la reconnaissance des visages 2 . Les gens prêtent attention aux visages pour un grand nombre de raisons. Le visage est le site primaire de l’expression des émotions. Tout comme l’intonation, il peut indiquer à l’auditeur ce qu’éprouve le locuteur sur ce qui est dit – mais pas toujours exactement, puisqu’un visage peut mentir sur les émotions. S’il a du mal à entendre, l’auditeur peut observer les lèvres du locuteur pour deviner ce qu’il dit. L’attention accordée au visage fournit également un signal important pour le déroulement de la conversation. Le locuteur veut savoir si son auditeur l’écoute. Regarder le visage du locuteur implique cela, mais ce n’est pas le signal le plus fiable. Un auditeur poli mais qui s’ennuie peut regarder le visage du locuteur tout en pensant à autre chose. L’auditeur encourage également le locuteur avec des hochements de tête et des ponctuations (« mmm-mmm »), mais ceux-là peuvent être feints. Aussi, la plupart des gens, quand ils parlent, sont dépendants des réactions de leur auditeur et, s’ils n’en reçoivent pas, demandent rapidement : « Vous m’écoutez ? » Peu d’individus sont des systèmes clos qui parlent sans se soucier des réactions de leurs auditeurs. 49 En comparaison de l’attention abondamment consacrée aux paroles et au visage, le corps et la voix sont moins bien lotis. Ce n’est pas très grave, puisque en général le corps fournit beaucoup moins d’informations que le visage, et la voix, beaucoup moins que les paroles. Les gestes des mains peuvent apporter de nombreux messages, comme dans le langage des sourds-muets, mais ils ne sont pas courants dans le langage parlé des Européens du Nord et des Américains. Dans les scieries, par exemple, les ouvriers qui doivent communiquer, mais ne peuvent le faire à cause du bruit, pratiquent un système de gestes très complexe. Pour la même raison, les pilotes et équipes d’appontage utilisent une gestuelle codée. La voix, comme le visage, peut montrer si un individu est ému ou non, mais on ignore encore si elle peut fournir autant d’informations que le visage sur la nature précise des émotions éprouvées. Le menteur surveille et s’efforce de contrôler ses paroles et son visage – il sait que c’est ce que remarque l’auditeur – plus que sa voix ou son corps. Il y parvient plus facilement pour les paroles que pour le visage. Feindre avec des mots est plus facile qu’avec une expression faciale car, comme je l’ai dit, des paroles peuvent être plus facilement répétées que des expressions. Les dissimuler est aussi plus facile. L’individu peut surveiller plus aisément ses paroles que son visage et censurer tout ce qui pourrait le trahir. C’est beaucoup plus difficile de savoir ce que montre son visage. Pour obtenir un feed-back aussi net, il faudrait avoir un miroir en permanence devant soi. Si des sensations dans le visage peuvent signaler que tel ou tel muscle bouge, mes recherches ont démontré que la plupart des individus n’utilisent guère cette information. Peu sont conscients des expressions qui apparaissent sur leur visage, sauf quand elles sont extrêmes. Les neuroscientifiques ne sont pas certains du circuit qui nous fournit des informations sur les modifications de nos propres expressions ni si nous les percevons précisément. Mes recherches indiquent que nous ne ressentons pas très bien les expressions que nous prenons et que la plupart du temps nous n’accordons qu’une faible attention aux sensations de notre visage. Il y a une autre raison, plus importante, pour laquelle le visage offre plus d’indices de tromperie que les paroles. Le visage est directement connecté aux zones du cerveau impliquées dans l’émotion, pas l’élocution. Quand une émotion apparaît, des muscles faciaux commencent à réagir involontairement. C’est seulement par choix ou habitude que l’individu peut apprendre à agir sur ces expressions et essayer, avec plus ou moins de succès, de les dissimuler. L’expression faciale qui apparaît lors d’une émotion n’est pas choisie volontairement, sauf si elle est feinte. Les expressions faciales sont un système double – volontaire et involontaire, mentir et dire la vérité, souvent simultané. C’est pourquoi ces expressions peuvent être si complexes, ambiguës et fascinantes. 50 Les individus soupçonneux devraient faire plus attention à la voix et à la gestuelle. La voix, comme le visage, est reliée aux zones du cerveau impliquées dans l’émotion. Il est très difficile de dissimuler certains changements d’intonation qui se produisent lors d’une émotion. Et le feed-back sur ce point, nécessaire pour qu’un menteur puisse surveiller comment il est perçu, n’est probablement pas aussi bon que pour les paroles elles-mêmes. Les gens sont surpris quand ils entendent pour la première fois leur voix enregistrée, car comme ils la perçoivent habituellement par résonance osseuse, elle leur paraît différente. La gestuelle est également une source abondante de fuites et d’indices de tromperie. Contrairement au visage et à la voix, la plupart des mouvements du corps ne sont pas directement reliés aux zones du cerveau impliquées dans l’émotion. La surveillance de la gestuelle n’est donc pas nécessairement difficile. Un individu peut sentir, et souvent voir ses propres mouvements. Il pourrait être beaucoup plus facile de dissimuler des gestes que des expressions faciales ou une intonation en cas d’émotion. Mais la plupart des gens ne se donnent pas cette peine, ayant appris en grandissant que ce n’est pas nécessaire. On tient rarement responsable un individu de ce que révèlent ses gestes. La gestuelle compte parce qu’elle est laissée de côté : tout le monde s’attache trop à surveiller le visage et à évaluer les paroles. Si nous savons tous que les mots peuvent mentir, j’ai découvert dans mes recherches que les gens croient leurs interlocuteurs sur parole et sont souvent trompés. L’individu commet des erreurs verbales qui peuvent fournir des fuites comme des indices de tromperie. Et même s’il n’y a aucune erreur dans les paroles, c’est l’écart entre le message verbal et ce que révèlent l’intonation, la gestuelle et le visage qui trahit souvent un mensonge. Mais la plupart des indices de tromperie fournis par le visage, la gestuelle et l’intonation sont souvent ignorés ou mal interprétés. Je l’ai découvert dans plusieurs études où j’ai demandé à des sujets de juger les individus dans un film qui leur était projeté. Certains voyaient seulement le visage, d’autres le corps, d’autres entendaient la voix filtrée de manière à rendre les mots inintelligibles, le son restant intact, et les derniers entendaient ou lisaient les paroles. Tous virent les mêmes personnes – les élèves infirmières du chapitre précédent, qui disaient la vérité ou mentaient sur les émotions ressenties devant un film. Rappelons que dans la phase de vérité, elles regardaient un film agréable de scènes maritimes et devaient décrire leurs émotions sincèrement. Et que dans la phase mensonge, elles regardaient un film de scènes médicales sanglantes et devaient convaincre leur interlocuteur qu’il s’agissait d’un joli film sur des fleurs. Leur interlocuteur ne pouvait pas voir quelles images leur étaient projetées. Les infirmières s’efforçaient de lui mentir, car l’enjeu était très élevé : il leur avait été dit que l’expérience vérifiait si elles seraient capables de maîtriser leurs réactions émotionnelles aux urgences ou au bloc opératoire. Dans cette étude visant à estimer la capacité d’individus à détecter les infirmières qui mentaient, il nous intéressait de savoir non seulement quelle était la meilleure 51 source d’information – visage, gestuelle, voix, paroles – mais aussi si les individus soupçonneux avaient de meilleurs résultats que ceux supposés plus faciles à tromper. Nous divisâmes les individus qui devaient voir ou entendre la vidéo en deux groupes. De manière à éveiller les soupçons, les membres du premier reçurent des informations sur les personnes qu’ils devaient évaluer. Ceux du second n’en reçurent aucune et il ne fut pas fait mention de tentatives de tromperie ou mensonge. Nous annonçâmes seulement qu’ils verraient ou entendraient des gens parler d’un film qui leur était projeté. Afin qu’ils n’aient aucun soupçon, la question sur la sincérité fut noyée parmi une longue liste d’autres évaluations qu’ils devaient faire sur quantité d’autres critères. Si quelques infirmières, très mauvaises menteuses, furent facilement détectées, la plupart d’entre elles trompèrent les membres du groupe non soupçonneux. Ceux qui virent seulement leur visage ou entendirent uniquement leurs paroles eurent les pires résultats : ils jugèrent les infirmières honnêtes alors qu’elles mentaient. Les membres du groupe soupçonneux ne s’en tirèrent pas mieux. Ils avaient été informés de toutes les instructions données aux infirmières et savaient qu’ils devaient juger si elles mentaient ou disaient la vérité. Aucune autre question ne leur était posée. Très peu firent mieux que quelqu’un qui aurait décidé au hasard. Ceux qui voyaient le corps obtinrent les meilleurs résultats, mais n’eurent juste que dans 65 % des cas, alors qu’un jugement au hasard aurait été de 50 % 3 . Quelques-uns eurent d’excellents résultats et identifièrent correctement 85 % des menteuses. Certains étaient des psychothérapeutes très expérimentés avec la réputation d’être experts dans leur domaine. D’autres étaient simplement des individus exceptionnellement sensibles, d’une autre profession. Être trompé n’est pas inéluctable. Des individus ayant lu ce livre se sont révélés dans ce même test d’aussi bons juges que les psychothérapeutes expérimentés. On peut apprendre à déceler la tromperie. Le détecteur a plus de chances de son côté si la tromperie implique une émotion et si le menteur n’est pas un psychopathe, un individu très entraîné ou un menteur-né. Trois objectifs doivent être atteints : repérer plus souvent les menteurs ; méjuger moins souvent ceux qui disent la vérité ; et, plus important encore, savoir quand il est impossible de faire l’un ou l’autre. Les paroles Curieusement, beaucoup de menteurs sont trahis par leurs paroles en raison de leur négligence. Ce n’est pas qu’ils sont incapables de déguiser ce qu’ils disent ni qu’ils s’y prennent mal, mais simplement qu’ils ne sont pas assez méticuleux. Un dirigeant raconte ainsi le cas d’une personne qui avait posé sa candidature dans son entreprise sous deux noms différents la même année. Quand on lui demanda comment il s’appelait, « l’homme, qui s’était présenté la première fois sous le nom de Leslie d’Ainter et avait utilisé ensuite Lester Dainter, expliqua vaguement qu’il avait changé de prénom parce que Leslie faisait trop féminin, et modifié son nom de famille pour qu’il soit plus facile à prononcer. Mais ce furent ses références qui le trahirent vraiment. Il présenta trois 52 lettres de recommandation élogieuses. Seulement, les trois “employeurs” avaient mal orthographié le même mot 4 ». Les lapsus verbaux Même un menteur soigneux peut être trahi par ce que Freud a le premier identifié comme un lapsus verbal. Dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne, il démontra comment les erreurs du quotidien, comme les lapsus verbaux, l’oubli de noms familiers et les erreurs de lecture ou d’écriture ne sont pas des accidents mais des événements significatifs révélant des conflits psychologiques intérieurs. Le lapsus verbal exprime, ditil, « quelque chose que l’on ne veut pas dire : il devient un acte d’autotrahison 5 ». Freud ne s’intéressait pas particulièrement à la tromperie, mais l’un de ses exemples porte sur un lapsus verbal qui trahit un mensonge. Il s’agit de l’expérience du Dr Brill, l’un des premiers et bien connus disciples de Freud : « Je partis faire une promenade un soir avec le Dr Frink, et nous discutâmes de certaines affaires de la Société psychanalytique de New York. Nous croisâmes un confrère, le Dr R., que je n’avais pas vu depuis des années et dont je ne connaissais pas la vie privée. Nous étions très heureux de nous revoir et, sur mon invitation, il nous accompagna dans un café où nous bavardâmes pendant deux heures. Il semblait tout savoir de moi, car après les salutations d’usage, il me questionna sur mon jeune enfant et me déclara qu’il avait de temps en temps de mes nouvelles par un ami commun et s’intéressait à mon travail qu’il suivait dans la presse médicale. Quand je lui demandai s’il était marié, il me répondit que non et ajouta : “Pourquoi un homme comme moi devrait-il se marier ?” « Nous quittions le café quand il se retourna soudain et me demanda : “J’aimerais savoir ce que vous feriez dans un cas comme celui-ci : j’ai comme patiente une infirmière qui a été accusée d’être la maîtresse d’un homme lors d’un procès en divorce. C’est l’épouse qui l’a citée et a intenté le procès au mari, et il a obtenu le divorce. – Vous voulez dire que c’est elle qui l’a obtenu”, le coupai-je. “Oui, bien sûr, se corrigea-t-il aussitôt. C’est elle qui l’a obtenu.” Et il continua de me parler de l’infirmière si affectée par le procès et le scandale qu’elle s’était mise à boire, était devenue très angoissée, etc. Il voulait que je le conseille pour le traitement de sa patiente. « À peine avais-je corrigé son erreur que je lui demandai de l’expliquer, mais j’eus droit à la réponse étonnée habituelle : tout le monde pouvait faire un lapsus verbal, ce n’était qu’un accident, cela ne voulait rien dire, etc. Je répondis qu’il y avait toujours une raison à chaque erreur de ce genre et que, s’il ne m’avait pas dit qu’il n’était pas marié, j’aurais été tenté de supposer que c’était lui le héros de l’histoire. En effet, dans ce cas, le lapsus verbal pouvait être expliqué par son regret de ne pas avoir obtenu le divorce aux dépens de sa femme et d’être obligé de payer une pension alimentaire. Il réfuta fermement cette conjecture, mais la réaction émotionnelle excessive qui l’accompagna, une certaine agitation suivie d’un rire, ne fit que renforcer mes soupçons. Je lui demandai de me dire la vérité dans l’intérêt de la science et il répondit : “À moins de vouloir que je mente, vous devez me croire, je n’ai jamais été marié et votre interprétation psychanalytique est donc fausse.” Il ajouta que quelqu’un qui prêtait 53 attention à la moindre peccadille était positivement dangereux, puis il se rappela soudain qu’il avait un rendez-vous et nous laissa. « Le Dr Frink et moi étions toujours convaincus que mon interprétation était juste et je décidai de me renseigner. Quelques jours plus tard, je rendis visite à un voisin, un vieil ami du Dr R., qui me confirma mon explication dans ses moindres détails. Le procès en divorce avait eu lieu quelques semaines plus tôt et l’infirmière avait été citée comme la maîtresse 6 . » Selon Freud, « le refoulement de l’intention du locuteur de dire quelque chose est la condition indispensable pour l’occurrence d’un lapsus 7 ». Le refoulement pourrait être délibéré si le locuteur ment, mais Freud s’intéressait davantage aux situations où le locuteur n’est pas conscient de ce refoulement. Une fois que le lapsus verbal est commis, le locuteur peut reconnaître ce qui a été refoulé ; ou bien, même dans ce cas, il est possible qu’il n’en prenne pas conscience. Le détecteur doit être prudent et ne pas partir du principe que tout lapsus verbal est une preuve de mensonge. Généralement, le contexte dans lequel il se produit devrait aider à deviner si le lapsus verbal trahit ou non un mensonge. Le détecteur doit également éviter l’erreur de considérer quelqu’un comme sincère simplement parce qu’il ne commet pas de lapsus verbal. Beaucoup de mensonges n’en comportent pas. Freud n’a pas expliqué pourquoi certains mensonges sont trahis par un lapsus verbal alors que ce n’est pas le cas pour la plupart. Il est tentant de penser que le lapsus verbal se produit quand le menteur désire être démasqué, quand il se sent coupable de mentir. Certes, le Dr R. devait éprouver de la culpabilité de tromperie en mentant à son estimé confrère. Mais il n’y a aucune étude – ni même de spéculation – qui explique pourquoi certains mensonges sont trahis par un lapsus verbal. Les tirades La tirade est une autre manière par laquelle le menteur se trahit en parlant. Elle est différente du lapsus verbal. Cette faute ne se résume pas à un mot ou deux. Là, la langue ne fourche pas, elle débite. Le menteur est emporté par l’émotion et ne se rend compte que trop tard de ce qu’il révèle. Souvent, si le menteur était resté calme, il n’aurait pas dévoilé l’information cruciale. C’est la pression d’une émotion irrépressible – fureur, horreur, terreur, désarroi – qui pousse le menteur à la divulguer. Le risque Brokaw Tom Brokaw, ancien intervieweur du Today Show, décrivit une autre source d’indice de tromperie. « La plupart des indices que je reçois des gens sont verbaux, et non physiques. Je ne guette pas sur le visage d’un interlocuteur des signes qui indiquent qu’il ment. Ce que je cherche, ce sont des réponses alambiquées ou évasives 8 . » Quelques études sur la tromperie corroborent l’intuition de Brokaw en indiquant que certains individus, quand ils mentent, fournissent des réponses indirectes, compliquées et donnent plus d’informations qu’il ne leur est demandé. D’autres recherches ont démontré précisément le contraire : la plupart des gens sont trop malins pour être évasifs et indirects dans leurs réponses. 54 De plus, il est difficile de savoir quoi tirer de cela et des autres contradictions dans la littérature scientifique sur la tromperie, étant donné que les expériences ne sont en elles-mêmes guère fiables. Presque tous les participants sont des étudiants, qui mentent sur des questions peu importantes sans véritable enjeu. La plupart des expériences dans ce domaine ont fait preuve d’assez peu de réflexion sur le type de mensonge étudié, généralement choisi pour sa facilité à être organisé en laboratoire. Par exemple, il a été demandé à des étudiants de se faire les avocats d’une opinion contraire à la leur sur la peine capitale ou l’avortement. Ou encore de dire le contraire de ce qu’ils pensaient d’une personne dont on leur montrait la photo. De telles expériences négligeaient la relation du menteur à sa cible et en quoi elle influençait ses efforts pour mentir avec succès. Généralement, menteur et cible ne se connaissaient pas et n’avaient aucune raison de penser qu’ils se reverraient. Parfois, il n’y avait pas de véritable cible et le sujet mentait simplement devant un micro. De tels menteurs pourraient échapper à Tom Brokaw. Un danger pire serait de taxer de menteur un individu qui s’exprime de manière compliquée ou évasive. Certaines personnes s’expriment ainsi ; pour elles, ce n’est pas un signe de mensonge, mais simplement leur manière de parler. Tout comportement qui constitue un indice de tromperie utile sera pour certains individus leur attitude habituelle. J’ai appelé cette possibilité de porter un jugement erroné sur de telles personnes le risque Brokaw. Les détecteurs sont susceptibles de risque Brokaw quand ils ne connaissent pas le suspect, qu’ils ne sont pas familiers des particularités de son comportement habituel. Aucune autre source de fuite ou d’indice de tromperie dans les paroles n’a été découverte par la science pour le moment. Je ne pense pas que l’on puisse en trouver d’autres. Il est trop facile pour un menteur de dissimuler et feindre en paroles, même si des erreurs peuvent se produire – négligence, lapsus verbal, tirade, langage alambiqué ou indirect. La voix Le terme « voix » recouvre tout ce qui constitue la parole, à l’exception des mots eux-mêmes. L’indice de tromperie le plus courant est la pause. Elle peut être trop longue ou trop fréquente. Hésiter avant de prendre la parole, notamment quand il s’agit de répondre à une question, peut éveiller le soupçon. Tout comme des pauses plus courtes dans l’élocution, si elles se produisent assez fréquemment. Les erreurs peuvent également être des indices. Il s’agit de ponctuations sans signification, comme « euh, aah, hum » ; de répétitions, par exemple : « Je… je… je veux dire… » ; et de bégaiements, par exemple « j’ai beau-beaucoup aimé ». Ces indices vocaux de tromperie – pauses et erreurs – peuvent se produire pour deux raisons liées. Le menteur n’a peut-être pas préparé sa réponse. S’il ne prévoyait pas de mentir ou s’il y était préparé, mais n’avait pas prévu une question particulière, il peut hésiter ou commettre des erreurs. Mais cela peut aussi arriver si la réplique est bien 55 préparée. Un haut niveau d’appréhension de détection peut amener le menteur à bégayer ou oublier son texte. L’appréhension de détection peut également renforcer les erreurs du menteur mal préparé : en entendant sa piètre performance, il peut avoir encore plus peur d’être démasqué, ce qui ne fait qu’accroître les pauses et les erreurs. La tromperie peut également être révélée par l’intonation. Si beaucoup de gens pensent que l’intonation indique quelle émotion un individu éprouve, les scientifiques qui étudient la voix n’en sont toujours pas certains. Ils ont découvert de nombreuses manières de distinguer entre intonations plaisantes et déplaisantes, mais ils ignorent encore si l’intonation change selon telle ou telle émotion négative (colère, peur, détresse, dégoût ou mépris). Je pense que ces différences finiront par être identifiées. Pour le moment, je me contenterai de rapporter ce qui est connu, et cela paraît encourageant. Le signe d’émotion vocal le mieux étudié est la tonalité, c’est-à-dire la hauteur du son. Dans environ 70 % des cas, quand le sujet est bouleversé, la tonalité est plus aiguë. C’est probablement d’autant plus vrai quand l’émotion est la colère ou la peur. Il a été parfois constaté que la tonalité est plus grave dans le cas de la tristesse ou du chagrin, mais ce n’est pas certain. D’autres signes d’émotion, pas aussi avérés mais prometteurs, sont un débit plus rapide et un volume plus élevé dans le cas de la colère ou de la peur, et un débit plus lent et un volume plus faible pour la tristesse. Les modifications de la voix produites par l’émotion ne sont pas faciles à dissimuler. Si le mensonge concerne principalement des émotions éprouvées au moment même de mentir, il y a de grands risques de fuite. Si le but du mensonge est de dissimuler peur ou colère, la voix sera plus aiguë et plus forte, et le débit probablement plus rapide. Ce sera exactement le contraire si le menteur tente de dissimuler de la tristesse. L’intonation peut également trahir des mensonges non destinés à dissimuler une émotion dans le cas où une émotion survient. L’appréhension de détection produira une intonation de peur. La culpabilité de tromperie peut induire les mêmes modifications d’intonation que la tristesse, mais ce n’est qu’une hypothèse. On ignore encore si le plaisir de duper peut être isolé et mesuré dans la voix. J’estime que tout type d’excitation a une signature vocale spécifique, mais cela doit encore être prouvé. Notre expérience avec les élèves infirmières fut l’une des premières à identifier un changement de tonalité lors de la tromperie 9 . Nous avons découvert que la voix devenait plus aiguë. Nous pensons que c’est parce que les infirmières avaient peur, et cela pour deux raisons. Nous nous étions efforcés d’élever l’enjeu au maximum pour qu’elles éprouvent une forte appréhension de détection. Ensuite, regarder les scènes sanglantes a provoqué une peur empathique chez certaines des infirmières. Nous n’aurions pas découvert ce résultat si l’une de ces causes de peur avait été moindre. Imaginons que nous ayons étudié des individus dont le choix de carrière n’était pas en question, pour lesquels il s’agissait seulement d’une expérience. Avec un enjeu faible, ils n’auraient peut-être pas éprouvé assez de peur pour provoquer un changement de tonalité. Ou encore, si nous avions choisi de montrer le film d’un enfant mourant, cela aurait provoqué plus de tristesse que de peur. Alors que leur crainte d’être démasquées aurait 56 provoqué une élévation de tonalité, cette réaction aurait été contrebalancée par des sentiments de tristesse abaissant la tonalité. Une tonalité aiguë n’est pas un indice de tromperie. C’est un signe de peur ou de colère, et peut-être aussi d’excitation. Dans notre expérience, l’une des infirmières présenta ce signe alors qu’elle regardait le film des scènes maritimes. Il y a donc danger à interpréter tout signe vocal d’émotion comme une preuve de tromperie. Un individu sincère qui craint de ne pas être cru peut, par crainte, avoir le même changement de tonalité qu’un menteur qui redoute d’être démasqué. Pour le détecteur, le problème est que l’innocent est parfois tout aussi ému que le menteur. De la même façon qu’un signe vocal d’émotion comme la tonalité n’indique pas nécessairement un mensonge, l’absence de tout signe vocal d’émotion ne signale pas obligatoirement la sincérité. La crédibilité de la déposition de John Dean durant les auditions télévisées du Watergate au Sénat reposa en partie sur l’interprétation de l’absence d’émotion dans sa voix, à l’intonation remarquablement uniforme et régulière. Douze mois avaient passé après l’effraction au siège du parti démocrate quand eut lieu la déposition de John Dean, conseiller de Nixon. Nixon avait finalement avoué, un mois plus tôt, que son entourage avait tenté d’étouffer l’affaire, mais il niait en avoir eu connaissance. Comme le raconte le juge fédéral John Sirica : « Les lampistes qui avaient étouffé l’affaire avaient été confondus, en grande partie par leurs dépositions réciproques. Il restait à déterminer la culpabilité ou l’innocence de leurs supérieurs. Et c’est la déposition de Dean qui devait être au cœur de la question. Il prétendit qu’il avait répété à Nixon qu’il faudrait un million de dollars pour faire taire les victimes de l’effraction et que Nixon avait répondu que l’argent était disponible. Aucun choc, aucune récrimination, pas de refus. Ce fut l’accusation la plus sensationnelle de Dean. Il disait que Nixon lui-même avait approuvé la tentative de corruption des plaignants 10 . » Le lendemain, la Maison-Blanche réfuta les propos de Dean. Dans ses Mémoires, publiés cinq ans plus tard, Nixon écrivit : « J’ai estimé que la déposition de John Dean sur le Watergate était un habile mélange de vérité et de contrevérité, de possible méprise sincère et de déformations clairement conscientes. Pour minimiser son propre rôle, il avait déplacé sa parfaite connaissance de l’opération et son angoisse dans les paroles et les actions d’autres personnes 11 . » À l’époque, les attaques contre Dean furent plus rudes. Des rumeurs, censées provenir de la Maison-Blanche, furent fuitées à la presse, prétendant que Dean mentait et attaquait le président parce qu’il avait peur d’être violé s’il allait en prison. C’était la parole de Dean contre celle de Nixon, et peu de gens savaient avec certitude qui disait la vérité. Le juge Sirica exprima ses doutes ainsi : « Je dois dire que j’étais sceptique devant les allégations de Dean. C’était d’évidence un personnage clé dans la tentative d’étouffement de l’affaire. Il avait beaucoup à perdre. Il m’a paru à 57 l’époque qu’il cherchait plus à se protéger en impliquant le président qu’à dire la vérité 12 . » Sirica parle ensuite de l’impression que lui laissa la voix de Dean : « Pendant des jours, après sa lecture de sa déposition, le comité le cribla de questions hostiles. Mais il ne dévia pas de sa version. Il ne semblait éprouver aucune émotion. Son intonation neutre et calme le rendait crédible 13 . » Pour d’autres, un individu qui parle sur ce ton donne l’impression de se contrôler, ce qui peut indiquer qu’il a quelque chose à cacher. Pour ne pas commettre d’erreur d’interprétation de l’intonation neutre de Dean, il faudrait savoir si elle lui est ou non caractéristique. L’absence de signe d’émotion dans la voix n’est pas une preuve de sincérité : certaines personnes ne montrent jamais d’émotion, du moins pas dans la voix. Et il se peut qu’un individu soit ému, mais pas à cause d’un mensonge. Le juge Sirica était sensible au risque Brokaw. Rappelez-vous le journaliste Tom Brokaw qui disait interpréter les formulations alambiquées comme un signe de mensonge ; j’ai expliqué qu’il pouvait se méprendre, car certains individus s’expriment toujours ainsi. Certes, il se peut que Sirica ait commis l’erreur inverse – juger quelqu’un sincère parce qu’il ne montre aucun indice de tromperie en oubliant que certaines personnes n’en montrent jamais. Ces deux erreurs sont dues au fait que chaque individu exprime ses émotions différemment. Le détecteur risque de commettre ces erreurs, sauf s’il connaît le comportement émotionnel habituel du suspect. Et il n’y aurait pas non plus de risque Brokaw si les indices comportementaux étaient parfaitement fiables pour la totalité et pas seulement pour la majorité des individus. Aucun indice de tromperie n’est fiable pour tous les êtres humains, mais pris isolément et ensemble, ils peuvent aider le détecteur à juger la plupart des individus. L’épouse, les amis et les collaborateurs de John Dean pouvaient savoir s’il était comme la plupart des individus, montrant des émotions dans sa voix, ou bien capable de la maîtriser. Le juge Sirica, ne l’ayant jamais rencontré auparavant, était sensible au risque Brokaw. Le ton neutre de Dean nous fournit une autre leçon. Le détecteur doit toujours envisager la possibilité qu’un suspect soit un acteur exceptionnel, si capable de déguiser son comportement qu’il est impossible de savoir s’il ment ou non. Selon le récit qu’il en fait, John Dean appartenait à cette espèce. Il semblait savoir d’avance que le juge et le comité interpréteraient son comportement. Il raconte ainsi comment il s’était préparé pour sa déposition : « Il aurait été facile de faire des effets ou de prendre un ton dégagé. Je décidai de lire d’un ton égal, sans émotion, aussi froidement que possible, et de répondre aux questions de la même manière. Les gens pensent généralement qu’un individu qui dit la vérité a un comportement calme 14 . » Après la lecture de sa déposition, au moment du contre-interrogatoire, Dean déclare qu’il fut très ému. « Je me sentais suffoquer, seul et impuissant devant le pouvoir du président. Je pris une profonde inspiration en donnant l’impression que je réfléchissais. Je m’efforçais de me maîtriser. Je me répétais que je ne devais pas montrer la moindre émotion : la presse se serait jetée 58 dessus en la prenant pour un signe de faiblesse indigne d’un homme 15 . » Le fait que la performance de Dean soit si fabriquée, qu’il ait si bien réussi à maîtriser son comportement ne signifie pas nécessairement que c’était un menteur, mais seulement que son auditoire aurait dû interpréter ce comportement avec plus de circonspection. En fait, des preuves postérieures laissent à penser que la déposition de Dean était en grande partie vraie et que Nixon qui, contrairement à lui, n’était pas un acteur très doué, mentait. Dernier point à examiner sur le sujet de la voix : l’idée répandue qu’il existe des appareils infaillibles capables de détecter automatiquement le mensonge dans la voix. Les fabricants prétendent que leurs décodeurs de mensonges sont capables d’en détecter un d’après la voix, même au téléphone. Bien évidemment, c’est le stress qu’ils détectent, et non le mensonge. Il n’existe dans la voix aucun signe de mensonge proprement dit, mais seulement des signes d’émotions négatives. Les fabricants de ces gadgets plutôt coûteux se gardent de prévenir leurs utilisateurs qu’ils risquent de ne pas déceler les menteurs qui n’éprouvent pas d’émotions négatives et d’épingler des individus innocents qui sont bouleversés. Les scientifiques spécialisés dans l’étude de la voix et ceux qui utilisent d’autres techniques de détection du mensonge ont découvert que ces appareils ne font rien de plus que détecter le mensonge au hasard et sont assez peu fiables pour déceler si un individu est ou non bouleversé 16 . Cela ne semble pas avoir affecté leurs ventes, la clientèle étant trop alléchée par la perspective de détecter le mensonge d’une manière aussi infaillible que discrète. Les indices corporels J’ai découvert l’une des manières dont la gestuelle peut fuiter des émotions dissimulées lors d’une expérience effectuée durant mes études il y a plus de vingt-cinq ans. À l’époque, la science n’avait encore guère prouvé si les gestes traduisent avec justesse les émotions ou la personnalité. Quelques psychothérapeutes le pensaient, mais ils étaient contredits par les comportementalistes, qui dominaient la psychologie à l’époque. De nombreuses études entre 1914 et 1954 avaient échoué à prouver que le comportement non verbal fournit une information juste sur l’émotion et la personnalité. La psychologie universitaire s’enorgueillissait d’avoir prouvé par des expériences scientifiques que l’idée reçue selon laquelle il est possible de lire l’émotion ou la personnalité sur un visage ou dans des gestes était un mythe. Les quelques scientifiques ou thérapeutes qui continuaient à étudier la gestuelle étaient considérés comme des naïfs ou des charlatans, au même titre que ceux qui s’intéressaient à la graphologie ou à la perception extrasensorielle. Je n’en étais pas convaincu. En observant les mouvements du corps durant des séances de thérapie de groupe, j’étais convaincu de pouvoir dire qui était bouleversé et pour quelle raison. Avec tout l’optimisme d’un étudiant de première année, je me mis en devoir de modifier l’opinion de la psychologie officielle sur le comportement non verbal. 59 Je conçus une expérience pour prouver que la gestuelle se modifie lorsqu’un individu subit un stress. La cause de ce stress était mon professeur, qui accepta de se rendre complice de mon projet en interrogeant mes camarades sur des sujets sur lesquels je les savais vulnérables. Pendant qu’une caméra cachée enregistrait leur comportement, le professeur demanda à ces psychologues en herbe ce qu’ils envisageaient de faire une fois leur formation achevée. Il était alors reproché à ceux qui choisissaient la recherche de se cacher dans des laboratoires pour se soustraire à leurs responsabilités en ne soignant pas les malades mentaux. Et à ceux qui choisissaient de pratiquer la psychothérapie de vouloir seulement gagner de l’argent et de se soustraire à leur devoir de chercher un remède aux maladies mentales. Il demandait également à l’étudiant s’il avait suivi une psychothérapie. À ceux qui répondaient « oui », il demandait comment ils espéraient soigner autrui s’ils étaient eux-mêmes malades. Aux autres, il reprochait de vouloir soigner des patients sans se connaître eux-mêmes. C’était une situation où personne ne pouvait gagner. Et pour ne rien arranger, le professeur devait couper la parole aux sujets pour les empêcher d’aller jusqu’au bout de leurs réponses. Les étudiants s’étaient portés volontaires pour cette expérience afin de m’aider, moi leur condisciple. Ils savaient que c’était un entretien de recherche et que cela impliquerait du stress. En dehors de l’expérience, ce professeur qui avait un comportement si déraisonnable avait un énorme pouvoir sur eux. Ses évaluations étaient capitales pour notre diplôme, et ses recommandations conditionnaient le poste auquel chacun pouvait prétendre. En quelques minutes, les étudiants pataugèrent. Incapables de se défendre, bouillonnants de colère refoulée, ils étaient réduits au silence ou à des gémissements inarticulés. Au bout de cinq minutes, le professeur devait mettre fin à leur supplice, leur expliquer ce qu’il avait fait et pourquoi, et les féliciter d’avoir aussi bien encaissé ce stress. J’observais derrière une glace sans tain et enregistrais leur gestuelle avec une caméra. Je restai incrédule devant ce que je vis durant le premier entretien. À la troisième accusation, l’étudiante faisait un doigt d’honneur au professeur ! Elle conserva sa main dans cette position durant une minute entière. Pourtant, elle n’avait pas l’air fâché, et le professeur faisait comme s’il n’avait rien vu. Je me hâtai de les retrouver quand l’entretien fut terminé. Tous deux déclarèrent que j’avais tout inventé. Ma condisciple avoua avoir éprouvé de la colère, mais nia l’avoir exprimée. Notre professeur estima que j’avais tout imaginé, car selon lui il n’aurait pas pu manquer un geste aussi obscène. Quand le film fut projeté, nous pûmes voir la preuve du contraire. Ce lapsus gestuel n’exprimait pas une émotion inconsciente. L’étudiante savait qu’elle était furieuse, mais l’expression de cette émotion n’était pas consciente. Le professeur ignorait qu’elle lui faisait un doigt d’honneur. L’émotion qu’elle tentait délibérément de dissimuler avait fuité. 

 

Figure 1

 

Quinze ans plus tard, je vis le même type de fuite non verbale, un autre lapsus gestuel, dans l’expérience avec les infirmières. Cette fois, ce n’était pas un doigt d’honneur, mais un haussement d’épaules. L’une après l’autre, les infirmières trahissaient leur mensonge par un léger haussement d’épaules, quand leur interlocuteur demandait : « Voulez-vous continuer à regarder ? » ou « Montreriez-vous ce film à un jeune enfant ? ». Les lapsus emblématiques : les emblèmes Le haussement d’épaules et le doigt d’honneur sont deux exemples d’actions que l’on appelle emblèmes, pour les distinguer de tout autre geste exécuté par l’individu. Les emblèmes ont un sens très précis, connu de tous au sein d’un groupe culturel. Tout le monde sait que le doigt d’honneur signifie « Va te faire voir » et que le haussement d’épaules se traduit par « Je ne sais pas » ou « Quelle importance ? ». La plupart des autres gestes ne bénéficient pas d’une définition aussi précise, et leur signification est vague. En l’absence de paroles, la plupart des gestes n’ont pas beaucoup de sens. Il n’en est pas de même pour les emblèmes : ils peuvent être utilisés à la place d’une phrase, ou quand il est impossible de s’exprimer verbalement. Il en existe une soixantaine, d’un usage répandu en Occident aujourd’hui. Il y a différents lexiques d’emblèmes pour chaque pays et, souvent, pour les groupes régionaux de chaque pays. Parmi les autres exemples bien connus : hocher la tête (« oui »), la secouer (« non »), agiter la main (« bonjour, au revoir ») replier l’index (« viens ici »), frotter un index sur un autre (pour taquiner un adversaire), porter une main à l’oreille (pour signaler qu’on n’entend pas), lever le pouce (auto-stop), etc. 17 Les emblèmes sont presque toujours exécutés délibérément. L’individu qui l’exécute sait ce qu’il fait. Il a choisi de communiquer un message. Mais il y a des exceptions.

 

Tout comme il y a des lapsus dans la parole, il y en a dans la gestuelle : des lapsus emblématiques qui fuitent une information que l’individu essaie de dissimuler. Il y a deux manières de déterminer qu’un emblème est un lapsus révélant une information dissimulée et non un message volontaire. Premièrement, lorsque seulement une partie de l’emblème est exécutée et non le geste entier. Le haussement d’épaules peut se faire avec les deux épaules, en tournant les paumes vers le haut, en haussant les deux sourcils, en écarquillant les yeux et en incurvant les lèvres, ou en combinant tous ces gestes, et parfois en penchant la tête sur le côté. Quand un emblème est fuité, seul un élément sera montré, et même seulement esquissé. Une seule épaule se soulève, légèrement ; ou bien seule la lèvre inférieure s’incurve vers le haut ; ou encore les paumes se retournent à peine. L’emblème du doigt d’honneur ne consiste pas seulement à dresser le majeur, mais la main est brandie en avant et vers le haut, souvent de manière répétée. Quand cet emblème n’est pas exécuté délibérément, mais fuite seulement la colère réprimée de l’étudiant, le mouvement est absent et il ne reste que le majeur dressé. La deuxième manière de détecter un lapsus emblématique est lorsque l’emblème est exécuté en dehors de la position habituelle de présentation. La plupart des emblèmes se font devant l’interlocuteur et à sa hauteur, entre la taille et le cou, zone dans laquelle il ne peut passer inaperçu. Un emblème fuité n’est jamais exécuté dans la position de présentation. Dans l’entretien stressant au cours duquel l’étudiante fit un doigt d’honneur au professeur, sa main n’était pas brandie en l’air mais reposait sur son genou, à l’extérieur de la position de présentation. Dans l’expérience avec les élèves infirmières, les haussements d’épaules qui fuitaient leurs émotions étaient de légères rotations des mains, qui restaient posées sur leurs genoux. Si l’emblème n’avait pas été partiel et en dehors de la position de présentation, le menteur se serait rendu compte de ce qui se passait et l’aurait censuré. Bien sûr, ces caractéristiques qui distinguent l’emblème fuité – partialité et extériorité – le rendent difficile à percevoir pour l’interlocuteur. Un menteur peut exécuter des emblèmes fuités à plusieurs reprises sans que lui-même ni sa victime ne s’en rendent compte. Rien ne garantit que tous les menteurs fassent des lapsus emblématiques. Il n’existe pas de signe de tromperie incontestable. Trop peu d’études ont cherché à estimer la fréquence des lapsus emblématiques lors du mensonge. Confrontés au professeur hostile, deux étudiants sur cinq ont commis un lapsus emblématique. Un peu plus de la moitié des élèves infirmières en ont effectué un quand elles mentaient. J’ignore pourquoi certains individus présentent ce type de fuite et d’autres non. Si les menteurs ne font pas tous des lapsus emblématiques, quand ceux-ci se produisent, ils sont tout à fait fiables. Le lapsus emblématique peut être reconnu comme un signe authentique d’un message que l’individu ne souhaite pas révéler. Son interprétation est moins sensible au risque Brokaw que la plupart des autres indices de tromperie. Certaines personnes 62 parlent toujours d’une manière alambiquée, mais peu de gens font régulièrement des lapsus emblématiques. Les erreurs d’élocution peuvent indiquer divers types de stress, pas nécessairement celui qu’entraîne le mensonge. Comme l’emblème communique un message bien spécifique, tout comme les mots, les lapsus emblématiques ne sont généralement pas aussi ambigus. Si l’individu fuite le message « Va te faire voir », « Je suis furieux », « Je ne le pense pas » ou « Là-bas » – qui peuvent tous être exprimés par un emblème –, il ne devrait pas être trop difficile d’interpréter sa signification. Le type d’emblème qui fuite durant un mensonge et le message qu’il porte dépendent de ce qui est dissimulé. Les étudiants dans l’expérience de stress dissimulant la colère et l’indignation, les lapsus emblématiques étaient le doigt d’honneur et le poing serré. Dans l’expérience des infirmières, les sujets n’éprouvaient pas de colère, mais beaucoup pensaient ne pas parvenir à dissimuler correctement leurs émotions ; le haussement d’épaules d’impuissance était donc le lapsus emblématique. Aucun adulte n’a besoin d’apprendre le vocabulaire des emblèmes. Tout le monde connaît ceux qui sont utilisés par les membres de sa propre culture. Ce qu’il faut apprendre, en revanche, c’est que l’emblème peut faire l’objet d’un lapsus. Si les détecteurs ne sont pas conscients de cette possibilité, ils ne pourront pas repérer les lapsus emblématiques qui seront partiels ou extérieurs à la position de présentation. Les illustrants Les illustrants sont un autre type de mouvement corporel qui peut fournir un indice de tromperie. Ils sont souvent confondus avec les lapsus emblématiques, mais il est important de bien faire la distinction, car la fréquence de ces deux types de gestes est différente quand l’individu ment : alors que les lapsus emblématiques augmentent, les illustrants diminuent généralement. Les illustrants sont appelés ainsi parce qu’ils illustrent ce qui est dit. Il y a de nombreuses manières de le faire : on peut insister sur un mot ou une phrase, comme s’ils étaient soulignés ; le cours de la pensée peut être dessiné dans l’air, comme si le locuteur organisait son discours ; les mains peuvent former une image dans le vide ou mimer un geste qui répète ou amplifie ce qui est dit. Ce sont généralement les mains qui illustrent le discours ; on dit d’ailleurs de ceux qui les utilisent qu’ils « parlent avec leurs mains ». Mais des mouvements des sourcils et des paupières supérieures servent aussi souvent d’accents, ainsi que le tronc ou le corps tout entier. La société a différemment considéré la bienséance des illustrants au cours des siècles. À certaines époques, illustrer était la marque des classes supérieures, et à d’autres cela était considéré comme grossier. Les manuels d’élocution les ont généralement décrits comme nécessaires pour la prise de parole en public. Les premières études des illustrants ne furent pas entreprises pour découvrir des indices de tromperie, mais pour contredire les thèses des sociologues nazis. Les résultats de cette étude peuvent aider le détecteur à éviter des erreurs dues aux spécificités nationales des illustrants. Durant les années trente parurent de nombreux articles qui prétendaient que les illustrants étaient innés et que les « races inférieures », comme les Juifs et les gitans, faisaient de nombreux grands gestes, contrairement à la « race 63 supérieure aryenne » naturellement moins expansive. Il n’y était d’ailleurs pas question des grandes gesticulations de l’allié italien ! David Efron, juif argentin étudiant à l’université Columbia avec l’anthropologue Franz Boas, observa les illustrants des habitants du Lower East Side de New York. Il découvrit que les immigrés d’origine sicilienne utilisaient des illustrants qui dessinent ou miment une action, alors que ceux qu’employaient les immigrés juifs d’origine lituanienne soulignaient ou représentaient le flux de la pensée. Leurs enfants nés aux États-Unis, qui fréquentaient des écoles publiques, ne présentaient pas de différence d’usage des illustrants : qu’ils soient d’origine sicilienne ou lituanienne, les enfants utilisaient les mêmes. Efron démontra ainsi que le style des illustrants est acquis et non inné. Non seulement des individus de cultures différentes utilisent des illustrants différents, mais certains illustrent très peu et d’autres, beaucoup. Enfin, au sein d’une même culture, l’utilisation des illustrants est différente selon l’individu. Les familles d’immigrés de cultures qui utilisent beaucoup les illustrants encouragent souvent leurs enfants à ne pas parler avec les mains, afin de ne pas avoir l’air étrangers. Ne pas utiliser les illustrants les fera ressembler à des Européens du Nord, population immigrante la plus ancienne en Amérique du Nord. Ce ne sont donc pas le type et la fréquence des illustrants qui peuvent trahir un mensonge. L’indice de tromperie est la diminution du nombre d’illustrants utilisés par rapport à l’habitude. Nous allons voir les individus qui les utilisent beaucoup, afin d’éviter de mal interpréter leur diminution. D’abord, demandons-nous pourquoi les individus illustrent. Les illustrants sont utilisés pour expliquer des idées qui sont difficiles à formuler. Nous avons découvert que les gens avaient plus tendance à illustrer quand on leur demandait de définir un zigzag plutôt qu’une chaise, quand on leur demandait le chemin du bureau de poste plutôt que leur métier. Les illustrants peuvent également être utilisés par l’individu qui cherche ses mots. Claquer des doigts ou les agiter dans le vide semble aider l’individu à trouver le terme qui lui échappe, comme s’il flottait devant lui et que le geste lui permettait de l’attraper. Ce genre d’illustrant permet à l’interlocuteur de comprendre qu’on cherche un mot sans avoir pour autant renoncé à parler. Les illustrants peuvent avoir une fonction d’amorçage, permettant à l’individu d’organiser son discours de manière cohérente. Les illustrants sont plus nombreux quand le locuteur est impliqué dans son discours. Les gens ont tendance à illustrer davantage quand ils sont furieux, horrifiés, très agités, en détresse ou enthousiastes. Demandons-nous maintenant pourquoi un individu utilise moins les illustrants qu’à son habitude, car cela nous fera comprendre dans quelles circonstances cette diminution peut être un indice de tromperie. La première raison est un manque d’investissement émotionnel dans ce qui est dit. L’individu illustre moins quand il n’est pas impliqué, s’ennuie, n’éprouve pas d’intérêt ou est profondément attristé. L’individu qui feint la 64 sollicitude ou l’enthousiasme peut être trahi parce qu’il oublie d’accompagner son discours d’illustrants. Les illustrants diminuent également quand un individu a du mal à décider précisément ce qu’il va dire. Lorsqu’on pèse chaque mot avec soin, en réfléchissant à ce que l’on va dire, il n’y a guère à illustrer. Quand on prononce un discours pour la première ou la deuxième fois, qu’il s’agisse d’une conférence ou d’un argumentaire de vente, les illustrants seront moins nombreux que les fois suivantes, quand aucun effort ne sera nécessaire pour trouver les mots. Les illustrants diminuent quand l’individu fait attention à ce qu’il dit. Cela peut n’avoir aucun rapport avec la tromperie. La personne peut être prudente parce que l’enjeu est très élevé : bonne impression à faire à son patron, réponse à une question qui peut faire gagner, premiers mots à une personne que l’on admire de loin depuis longtemps. Les sentiments mitigés incitent également à la prudence. Un individu timoré peut être très tenté par la proposition d’un travail beaucoup mieux payé, mais avoir peur de prendre les risques qui l’accompagnent ; partagé entre les deux, il a du mal à savoir quoi dire et comment. Si un menteur n’a pas correctement préparé sa réplique, il devra également se montrer prudent et réfléchir à chaque mot avant de parler. Les menteurs qui n’ont pas répété, qui sont peu entraînés à un mensonge spécifique, qui ne parviennent pas à prévoir ce qui leur sera demandé, et quand, montreront une diminution des illustrants. Même si un menteur a préparé et répété sa réplique, ses illustrants peuvent diminuer à cause de l’interférence de ses émotions. Certaines, notamment la peur, peuvent empêcher une élocution cohérente. La nécessité de gérer presque n’importe quelle émotion intense rend difficile l’enchaînement des mots. Si l’émotion doit être dissimulée, et non pas seulement gérée, et si elle est intense, il est probable que même un menteur avec une réplique bien préparée aura du mal à la prononcer et que ses illustrants seront moins nombreux. Les infirmières de notre expérience illustraient moins quand elles tentaient de dissimuler leurs réactions au film sanglant que lorsqu’elles décrivaient sincèrement leurs émotions sur le film maritime. Cette diminution des illustrants a au moins deux raisons : les sujets n’avaient pas l’entraînement pour faire le mensonge demandé et n’avaient pas eu le temps de préparer leur discours, elles éprouvaient à la fois de l’appréhension de détection et des émotions intenses en réaction au film sanglant qu’elles regardaient. Beaucoup d’autres chercheurs ont également découvert que les illustrants sont moins apparents chez l’individu qui ment que chez l’individu qui dit la vérité. Dans ces études, il y avait une faible implication émotionnelle, mais les menteurs étaient mal préparés. En introduisant les illustrants, j’ai précisé qu’il était important de les distinguer des emblèmes, car, lors du mensonge, les lapsus emblématiques augmentent alors que les illustrants sont moins nombreux. La différence cruciale entre emblèmes et illustrants se situe dans la précision du geste et du message. Dans le cas de l’emblème, elle est très spécifique : il ne s’agit pas de n’importe quel geste ; il doit être parfaitement défini pour véhiculer un message très précis. En revanche, les illustrants peuvent comprendre un 65 large éventail de gestes et véhiculer un message relativement vague. Prenons l’exemple de l’emblème qui signifie « Tout va bien » (le pouce et l’index réunis forment un O). Il n’existe qu’une seule manière de l’exécuter. Si le pouce rejoint le majeur ou l’auriculaire, le sens ne serait pas très clair. Et le sens est très spécifique. Par ailleurs, cet emblème a une signification tout à fait différente et obscène dans le Sud de l’Europe. Les emblèmes ne sont pas universels. Leur sens dépend de la culture. Les illustrants n’ont pas de signification indépendamment des mots. Voir quelqu’un illustrer sans entendre les paroles qui vont avec ne révèle pas grandchose sur la conversation. Ce n’est pas le cas si l’individu exécute un emblème. Autre différence : bien que les deux apparaissent lors de conversations, les emblèmes peuvent être utilisés à la place d’un mot ou quand les gens ne peuvent pas parler. Les illustrants, par définition, ne sont utilisés qu’en accompagnement de la parole, pas pour la remplacer ni quand les sujets ne peuvent pas parler. Le détecteur doit être plus prudent dans l’interprétation des illustrants que des lapsus emblématiques. Comme nous l’avons vu plus haut, le risque Brokaw influence les illustrants, mais pas les lapsus emblématiques. Si le détecteur remarque une diminution des illustrants, il doit éliminer toutes les autres raisons (excepté le mensonge) que peut avoir un individu qui choisit soigneusement chaque mot. Il y a moins d’ambiguïté avec le lapsus emblématique : le message véhiculé est généralement suffisamment distinct pour être plus facilement interprété par le détecteur. Enfin, celui-ci n’a pas besoin de connaître préalablement le suspect pour interpréter un lapsus emblématique. Un tel geste en lui-même possède un sens. Comme les habitudes d’utilisation des illustrants sont très différentes pour chacun, leur apparition n’est pas pertinente, sauf si le détecteur dispose d’une base de comparaison. Interpréter les illustrants, comme la plupart des autres indices de tromperie, exige de connaître le sujet. Déceler la tromperie est très difficile lors d’une première rencontre. Les lapsus emblématiques constituent l’une des rares possibilités. Les manipulatoires Nous allons maintenant expliquer un autre type de gestuelle, les manipulatoires, pour mettre en garde le détecteur sur le risque de les interpréter comme des indices de tromperie. Nous avons découvert que les détecteurs estiment souvent par erreur qu’un individu sincère ment parce qu’il utilise beaucoup de manipulatoires. Si les manipulatoires peuvent être le signe que l’individu est ému, ce n’est pas toujours le cas. Une augmentation des manipulatoires n’est pas un signe fiable de tromperie, mais la plupart des gens s’imaginent le contraire. Les manipulatoires comprennent tous les mouvements dans lesquels une partie du corps en manipule une autre (toucher, frotter, tenir, pincer, gratter, etc.). 66 Ces gestes peuvent être très brefs ou durer plusieurs minutes. Certains des plus courts semblent avoir une fonction : rajuster une coiffure, déboucher une oreille, soulager une démangeaison. D’autres manipulatoires, particulièrement ceux qui durent longtemps, semblent sans fonction : l’individu se tortille une mèche de cheveux, se frotte les doigts, tape nerveusement du pied. C’est généralement la main qui est le manipulatoire. Elle peut également être la partie manipulée, comme toute autre partie du corps. Les parties manipulées communes sont les cheveux, les oreilles, le nez, l’entrejambe. D’autres manipulatoires peuvent être effectués sur le visage lui-même – la langue se frottant contre l’intérieur d’une joue, les dents qui mordillent les lèvres – ou une jambe avec l’autre. Des accessoires peuvent servir dans la manipulation : allumette, crayon, trombone, cigarette… Si la plupart des individus sont éduqués pour ne pas avoir des gestes aussi intimes en public, ils ont appris non pas à ne plus les faire mais seulement à s’arrêter quand ils les font. Ce n’est pas qu’ils soient totalement inconscients de leurs manipulatoires. Si nous nous rendons compte que quelqu’un observe notre geste, nous nous interrompons aussitôt, ou bien nous l’atténuons ou le déguisons. Un grand geste sert souvent à couvrir un geste plus furtif. Même cette stratégie élaborée pour dissimuler un manipulatoire ne se fait pas très consciemment. Les manipulatoires sont aux confins de la conscience. La plupart des individus ne parviennent pas à les réprimer très longtemps, même quand ils font un effort. Les gens ont l’habitude de se manipuler. Nous sommes beaucoup mieux élevés quand nous sommes l’observateur que lorsque nous effectuons la manipulation. Nous laissons généralement l’individu qui fait un manipulatoire terminer son geste, même s’il est commencé au milieu d’une conversation. D’autres se détournent et attendent qu’il soit terminé. Si le manipulatoire fait partie des gestes apparemment sans fonction, comme s’entortiller les mèches de cheveux, ce qui peut s’éterniser, bien entendu l’interlocuteur n’attend pas, mais les gens ne l’observent pas directement très longtemps. Cette non-attention aux manipulatoires est une habitude acquise qui se fait machinalement. C’est moins le manipulatoire que l’observateur qui provoque l’entorse aux bonnes manières, un peu comme un voyeur. Quand deux voitures s’arrêtent à un feu rouge, c’est celui qui regarde dans la voiture voisine qui commet l’impair, et non celui qui se cure énergiquement les oreilles. Ceux qui ont étudié ces gestes se sont demandé comme moi pourquoi un individu choisit tel manipulatoire plutôt qu’un autre. Y a-t-il un sens particulier à se frotter plutôt qu’à se gratter ou se pincer ? Par ailleurs, y a-t-il un message à interpréter selon que c’est la main, l’oreille ou le nez qui est gratté ? Les habitudes personnelles sont en partie la réponse. Chaque individu a son geste préféré qui lui est propre. Pour l’une, ce sera faire tourner sa bague, pour un autre, arracher ses cuticules ou se tripoter la moustache. Personne n’a cherché à découvrir pourquoi certains individus ont un geste favori et pourquoi d’autres n’en ont aucun. Des indices laissent à penser que certains manipulatoires révèlent davantage qu’un simple malaise. Nous avons repéré des manipulatoires (curage) chez des internés en hôpital psychiatrique qui n’exprimaient aucune colère. Se couvrir les yeux était courant chez des patients qui éprouvaient de la 67 honte. Mais c’est assez peu concluant ; en revanche, on s’accorde à penser que les manipulatoires sont plus nombreux en cas de malaise 18 . Les scientifiques ont raisonnablement bien corroboré l’idée reçue selon laquelle les gens s’agitent quand ils sont mal à l’aise ou inquiets. Grattage, pincement, curage et manipulatoires cosmétiques (gestes qui rectifient l’apparence) augmentent avec n’importe quel type de malaise. Je pense que les gens se livrent également à des manipulatoires quand ils sont détendus et se laissent aller. Avec leurs amis, les gens se soucient moins des bonnes manières. Certains individus ont plus tendance que d’autres à roter, se laisser aller à des comportements qui sont retenus dans la plupart des situations. Si cette hypothèse est correcte, les manipulatoires sont des signes de malaise uniquement dans les situations les plus formelles, en présence de tiers qui ne sont pas familiers. Les manipulatoires ne sont pas des indices fiables de tromperie parce qu’ils peuvent indiquer des états opposés : malaise et détente. En outre, les menteurs savent qu’ils doivent essayer de réduire leurs manipulatoires et la plupart y parviennent généralement. Les menteurs n’ont pas une connaissance particulière dans ce domaine : selon les croyances populaires, les manipulatoires sont des signes de malaise et de comportement inquiet. Tout le monde pense qu’un menteur s’agite et que cette animation est un indice de tromperie. Quand on demande aux gens comment ils devinent qu’un individu ment, ils indiquent prioritairement l’agitation et les regards fuyants. Les indices connus de tous, qui impliquent un comportement pouvant être rapidement contrôlé, ne seront pas très fiables si les enjeux sont élevés et que le menteur ne veut pas être démasqué. Les élèves infirmières ne présentèrent pas plus de manipulatoires en mentant qu’en disant la vérité. D’autres études ont découvert une augmentation des manipulatoires durant le mensonge. Je pense que c’est la différence d’enjeu qui provoque cette contradiction dans les conclusions. Quand les enjeux sont élevés, les manipulatoires peuvent être intermittents, car des forces opposées peuvent être à l’œuvre. Un enjeu élevé amène le menteur à surveiller et contrôler les indices de tromperie connus et accessibles, comme les manipulatoires, mais ce même enjeu élevé lui fait redouter d’être démasqué, malaise qui renforce les manipulatoires. Les manipulatoires peuvent augmenter, être surveillés, maîtrisés, disparaître momentanément, réapparaître, puis, après un certain temps, être de nouveau remarqués et réprimés. Comme l’enjeu était élevé, les infirmières s’efforçaient de maîtriser leurs manipulatoires. Les enjeux étaient faibles dans les études qui ont découvert une augmentation des manipulatoires durant le mensonge. La situation étant un peu étrange – il est rare qu’on vous demande de mentir dans une expérience – il pouvait y avoir assez de malaise pour que les manipulatoires augmentent. Mais il n’y avait aucun gain ni perte importante en cas de succès ou d’échec de ces tromperies, et donc peu de raisons pour le menteur de faire l’effort de surveiller et 68 réprimer ses manipulatoires. Même si mon explication de ces résultats contradictoires est fausse – ce genre d’interprétation a posteriori ne peut être qu’une conjecture tant qu’elle n’a pas été confirmée par une autre étude –, ces résultats contradictoires sont en eux-mêmes une raison suffisante pour que le détecteur soit prudent dans son interprétation des manipulatoires. Dans notre étude sur la capacité des individus à détecter les mensonges, nous découvrîmes que les sujets jugeaient comme menteurs ceux qui présentaient beaucoup de manipulatoires. Peu importait que l’individu dise la vérité ou mente : ceux qui les voyaient les jugeaient malhonnêtes. Il importe de tenir compte de la probabilité de faire cette erreur. Voyons les multiples raisons qui font des manipulatoires des indices de tromperie non fiables. La fréquence des manipulatoires et leur type varient énormément selon les individus. Cette spécificité individuelle (le risque Brokaw) peut être pondérée si le détecteur a déjà vu le sujet et est donc en mesure de faire des comparaisons de comportement. Comme tout le monde pense que présenter des manipulatoires nombreux trahit la tromperie, un menteur motivé essaiera de les réprimer. Contrairement à l’expression faciale, que les gens essaient aussi de contrôler, les manipulatoires sont faciles à réprimer. Les menteurs y réussissent la plupart du temps, si l’enjeu est élevé. Un autre aspect corporel – la posture – a fait l’objet de nombreuses études, mais peu de preuves de fuite ou d’indices de tromperie ont été découverts. Les gens savent comment ils sont censés se tenir assis ou debout. La posture convenant à un entretien officiel diffère de celle adoptée pour bavarder avec un ami. La posture semble bien contrôlée et réprimée quand l’individu ment. Dans mes études comme dans d’autres, aucune différence de posture n’a été découverte entre menteurs et individus sincères. Une étude sur la tromperie a d’ailleurs révélé que les gens croient que l’individu qui change de posture fréquemment est un menteur. En réalité, il a été prouvé que la posture n’avait aucun lien avec la sincérité. Bien sûr, nous n’avons peut-être pas mesuré l’aspect de la posture qui change. Une possibilité est la tendance à se pencher en avant quand l’individu éprouve intérêt ou colère et à reculer en cas de peur ou de dégoût. Cependant, un menteur motivé devrait être capable d’inhiber dans sa posture les indices les plus évidents de ses émotions. Les indices du système nerveux autonome Pour le moment, nous n’avons abordé que les gestes déclenchés par les muscles. Le système nerveux autonome (SNA) provoque aussi des modifications physiques remarquables en cas d’émotion : respiration, déglutition et transpiration. Ces modifications se produisent involontairement quand une émotion apparaît, sont très

 

 

 difficiles à réprimer et peuvent pour cette raison constituer des indices de tromperie très fiables. Le décodeur mesure ces modifications SNA, mais beaucoup sont visibles sans l’utilisation de ce dispositif spécial. Si un menteur éprouve peur, colère, excitation, désarroi, culpabilité ou honte, il peut présenter une respiration rapide, un gonflement de la poitrine, des déglutitions fréquentes, une odeur ou l’apparition de transpiration. Pendant des décennies, les psychologues se sont demandé si chaque émotion possède son ensemble propre de modifications SNA. La plupart estiment que non ; ils pensent que la respiration s’accélère et que déglutition et transpiration augmentent quelle que soit l’émotion. Les modifications SNA marquent l’intensité d’une émotion, pas son type. Cette opinion contredit l’expérience de la plupart des gens. Ils éprouvent des sensations physiques différentes quand ils sont effrayés ou en colère, par exemple. Selon les psychologues, c’est parce que l’individu interprète le même ensemble de sensations physiques différemment selon qu’il est effrayé ou en colère. Rien ne prouve que l’activité SNA en elle-même soit différente selon que l’on a peur ou que l’on est en colère 19 . Ma plus récente étude contredit cette opinion. Si je ne me trompe pas et que les modifications SNA ne sont pas différentes, mais spécifiques à chaque émotion, cela pourrait être tout à fait important pour détecter le mensonge. Cela signifierait que le détecteur peut découvrir, avec un appareil, et même dans une certaine mesure en se contentant d’observer et d’écouter, non seulement si un suspect est ému, mais quelle émotion il éprouve : est-il effrayé ou en colère, dégoûté ou triste ? Cette information est également décelable sur le visage, mais l’individu peut réprimer beaucoup d’expressions faciales. L’activité SNA est beaucoup plus difficile à censurer. Pour le moment, nous n’avons publié qu’une seule étude et certains psychologues éminents ne sont pas d’accord avec nos conclusions. Mes découvertes ont été sujettes à controverse et jugées infondées, mais nos preuves sont solides et, avec le temps, je pense qu’elles seront reconnues par la communauté scientifique. Selon moi, deux problèmes faisaient obstacle à la découverte de preuves convaincantes que les émotions présentent une activité SNA différente, et il m’a semblé avoir la solution. Le premier est d’obtenir des échantillons purs d’émotion. Pour comparer les modifications SNA de la peur par rapport à celles de la colère, le scientifique doit être certain du moment où son sujet éprouve chaque émotion. Comme la mesure des modifications SNA exige un équipement scientifique, le sujet doit fournir ces échantillons dans un laboratoire. La difficulté est de provoquer une émotion dans un environnement stérile et non naturel. Comment susciter la peur et la colère, mais pas en même temps ? Cette dernière question est très importante, afin de ne pas provoquer ce que l’on appelle un mélange émotionnel. Faute d’émotions bien distinctes – d’échantillons purs – il n’y aurait aucun moyen de déterminer si l’activité SNA est différente pour chaque émotion : elle apparaîtrait identique. Il est difficile d’éviter les mélanges, en laboratoire comme dans le quotidien. Ils sont plus courants que les émotions pures. La technique la plus répandue pour échantillonner des émotions était jusqu’à présent de demander à un sujet de se rappeler ou de visualiser quelque chose qui fait 70 peur. Supposons que le sujet imagine être attaqué par un tueur. Le scientifique doit être certain qu’outre cette peur le sujet n’est pas un peu en colère contre son agresseur ou fâché d’avoir eu l’imprudence de se mettre en danger. Le même risque de mélange existe avec d’autres techniques pour susciter des émotions. Supposons que le scientifique projette un film d’horreur. Le sujet peut en vouloir au scientifique de l’avoir effrayé, s’en vouloir d’avoir eu peur, en vouloir à l’agresseur qu’il voit à l’écran, être désemparé devant les souffrances de la victime, dégoûté par le sang, surpris par la scène, etc. Il n’est pas facile d’imaginer un moyen d’obtenir des échantillons d’émotion pure. La plupart des scientifiques étudiant le SNA sont simplement partis du principe, erroné selon moi, que les sujets faisaient ce qu’on leur demandait et produisaient sans peine des échantillons d’émotion pure. Ils ont oublié de prendre les mesures nécessaires pour garantir ou vérifier que leurs échantillons d’émotion étaient vraiment purs. Le second obstacle à la découverte de preuves que les émotions présentent une activité SNA différente est la nécessité d’échantillonner les émotions dans un laboratoire et l’impact de la technologie utilisée. La plupart des sujets sont gênés de ce qui va leur arriver lorsqu’ils entrent. Et cela ne fait qu’empirer. Pour évaluer l’activité SNA, d’innombrables capteurs sont posés sur différentes parties de leur corps, rien que pour mesurer la respiration, les pulsations cardiaques, la température de l’épiderme et la transpiration. Se retrouver ainsi harnaché devant des scientifiques qui observent ce qui se passe en eux, et souvent sous l’œil de caméras qui enregistrent toutes les modifications visibles, est embarrassant pour la plupart des sujets. La gêne est une émotion, et si elle produit une activité SNA, celle-là contaminera tout échantillon d’émotion que cherche à obtenir le scientifique. Il peut croire que le sujet se rappelle un événement effrayant à un moment donné et un événement qui l’a mis en colère à un autre moment, mais en réalité il peut s’agir de gêne dans les deux cas. Aucun scientifique n’a pris de mesures pour diminuer la gêne, ni n’a vérifié si elle pouvait contaminer les échantillons d’émotion pure. Mes collègues et moi avons éliminé la gêne en choisissant des acteurs professionnels comme sujets d’étude 20 . Les acteurs ont l’habitude d’être observés et ne sont pas émus quand on scrute leur moindre mouvement. Au lieu d’être gênés, ils apprécièrent l’idée d’être couverts de capteurs qui enregistrent ce qui se passe en eux. Étudier des acteurs nous a également permis de résoudre le premier problème : obtenir des échantillons d’émotion pure. Nous avons pu mettre à profit leurs années de formation à la technique de l’Actors Studio permettant de se rappeler et de revivre des émotions – les acteurs utilisent des souvenirs sensoriels afin de jouer tel ou tel rôle. Dans notre expérience, nous avons demandé aux acteurs, couverts de capteurs et face à une caméra, de se rappeler et de revivre avec le plus d’acuité possible le moment où ils avaient éprouvé leur plus grande colère, puis la peur, la tristesse, la surprise, la joie et le dégoût. D’autres scientifiques avaient déjà utilisé cette technique, mais nous pensions avoir plus de chances de réussite en utilisant des acteurs professionnels. En outre, nous n’avons pas tenu pour acquis que nos sujets faisaient ce que nous leur demandions : nous avons vérifié que nous obtenions des échantillons purs et non des mélanges. Après chaque 71 reproduction du souvenir, nous avons demandé aux acteurs d’évaluer l’intensité de l’émotion demandée et de préciser s’ils avaient éprouvé toute autre émotion en parallèle – auquel cas nous l’éliminions de notre échantillon. Étudier des acteurs nous a également facilité l’essai d’une deuxième technique d’échantillonnage des émotions, qui n’avait encore jamais été utilisée. Nous l’avions découverte par hasard pour provoquer des émotions l’année précédente, dans le cadre d’une autre étude. Pour apprendre les mécanismes des expressions faciales – quels muscles produisent quelle expression – mes collègues et moi avions systématiquement fait des milliers d’expressions faciales qui avaient été filmées et analysées pour déterminer quelles combinaisons de mouvements musculaires modifient l’apparence. À notre surprise, quand nous déclenchions ces mouvements musculaires liés à des émotions, nous sentions brusquement des modifications dans notre organisme dues à l’activité SNA. Nous n’avions aucune raison de penser que bouger volontairement des muscles faciaux puisse provoquer des modifications SNA involontaires, mais cela se produisit régulièrement. Cependant, nous ignorions toujours si l’activité SNA était différente selon les mouvements musculaires choisis. Nous avons donc précisé aux acteurs quels muscles faciaux précis ils devaient déclencher. Nous avions six instructions différentes correspondant à chacune des six émotions. N’éprouvant aucune gêne à faire des expressions faciales sur demande et devant des spectateurs, et étant doués pour le faire, les acteurs n’ont eu aucune peine à s’exécuter. Là encore, nous ne nous sommes pas contentés de prendre pour acquis les résultats. Leurs expressions ont été enregistrées en vidéo et utilisées uniquement quand la séquence montrait qu’ils exécutaient exactement les mouvements faciaux demandés. Notre expérience a découvert des preuves solides que l’activité SNA n’est pas la même pour toutes les émotions. Les modifications du rythme cardiaque, de la température de l’épiderme et de la transpiration sont différentes pour chaque émotion. Par exemple, quand les acteurs exécutaient les mouvements faciaux correspondant à la colère, puis à la peur (et n’oublions pas qu’il leur était seulement demandé de déclencher ces mouvements et non de jouer ces émotions), pour les deux le rythme cardiaque s’accélérait, mais la température de l’épiderme se modifiait différemment : elle augmentait avec la colère et baissait dans le cas de la peur. L’expérience a été renouvelée avec des sujets différents, avec les mêmes résultats. Si ces résultats étaient reproductibles par d’autres scientifiques en laboratoire, ils pouvaient modifier les conclusions que peut tirer un opérateur de décodeur. Au lieu de simplement tenter de savoir si un suspect éprouve une émotion quelconque, l’opérateur peut identifier laquelle en mesurant plusieurs activités SNA. Même sans l’appareil, par simple observation, le détecteur peut déceler des modifications du rythme respiratoire ou de la transpiration qui peuvent permettre de repérer des émotions spécifiques. Les erreurs de détection – juger menteur un individu sincère et vice versa – pourraient être réduites si l’activité SNA, qui est très difficile à inhiber, pouvait révéler quelle émotion éprouve un suspect. Nous ne savons pas encore si les émotions peuvent être distinguées 72 simplement par les signes visibles et audibles d’activité SNA, mais désormais nous avons une raison de chercher à le découvrir.

 

 

Au chapitre 1,

nous avons vu qu’il existait deux manières principales de mentir : dissimulation et feinte. Pour le moment, ce chapitre a étudié comment les tentatives pour dissimuler les émotions peuvent être trahies par les paroles, la voix ou le corps. Un menteur peut feindre une émotion qu’il est nécessaire d’éprouver dans une situation donnée, mais qu’il ne ressent pas, ou pour couvrir une émotion réellement éprouvée. Par exemple, un sujet peut feindre une expression de tristesse en apprenant que l’entreprise de son beau-frère a fait faillite. S’il n’est absolument pas ému, l’expression feinte montre simplement l’attitude convenable ; mais s’il se réjouit secrètement de cette situation, une expression de tristesse feinte servira également à masquer ses véritables sentiments. Les paroles, la voix ou le corps peuvent-ils trahir ces expressions feintes et révéler qu’une émotion est seulement présentée et non éprouvée ? Personne ne le sait. Les performances imparfaites d’émotions feintes ont été étudiées moins en détail que les fuites d’émotions dissimulées. Je ne peux faire part ici que de mes observations, théories et intuitions. Alors que les mots permettent de mentir, il n’est pas facile pour quiconque, sincère ou menteur, de décrire les émotions par des mots. Seul un poète peut exprimer les nuances révélées par une expression. Peut-être n’est-il pas plus difficile de prétendre en paroles une émotion non éprouvée qu’une autre que l’on ressent. Généralement, ce ne sera ni très éloquent ni très convaincant dans un cas comme dans l’autre. Je suppose que la plupart des gens peuvent prendre une voix fâchée, effrayée, désemparée, heureuse, dégoûtée ou surprise assez convaincante pour tromper autrui. Alors qu’il est très difficile de dissimuler les changements dans la voix qui se produisent avec ces émotions, il l’est moins de les feindre.

 

La plupart des gens se laissent tromper par une voix.

Certaines des modifications produites par le système nerveux autonome sont faciles à feindre. Alors qu’il est difficile de dissimuler des signes d’émotion dans la respiration ou la déglutition, il n’est pas compliqué de les feindre en respirant plus vite ou en déglutissant plus souvent.

 

La transpiration est une autre affaire, elle est difficile à dissimuler comme à feindre ; si un menteur peut utiliser respiration et déglutition pour feindre une émotion négative, j’estime que pour la transpiration, c’est rarement le cas.

 

 

Alors qu’un menteur pourrait augmenter ses manipulatoires afin de paraître à l’aise, la plupart des individus ne pensent pas à le faire. Un suspect qui joue la peur ou le désarroi de manière convaincante peut tout faire échouer s’il néglige d’utiliser ces gestes faciles à exécuter. Les illustrants peuvent être joués, mais probablement pas de manière assez convaincante pour donner une impression d’implication et d’enthousiasme. Selon la presse, les anciens présidents Nixon et Ford avaient suivi une formation pour mieux les 73 utiliser. En les voyant à la télévision, j’ai trouvé que cet entraînement leur donnait un air faux. Il est difficile de placer un illustrant exactement là où les paroles l’exigent : soit ils apparaissent trop tôt, soit ils durent trop longtemps. C’est un peu comme vouloir skier en réfléchissant à chaque geste au fur et à mesure : la coordination est confuse et cela se voit.

 

J’ai décrit les indices comportementaux qui peuvent fuiter une information dissimulée, indiquer que l’individu n’a pas préparé sa réplique, ou qui trahissent une émotion non cohérente avec le

 

discours : Les lapsus verbaux et les tirades peuvent fuiter des informations dissimulées de tout type – émotions, actions antérieures, projets, intentions, idées, etc.

 

Une voix plus aiguë et plus forte, et un débit plus rapide surviennent avec la peur, la colère et peut-être l’excitation.

La voix subit les modifications inverses avec la tristesse et peut-être la culpabilité. Le discours indirect, les pauses, les erreurs de langage et la diminution des illustrants peuvent indiquer que le locuteur fait très attention à ses paroles, n’ayant pas préparé son discours.

Ce sont des signes de n’importe quelle émotion négative. Une diminution des illustrants se produit également en cas d’ennui. Les modifications du rythme respiratoire, de la transpiration, la déglutition fréquente et la bouche sèche sont des signes d’émotions intenses et il est possible qu’à l’avenir on puisse déterminer lesquelles en fonction de ces changements.

 

 

 

Chapitre 4

 

Les indices faciaux de tromperie Le visage est une source d’informations précieuse pour le détecteur, car il peut mentir et dire la vérité, et souvent les deux en même temps. Le visage contient souvent deux messages : ce que le menteur veut montrer et ce qu’il cherche à dissimuler. Certaines expressions soutiennent le mensonge en fournissant une information inexacte. En revanche, d’autres trahissent le mensonge parce qu’elles paraissent fausses, et des émotions fuitent parfois malgré les efforts pour les dissimuler. Des expressions fausses mais convaincantes peuvent se produire à un certain moment et des expressions dissimulées fuiter immédiatement après. Il arrive même que l’émotion éprouvée et l’émotion fausse apparaissent dans différentes zones du visage en formant une unique expression mélangée. Selon moi, la plupart des gens échouent à détecter les mensonges sur le visage parce qu’ils ne savent pas distinguer les expressions authentiques des fausses. Les émotions authentiques surviennent parce que des mouvements faciaux peuvent être produits involontairement, sans pensée ni intention. Les émotions fausses apparaissent parce qu’un contrôle volontaire est exercé sur le visage par l’individu, qui agit sur l’émotion authentique et en simule une autre. Le visage est un système double, comprenant des expressions délibérément choisies et d’autres qui se produisent spontanément, parfois sans que l’individu ait conscience de ce qui apparaît sur sa physionomie. Il existe une zone intermédiaire entre volontaire et involontaire occupée par des expressions apprises autrefois mais devenues automatiques, et typiquement inconscientes. Les maniérismes faciaux et les habitudes enracinées qui dictent la gestion de certaines expressions, comme l’incapacité à montrer de la colère devant des représentants de l’autorité, en sont des exemples. Cependant, ce qui m’occupe ici, ce sont les expressions fausses, volontaires et délibérées, contribuant à la tentative de mensonge, et les expressions involontaires, spontanées et émotionnelles qui peuvent occasionnellement fuiter malgré les efforts du menteur pour les dissimuler. Des études sur des patients atteints de différentes lésions cérébrales démontrent que les expressions volontaires et involontaires mobilisent différentes zones du cerveau. Ceux qui souffrent d’une lésion de la portion du cerveau comprenant ce que l’on appelle le système pyramidal sont incapables de sourire si on le leur demande, mais sourient quand ils entendent une plaisanterie ou sont heureux. C’est l’inverse pour les patients atteints de lésions touchant le système non pyramidal : ils sont capables de sourire volontairement, mais restent impassibles quand ils s’amusent. Les victimes de lésions du système pyramidal – incapables d’avoir une expression délibérée – ne devraient pas pouvoir mentir avec leur visage, car il leur est impossible d’inhiber ou de feindre des expressions. Les individus souffrant de lésions du système non pyramidal – qui sont 75 impassibles quand ils éprouvent une émotion – devraient être d’excellents menteurs faciaux, puisqu’ils ne sont pas obligés d’inhiber la moindre expression sincère 1 . Les expressions faciales involontaires d’émotions sont le résultat de l’évolution. Beaucoup d’entre elles sont les mêmes que chez d’autres primates. Certaines émotions humaines comme celles qui indiquent la colère, la peur, le dégoût, le mépris, la tristesse, la surprise et la joie sont universelles, quels que soient l’âge, le sexe, la race ou la culture 2 . Ces expressions faciales sont la plus abondante source d’informations sur les émotions, révélant de subtiles nuances dans les sentiments passagers. Le visage peut révéler la spécificité d’une expérience émotionnelle que seul un poète peut rendre en mots. On peut voir sur le visage : quelle émotion est éprouvée – colère, peur, tristesse, dégoût, détresse, joie, satisfaction, excitation, surprise et mépris, chacune véhiculée par une expression distincte ; si deux émotions sont mélangées – souvent, deux émotions sont éprouvées et le visage exprime des éléments de chacune ; l’intensité de l’émotion éprouvée – chaque émotion peut varier en intensité – de l’agacement jusqu’à la fureur, de l’appréhension jusqu’à la terreur, etc. Mais, comme je l’ai dit, le visage n’est pas simplement un système involontaire de signaux émotionnels. Dans les premières années de la vie, l’enfant apprend à contrôler certaines de ces expressions faciales, à dissimuler les émotions sincères et à feindre l’expression d’émotions non ressenties. Les parents enseignent à leurs enfants à contrôler leurs expressions par l’exemple et aussi, plus directement, par des consignes comme : « Ne me regarde pas avec cet air méchant », « Aie l’air heureux quand on te fait un cadeau », « Ne prends pas cet air ennuyé ». En grandissant, l’individu apprend si bien les règles d’affichage qu’elles peuvent devenir des habitudes profondément enracinées. Au bout d’un certain temps, de nombreuses règles d’affichage pour la gestion de l’expression émotionnelle finissent par fonctionner automatiquement, modulant l’expression sans décision ni même conscience. Même lorsque l’individu se rend compte de ses règles d’affichage, il n’est pas toujours possible, et de toute façon jamais facile de s’empêcher de les suivre. Une fois qu’une habitude enracinée est devenue un automatisme inconscient, elle est difficile à perdre. J’estime même que ces habitudes sont peut-être parmi les plus difficiles de toutes à rompre. Ce sont les règles d’affichage, dont certaines sont différentes selon la culture, qui donnent l’impression au voyageur que les expressions faciales ne sont pas universelles. J’ai découvert que lorsque des Japonais regardent des films émouvants, leurs expressions ne diffèrent pas de celles des Américains, à condition qu’ils soient seuls. En présence d’un tiers, d’un individu détenant l’autorité, les Japonais, bien plus que la plupart des Américains, suivent des règles d’affichage qui les conduisent à masquer toute expression d’émotion négative par un sourire poli 3 . Outre ces contrôles habituels et automatiques des expressions faciales, l’individu peut décider volontairement et tout à fait consciemment de censurer l’expression 76 d’émotions sincères ou feindre une émotion non ressentie. La plupart des gens réussissent certaines de ces tromperies faciales. Presque tout le monde se souvient d’avoir été totalement dupé par l’expression de quelqu’un. Pourtant, presque tout le monde a également vécu l’expérience inverse, en s’apercevant d’un mensonge grâce à l’expression qui passait sur le visage de son interlocuteur. Par exemple, quel couple ne se rappelle pas une circonstance où l’un a vu sur le visage de l’autre une émotion (généralement colère ou peur) que son partenaire n’était pas conscient de montrer et a même nié éprouver ? La plupart des gens se pensent capables de détecter une expression feinte : notre étude a démontré qu’ils en sont presque tous incapables. Dans le chapitre précédent, j’ai décrit l’expérience dans laquelle nous avons découvert que les gens ne parvenaient pas à distinguer les infirmières qui mentaient de celles qui disaient la vérité. Ceux qui voyaient seulement les expressions faciales des infirmières avaient un taux de réussite inférieur au hasard, jugeant plus honnêtes les infirmières qui mentaient. Ils avaient été bernés par l’expression feinte et n’avaient pas remarqué les expressions qui fuitaient les émotions sincères. Quand un individu ment, ses expressions les plus évidentes et faciles à repérer sont généralement celles qui sont feintes. On manque souvent les signes subtils indiquant que ces expressions ne sont pas ressenties et les indices furtifs d’émotions dissimulées. La plupart des chercheurs n’ont pas mesuré les expressions faciales du menteur, et se sont concentrés sur des comportements plus faciles à mesurer, comme les illustrants corporels ou les erreurs d’élocution. Les rares qui se sont intéressés au visage ont seulement étudié le sourire et l’ont mesuré trop simplement. Ils ont découvert que l’individu sourit autant quand il ment que lorsqu’il dit la vérité. Ces chercheurs n’ont pas identifié le type de sourire. Car tous les sourires ne sont pas identiques. Notre technique de mesure faciale peut distinguer plus de cinquante sourires différents. Nous avons découvert que les infirmières souriaient différemment selon qu’elles mentaient ou disaient la vérité. C’est simplement parce qu’il existe tant d’expressions différentes à distinguer que les chercheurs spécialisés dans la communication non verbale et le mensonge ont évité les mesures faciales. Jusqu’à récemment, il n’y avait aucun moyen exhaustif et objectif de mesurer toutes les expressions faciales. Nous avons entrepris de développer une telle méthode parce que nous savions, après avoir visionné l’expérience des infirmières, que découvrir les signes faciaux de tromperie exigerait cette précision. Nous avons passé près de dix ans à développer cette technique 4 . Il existe des milliers d’expressions faciales, qui ne sont pas toutes liées à une émotion. Beaucoup sont ce que l’on appelle des signaux conversationnels qui, comme les illustrants corporels, soulignent le discours ou la syntaxe, comme les points d’interrogation ou d’exclamation faciaux. Il existe également un certain nombre d’emblèmes faciaux : le clin d’œil, le haussement de sourcils avec lèvres incurvées vers le bas, comme Droopy, ou le sourcil unique haussé en signe de scepticisme, pour n’en mentionner que quelques-uns. Il existe des manipulatoires faciaux, comme se mordiller 77 les lèvres, les suçoter, les essuyer, gonfler les joues. Et il y a enfin les expressions émotionnelles, sincères et feintes. Il n’existe pas une seule expression pour chaque émotion, mais des dizaines, et pour certaines, des centaines. Chaque émotion possède une famille d’expressions, chacune visiblement différente. Cela n’a rien d’étonnant. Il n’y a pas un sentiment ni une manifestation pour chaque émotion, mais une famille d’expériences. Considérons les membres de la famille des manifestations de la colère. La colère varie : en intensité, de l’agacement à la fureur ; dans la manière dont elle est contrôlée (explosion ou fulmination) ; dans le temps qu’elle met à s’exprimer (délai de déclenchement), de bref à long ; dans le temps qu’elle met à s’éteindre (délai d’extinction), de rapide à lent ; en température, de chaude à froide ; en authenticité, depuis la véritable colère jusqu’à la fausse colère amusée de parents devant un enfant espiègle. Si nous incluons ici les mélanges de colère avec d’autres émotions – colère agréable, colère coupable, colère vertueuse, colère méprisante –, nous trouverons encore plus de membres à cette famille. Personne ne sait encore s’il existe des expressions faciales différentes pour chacune de ces différentes expériences de colère. J’estime que oui. Nous avons déjà la preuve qu’il existe plus d’expressions faciales différentes que de mots pour qualifier une émotion donnée. Le visage véhicule des nuances et des subtilités que le langage ne peut exprimer avec des mots. Nous avons commencé en 1978 seulement à dresser le répertoire des expressions faciales, en déterminant exactement combien d’expressions comprend chaque émotion, lesquelles sont synonymes et lesquelles signalent des états intérieurs différents mais connexes. Ce que j’expose sur les signes faciaux de tromperie repose en partie sur des études systématiques utilisant notre nouvelle technique de mesure faciale, et en partie sur des milliers d’heures passées à étudier les expressions faciales. Mes conclusions sont des hypothèses, car aucun autre scientifique n’a à ce jour tenté de reproduire nos études sur la différence entre expressions volontaires et involontaires. Les microexpressions Commençons par la source la plus alléchante de fuites faciales, les microexpressions.

Ces expressions donnent une image complète de l’émotion dissimulée, mais si furtive qu’elles passent généralement inaperçues. Une microexpression apparaît et disparaît sur un visage en moins d’un quart de seconde. Nous avons découvert les microexpressions lors de notre première étude des indices de tromperie. Nous visionnions un entretien filmé avec la patiente Mary qui dissimulait ses projets de suicide. Dans le film, tourné quelques semaines après son séjour à l’hôpital, Mary déclare au médecin qu’elle ne se sent plus déprimée et demande l’autorisation de sortir passer le week-end en famille. Elle avouera plus tard se sentir toujours aussi malheureuse et avoir menti afin de pouvoir se suicider une fois sans surveillance. 78 Mary présentait un certain nombre de haussements d’épaules partiels – lapsus emblématiques – et une diminution des illustrants. Nous avons également repéré une microexpression : en repassant plusieurs fois le film au ralenti, nous avons vu une expression faciale de tristesse complète, mais qui ne durait qu’un bref instant et était suivie d’une expression souriante. Les microexpressions sont des expressions émotionnelles de tout le visage qui sont comprimées dans le temps et ne tiennent qu’une fraction de leur durée habituelle. Elles sont si rapides qu’elles passent généralement inaperçues. La figure 2 montre l’expression de tristesse. Elle est très facile à interpréter parce qu’elle est figée par la photo. Si vous ne deviez la voir que durant un vingt-cinquième de seconde et qu’elle était immédiatement suivie d’une autre expression, comme dans le cas d’une microexpression, vous la manqueriez très probablement. Peu après notre découverte des microexpressions, d’autres chercheurs publièrent les leurs en concluant que les microexpressions étaient le résultat d’un refoulement et révélaient des émotions inconscientes 5 . À n’en pas douter, pour Mary, le sentiment n’était pas inconscient : elle était douloureusement consciente de la tristesse que révélaient ses microexpressions. Nous avons montré des extraits de l’entretien de Mary contenant des microexpressions et demandé à des gens de juger son état d’esprit. Ceux qui n’étaient pas formés se trompèrent : n’ayant pas remarqué le message des microexpressions, ils pensèrent qu’elle se sentait bien. C’est seulement lorsque nous avons utilisé le ralenti qu’ils ont repéré le message de tristesse. Cependant, les praticiens expérimentés n’eurent pas besoin de ralenti : ils repérèrent le message de la microexpression du premier coup. Au bout d’une heure d’entraînement, la plupart des gens peuvent apprendre à repérer une expression aussi fugace. Nous avons mis un obturateur sur la lentille d’un projecteur afin de pouvoir projeter une diapositive très brièvement. Au départ, quand une expression apparaît durant un cinquantième de seconde, les sujets déclarent qu’ils ne l’ont pas vue et n’y parviendront jamais. Mais très rapidement ils apprennent à le faire, et avec une telle facilité que parfois ils croient que nous avons ralenti l’obturateur. Après avoir vu quelques centaines de visages, tout le monde parvient à reconnaître l’émotion malgré la brièveté de l’apparition.

N’importe qui peut s’entraîner, même sans

obturateur, en passant très vite devant ses yeux la photo d’une expression faciale. Il faut essayer de deviner quelle émotion montre l’image, puis l’examiner soigneusement pour vérifier, et recommencer avec une autre photo. Il faut pratiquer ainsi avec plusieurs centaines de photos 6 . Les expressions coupées Alors que les microexpressions sont si riches d’informations, leur fréquence est très rare. Nous en avons trouvé quelques-unes dans l’expérience des infirmières, mais les plus courantes étaient les expressions coupées. Cela se produit quand une expression apparaît, que l’individu en prend conscience et l’interrompt, la recouvrant parfois aussi avec une autre expression. Le sourire est la couverture ou le masque le plus fréquent. Parfois, la coupure se fait si rapidement qu’il est difficile de lire le message émotionnel que l’expression interrompue aurait véhiculé. Même si le message ne fuite pas, la coupure peut être un indice repérable de dissimulation d’émotions. L’expression coupée n’est pas entièrement affichée, mais elle dure plus longtemps que la microexpression et l’interruption en ellemême est visible. Microexpressions et expressions coupées sont sensibles aux deux problèmes qui rendent difficile l’interprétation de la plupart des indices de tromperie. Rappelez-vous le risque Brokaw, où le détecteur néglige de prendre en compte les particularités individuelles de l’expression des émotions. L’individu qui dissimule une émotion ne laissera pas toujours échapper une expression coupée ou une microexpression : leur absence n’est donc pas une preuve de sincérité. Les facultés de contrôle de l’expression sont différentes selon les individus, et ceux que j’appelle les menteurs-nés s’en acquittent parfaitement. Au contraire, quand un individu laisse échapper une expression coupée ou une microexpression, cela ne suffit pas à garantir qu’il ment. Presque toutes les émotions fuitées par ces expressions peuvent être éprouvées par un innocent qui tente de les dissimuler. Un innocent peut craindre de ne pas être cru, être coupable d’autre chose, fâché ou dégoûté qu’on l’accuse à tort, ravi d’avoir l’occasion de prouver à son accusateur qu’il se trompe, surpris de l’accusation, etc. Si cet innocent veut dissimuler de tels sentiments, une expression coupée ou une microexpression peuvent se produire. Les muscles faciaux fiables Les muscles qui produisent les expressions faciales ne sont pas tous aussi faciles à contrôler. Certains sont plus fiables que d’autres. Les muscles faciaux fiables ne peuvent pas être utilisés pour les expressions fausses : le menteur ne peut pas les diriger. En outre, le menteur a du mal à dissimuler leur action quand il tente de cacher une émotion éprouvée, car ils ne peuvent pas être inhibés ni coupés. Nous avons appris quels muscles sont difficiles à contrôler en demandant à des sujets de faire bouger individuellement chacun de leurs muscles faciaux et également de jouer des émotions 7 . Certains mouvements musculaires sont réalisables volontairement par très peu de gens. Par exemple, seulement 10 % de nos sujets parvenaient à incurver leurs lèvres vers le bas sans mobiliser le muscle mentonnier. Cependant, nous avons observé que ces muscles si difficiles à contrôler bougent effectivement quand l’individu 80 éprouve une émotion qui nécessite ce mouvement. Par exemple, les mêmes individus qui ne parviennent pas à incurver leurs lèvres volontairement prennent cette expression quand ils éprouvent tristesse, peine ou chagrin. Nous avons réussi à leur apprendre comment le faire délibérément, mais il faut généralement plusieurs centaines d’heures de pratique. Ces muscles faciaux sont dits fiables parce que l’individu ne sait pas comment les mobiliser pour afficher une expression fausse. En toute logique, si un individu ne peut mobiliser un muscle pour feindre une expression, il aura autant de mal à le contrôler pour couper une expression sincère impliquant ce muscle. Il y a d’autres manières de dissimuler une expression que l’on ne peut pas inhiber. L’expression peut être masquée, typiquement par un sourire, mais qui ne couvrira pas les signes de l’émotion ressentie dans la zone du front et des paupières supérieures. Une autre solution consiste à mobiliser les muscles antagonistes pour retenir l’expression. On peut par exemple diminuer un sourire de plaisir en serrant les lèvres et en remontant le muscle mentonnier. Cependant, souvent, l’utilisation de muscles antagonistes peut devenir en soi un indice de tromperie, car la combinaison des deux peut donner au visage un air rigide peu naturel. La meilleure manière de dissimuler une émotion éprouvée serait d’inhiber entièrement l’action des muscles impliqués dans son expression. Ce qui est difficile, si l’émotion mobilise des muscles faciaux fiables. 81 Le front est la zone principale des mouvements des muscles faciaux fiables. La figure 3A montre les mouvements de muscles faciaux fiables qui se produisent dans la tristesse, le chagrin et la détresse, et probablement la culpabilité. C’est la même expression que sur la figure 2, mais il est plus facile dans la figure 3A de se concentrer uniquement sur le front, puisque le reste du visage est neutre. Remarquez que les pointes internes des sourcils sont relevées. Généralement, ce mouvement remonte la 82 paupière supérieure et produit quelques rides au centre du front. Moins de 15 % de nos sujets ont été capables de faire ce mouvement volontairement. Il ne devrait pas être présent dans un affichage feint de ces émotions et devrait apparaître chez l’individu qui éprouve tristesse ou détresse (et peut-être culpabilité), même s’il tente de dissimuler ces émotions. Toutes ces photographies d’expressions faciales donnent une version exagérée de l’affichage, afin que l’expression soit clairement identifiable, bien qu’il soit impossible de la voir apparaître et disparaître sur le visage. Dans le cas d’une émotion de tristesse faible, le front serait à peu près identique à celui de la figure 3A. Une fois que l’on connaît les caractéristiques d’une expression, même ses versions les plus subtiles sont détectables quand on la voit en mouvement, comme dans le quotidien, et non pas sur une représentation statique. La figure 3B montre les mouvements de muscles faciaux fiables se produisant en cas de peur, d’inquiétude, d’appréhension ou de terreur. Remarquez les sourcils haussés et rapprochés. Cette combinaison d’action est extrêmement difficile à réaliser volontairement. Moins de 10 % des individus en sont capables. On aperçoit également sur la photo la paupière supérieure relevée et la paupière inférieure tendue qui marquent typiquement la peur. Ces mouvements de paupières peuvent être absents quand un individu tente de dissimuler sa peur, car ce ne sont pas des mouvements musculaires difficiles à contrôler. La position des sourcils a toutes les probabilités de rester. Les figures 3C et 3D montrent les mouvements de sourcils et de paupières marquant la colère et la surprise. Il n’y a pas de mouvements distincts de sourcils et de paupières qui marquent d’autres émotions. Les mouvements présentés sur les figures 3C et 3D ne sont pas fiables. Tout le monde est capable de les faire et, en conséquence, ils devraient apparaître dans les expressions feintes et être facilement dissimulés. Nous les présentons dans un souci d’exhaustivité, afin que le contraste avec les mouvements fiables des figures 3A et 3B soit plus évident. Les mouvements de sourcils montrés sur les figures 3C et 3D – haussement et froncement – sont les expressions faciales les plus fréquentes. Ces mouvements de sourcils sont souvent utilisés comme signaux conversationnels pour accentuer ou souligner le discours. Le haussement sert également de point d’exclamation ou d’interrogation, et comme emblème d’incrédulité et de scepticisme. Darwin avait raison d’appeler le muscle fronçant le sourcil « muscle de la difficulté », car ce mouvement se produit devant toute difficulté, qu’il s’agisse de soulever une charge lourde ou de résoudre un problème arithmétique complexe. Froncer et rapprocher les sourcils est également répandu dans les situations de perplexité ou de concentration. Il existe un autre mouvement musculaire fiable dans la zone de la bouche. L’un des meilleurs indices de colère est la rétraction des lèvres. La zone rouge devient moins visible, mais les lèvres ne sont pas nécessairement rentrées ni pincées. Ce mouvement est très difficile à exécuter volontairement par la plupart des gens et j’ai remarqué qu’il apparaît souvent quand un individu commence à se fâcher, avant même qu’il soit conscient de cette émotion. Cependant, c’est un mouvement subtil qui peut également 83 être dissimulé par un sourire. La figure 4 montre la modification d’apparence des lèvres dans ce mouvement. Un suspect innocent peut présenter l’apparence fiable de peur montrée dans la figure 3B parce qu’il a peur d’être accusé à tort. Craignant, s’il a l’air effrayé, qu’on le considère comme un menteur, il peut essayer de dissimuler sa peur, si bien que les signes de la peur demeurent seulement dans les sourcils, qui sont difficiles à inhiber. Le menteur redoutant d’être démasqué et qui tente de dissimuler sa peur risque de présenter la même expression. Le risque Brokaw – ne pas prendre en compte les particularités individuelles pouvant amener un menteur à ne pas présenter d’indice de tromperie alors qu’un individu sincère en présente – doit également être évité dans l’interprétation des muscles faciaux fiables. Certains individus – psychopathes et menteurs-nés – ont l’extraordinaire faculté d’inhiber les signes faciaux des sentiments qu’ils éprouvent. Chez eux, même les muscles faciaux fiables ne peuvent être pris en compte. Beaucoup de dirigeants charismatiques sont d’excellents acteurs. Le pape Jean-Paul II aurait fait preuve de ce talent lors de sa visite en Pologne en 1983. Quelques années plus tôt, la grève des chantiers navals de Gdansk avait fait espérer que les dirigeants communistes polonais allaient accorder une certaine liberté politique. Beaucoup craignaient que si Lech Walesa, dirigeant du syndicat Solidarité, tirait un peu trop sur la corde, les troupes soviétiques interviendraient comme auparavant en Hongrie, Tchécoslovaquie et Allemagne de l’Est. Pendant des mois, des troupes soviétiques furent postées aux frontières de la Pologne pour des « manœuvres militaires ». Finalement, le régime qui avait toléré Solidarité abdiqua et fut remplacé par l’armée polonaise, avec l’approbation de l’URSS. Le général Jaruzelski suspendit l’activité des syndicats et celle de Lech Walesa, et déclara l’état de siège. Cependant, au bout de dix-huit mois de loi martiale, la visite du pape, lui-même polonais, pouvait avoir des conséquences importantes. Jean-Paul II allait-il témoigner son soutien à Walesa, sa présence allait-elle relancer une grève, catalyser la rébellion, ou bien allait-il accorder sa bénédiction à Jaruzelski ? Le journaliste William Safire décrivit ainsi la rencontre filmée entre le général et le pape : « Le souverain pontife et le dirigeant fantoche échangèrent sourires et poignées de main. Le pape, conscient de l’utilisation possible des apparitions publiques, adapte ses expressions faciales pour ce type d’événements. Ici, le signe était incontestable : l’Église et l’État étaient parvenus à quelque accord secret, et la bénédiction politique convoitée par le dirigeant polonais choisi par Moscou [Jaruzelski] devait être diffusée et rediffusée à la télévision nationale 8 . »

 

Les hommes politiques ne savent pas tous gérer aussi habilement leurs expressions. Le défunt président égyptien Anouar el-Sadate racontait ainsi comment, adolescent, il tentait d’apprendre à contrôler ses muscles faciaux : « Mon hobby était la politique. À l’époque, Mussolini dirigeait l’Italie. Je voyais ses photos et constatais comment il modifiait ses expressions faciales quand il prononçait des discours, prenant une attitude 84 tantôt de puissance, tantôt d’agressivité, afin que l’assistance lise sur ses traits mêmes puissance et force. Cela me fascinait. Je me plaçais devant un miroir chez moi et essayais d’imiter son expression autoritaire, mais le résultat était très décevant. Tout ce que j’obtenais, c’étaient de douloureuses crampes au visage 9 . » Bien que Sadate fût incapable de feindre des expressions faciales, son succès dans l’alliance secrète avec la Syrie pour lancer une attaque surprise contre Israël en 1973 montre qu’il était cependant habile en matière de tromperie. Ce n’est pas contradictoire. La tromperie n’implique pas nécessairement de contrefaire ou dissimuler des expressions faciales, un geste ou sa voix. Ce n’est nécessaire que lorsque menteur et victime sont en tête à tête, en contact direct, comme lors de l’entrevue d’Hitler et de Chamberlain. Selon la légende, Sadate ne tentait jamais de dissimuler ses sentiments devant ses adversaires. D’après Ezer Weizman, ministre israélien de la Défense qui négocia directement avec lui après la guerre de 1973 : « Ce n’est pas un homme qui garde pour lui ses sentiments : ils sont immédiatement visibles dans son expression, comme dans sa voix et ses gestes 10 . » Les particularités individuelles interfèrent, dans une moindre mesure, avec l’interprétation des muscles faciaux fiables. Il s’agit des signes faciaux conversationnels : certains sont très semblables aux illustrants manuels et soulignent certains mots du discours. La plupart des gens froncent ou haussent les sourcils (figures 3C et 3D). Très peu d’individus utilisent les mouvements de sourcils de la tristesse ou de la peur (figures 3A et 3B) pour souligner leur discours. Si cela se produit, ces mouvements ne sont pas fiables. Le réalisateur Woody Allen fait partie des gens dont les mouvements de sourcils ne sont pas fiables : il utilise le mouvement de sourcils de la tristesse pour souligner un mot. Là où la plupart des individus haussent ou froncent les sourcils, Woody Allen hausse la pointe interne de ses sourcils. C’est ce qui contribue à lui donner cet air compatissant ou mélancolique.

 

 

Les individus qui, comme lui, utilisent le froncement de tristesse comme soulignement sont capables de faire ce mouvement délibérément et sans peine. De tels individus devraient pouvoir utiliser ces mouvements dans une expression feinte et les dissimuler s’ils le désirent. Ils contrôlent facilement des muscles que la plupart des gens ne peuvent maîtriser. Le détecteur peut déduire que ces muscles ne sont pas fiables si le suspect utilise fréquemment ces mouvements comme soulignement. Un troisième problème peut compliquer l’interprétation des muscles faciaux fiables et d’autres indices de tromperie : une technique de théâtre peut être utilisée pour mobiliser ces muscles dans une expression feinte. La technique Stanislavski (Actors Studio) enseigne à l’acteur comment représenter avec justesse une émotion en la mémorisant et la revivant. J’ai mentionné à la fin du chapitre précédent comment nous avons utilisé cette technique pour étudier le système nerveux autonome. Quand un acteur y a recours, ses expressions faciales ne sont pas produites délibérément, mais sont le résultat d’une émotion qu’il revit, et comme notre étude le laisse à penser, la physiologie d’une émotion peut être réveillée. Lorsque des sujets ne parvenaient pas à produire les mouvements des figures 3A ou 3B, il m’est arrivé de leur demander d’utiliser la technique Stanislavski en les incitant à revivre des sentiments de tristesse ou de peur ; ils parvenaient alors souvent à produire les mouvements faciaux qu’ils ne 85 pouvaient faire délibérément. Le menteur peut également recourir à cette technique et, dans ce cas, rien ne peut signaler que sa performance est feinte, puisque en un sens elle est sincère. Les muscles faciaux fiables seraient mobilisés dans cette expression feinte parce que le menteur l’éprouverait. La frontière entre faux et vrai devient floue quand des émotions sont produites par la méthode Stanislavski. Pire encore est le menteur qui réussit à se leurrer lui-même et à se convaincre que son mensonge est vrai. De tels menteurs sont indétectables. Seuls, les menteurs qui savent qu’ils mentent ont des probabilités d’être démasqués. Les yeux Jusqu’à présent, j’ai abordé trois manières dont les émotions dissimulées peuvent fuiter : – les microexpressions ; – ce qui apparaît juste avant une expression coupée ; – ce qui demeure sur le visage parce qu’il n’était pas possible d’inhiber le mouvement d’un muscle facial fiable. Beaucoup de gens se fient à une quatrième source pour repérer les émotions dissimulées : les yeux. Selon eux, un regard ne peut pas mentir. L’anthropologue Margaret Mead cite un professeur russe qui affirme le contraire : « Avant la Révolution, nous disions que les yeux étaient le miroir de l’âme. Les yeux peuvent mentir – et comment ! Vous pouvez exprimer avec le regard une attention dévouée que vous n’éprouvez pas. Vous pouvez exprimer la sérénité ou la surprise 11 . » Ce désaccord sur la fiabilité des yeux peut être résolu si nous considérons séparément trois sources d’informations distinctes du regard qui fournissent des fuites ou des indices de tromperie. Premièrement, nous avons les modifications de l’apparence des yeux produites par les muscles entourant les prunelles. Ces muscles modifient la forme des paupières, la quantité de blanc de l’œil et d’iris visible et l’impression générale donnée lorsqu’on considère la zone oculaire.

Certaines de ces modifications sont visibles sur les figures 3A, 3B, 3C et 3D, mais, comme je l’ai déjà dit, les mouvements de ces muscles ne fournissent pas des indices fiables de tromperie. Il est relativement facile de les faire bouger volontairement et d’inhiber leur mouvement. Il y aura peu de fuites, sauf dans le cadre d’une microexpression ou d’une expression coupée. La direction du regard La deuxième source d’information de la zone oculaire est la direction du regard. Il s’oriente différemment sous le coup de plusieurs émotions : vers le bas avec la tristesse ; vers le bas ou de biais avec la honte ou la culpabilité ; il se détourne avec le dégoût. Pourtant, même un menteur coupable ne risque pas de beaucoup détourner le regard, car il sait que tout le monde pense pouvoir détecter la tromperie ainsi. Le professeur russe cité par Mead notait combien il est facile de contrôler la direction de son regard. Curieusement, les gens continuent de se laisser berner par des menteurs assez habiles pour ne pas détourner le regard. « L’une des choses qui attira Patricia Gardner chez Giovanni Vigliotto, l’homme qui avait épousé cent femmes, était “son allure sincère”, le 86 fait qu’il regardait droit dans les yeux, a-t-elle déclaré hier [au procès de Vigliotto pour bigamie] 12 . »

 

 

Le clignement Les troisième, quatrième et cinquième sources d’information de la zone oculaire sont les plus prometteuses en matière de fuites et d’indices de tromperie. Cligner des yeux peut être volontaire, mais c’est aussi une réaction involontaire qui augmente quand l’individu est ému. Les pupilles se dilatent en cas d’émotion, et personne n’a la possibilité de le faire délibérément. La dilatation des pupilles est produite par le système nerveux autonome, qui provoque également les modifications de la salivation, de la respiration et de la transpiration décrites au chapitre 3, ainsi que d’autres modifications faciales développées plus loin. Si des pupilles dilatées et l’augmentation des clignements indiquent qu’un individu est ému, elles ne révèlent pas quelle émotion il éprouve. Il peut s’agir de signes d’excitation, de colère ou de peur. Le clignement et la dilatation des pupilles peuvent être des fuites précieuses uniquement quand la preuve d’une émotion quelconque trahit que l’individu ment et si le détecteur peut écarter la possibilité que ce soient les signes de la peur éprouvée par un innocent qui craint d’être jugé à tort.

 

 

Les larmes Les larmes, cinquième et dernière source d’information de la zone oculaire, sont également provoquées par le système nerveux autonome, mais elles sont le signe de certaines émotions seulement. Elles n’apparaissent qu’en cas de détresse, tristesse, soulagement, certaines formes de joie et en cas de fou rire incontrôlable. Elles peuvent fuiter la détresse ou la tristesse quand d’autres signes sont dissimulés, mais j’estime que les sourcils montreraient également l’émotion, et que le détecteur, si les larmes commencent à couler, reconnaîtrait rapidement l’émotion dissimulée. Les larmes de joie ne devraient pas fuiter si le rire lui-même a été réprimé

 

 

Les modifications provoquées par le système nerveux autonome Le système nerveux autonome produit d’autres modifications sur le visage : rougissement, blêmissement et transpiration. Tout comme pour les autres modifications faciales et corporelles causées par le système nerveux autonome, il est difficile de les dissimuler. On ignore encore si la transpiration est, comme la dilatation des pupilles et le clignement, un signe de n’importe quelle émotion, ou si elle est spécifique à seulement une ou deux. Et on sait très peu de choses sur le rougissement et le blêmissement. Rougir est présumé comme un signe de gêne, se produisant également avec la honte et peut-être avec la culpabilité. On dit que le rougissement est plus commun chez les femmes que chez les hommes, sans que l’on sache pourquoi. Rougir peut fuiter qu’un menteur est embarrassé ou honteux de dissimuler, ou bien gêné par ce qu’il dissimule. Le visage rougit également en cas de colère, et personne ne sait si cela est différent du rougissement. Les deux impliquent une dilatation des vaisseaux capillaires, mais le rouge de la colère et le rougissement de la gêne ou de la honte peuvent être différents en intensité, localisation ou durée. J’estime que le visage rougit seulement quand la 87 colère est incontrôlable ou quand un individu essaie de maîtriser une colère sur le point d’exploser. Auquel cas, on trouvera généralement d’autres signes de colère sur le visage et dans la voix, et le détecteur n’aura pas à se reposer uniquement sur la coloration du visage pour repérer cette émotion. Dans une colère plus maîtrisée, le visage peut pâlir ou blêmir, comme c’est également le cas avec la peur. Blêmir peut fuiter même quand l’expression de colère ou de peur est dissimulée. Laissons de côté la manière dont le visage peut trahir une émotion dissimulée pour voir les signes faciaux indiquant une expression feinte et une émotion non ressentie. Une possibilité, déjà mentionnée, est que les muscles faciaux fiables ne soient pas mobilisés dans une expression feinte, du moment que nous ne sommes pas en présence d’un Woody Allen ou d’un acteur de la technique Stanislavski. Il existe trois autres indices de tromperie : les expressions asymétriques, le timing et l’emplacement dans le cours de la conversation.

 

 

Les expressions asymétriques Dans une expression asymétrique, les mêmes mouvements apparaissent des deux côtés du visage, mais ils sont plus prononcés d’un côté que de l’autre. Il ne faut pas confondre cela avec les expressions unilatérales, qui apparaissent d’un seul côté du visage. Ces mouvements faciaux d’un seul côté ne sont pas des signes d’émotion, à l’exception de l’expression de mépris, lorsque la lèvre supérieure est relevée ou que le coin des lèvres est froncé d’un seul côté. Les expressions unilatérales sont utilisées dans des emblèmes comme le clin d’œil ou le haussement sceptique d’un seul sourcil. Les expressions asymétriques sont plus subtiles, beaucoup plus répandues et plus intéressantes que les expressions unilatérales. Après avoir découvert que l’hémisphère droit du cerveau semble spécialisé dans la gestion des émotions, certains scientifiques ont pensé qu’un côté du visage est plus émotionnel. Comme l’hémisphère droit contrôle un grand nombre de muscles du côté gauche du visage et inversement, certains scientifiques ont avancé que l’émotion pourrait être plus intense sur le côté gauche du visage. En tentant de comprendre les incohérences d’une de mes expériences, j’ai découvert par hasard à quel point l’asymétrie peut être un indice de tromperie. Les expressions tordues, où les mouvements sont légèrement plus prononcés d’un côté que de l’autre, indiquent que l’émotion affichée n’est pas ressentie. Ce hasard est intervenu parce que la première équipe de scientifiques ayant annoncé avoir découvert que l’émotion était plus prononcée sur le côté gauche n’avait pas utilisé son propre corpus et m’avait emprunté des photos de visages. J’ai étudié leurs conclusions plus soigneusement que je ne l’aurais fait autrement et j’ai pu recueillir des informations qu’ils ne pouvaient percevoir, parce que c’était moi qui avais pris les photos. Harold Sackheim et ses confrères les coupèrent toutes en deux afin de produire une image symétrique gauche et droite, les deux étant composées d’une moitié de visage et de son reflet. Les sujets estimèrent l’émotion plus intense sur l’image symétrique 88 gauche que sur la droite 13 . J’ai remarqué qu’il y avait une exception : leur jugement était identique dans les cas des émotions heureuses. Sackheim avait négligé ce fait, mais pas moi. Ayant pris ces clichés, je savais que ces expressions heureuses étaient les seules sincères. J’avais obtenu les autres en demandant à mes sujets de bouger volontairement tel ou tel muscle facial. Et j’avais pris la photo de l’expression heureuse à leur insu pendant qu’ils s’amusaient. Rapprocher cela des études sur les lésions cérébrales et l’expression faciale dont j’ai parlé au début de ce chapitre laissait entrevoir une tout autre interprétation de l’asymétrie faciale. Ces études avaient démontré que les expressions volontaires et involontaires empruntent différents itinéraires neuronaux, car l’un peut être lésé mais pas l’autre, selon la zone du cerveau qui a été touchée. Comme les expressions volontaires et involontaires peuvent être indépendantes les unes des autres, si l’une était asymétrique, l’autre ne l’était peut-être pas. La dernière partie du raisonnement reposait sur le fait bien établi que les hémisphères cérébraux commandent les mouvements volontaires, alors que les mouvements involontaires sont produits par des zones cérébrales inférieures plus primitives. Les différences entre hémisphères gauche et droit devaient donc se retrouver uniquement dans les expressions volontaires. Selon mon raisonnement, Sackheim avait découvert exactement l’opposé de ce qu’il pensait avoir prouvé. Ce n’était pas que les deux côtés du visage diffèrent dans l’expression émotionnelle. Mais que l’asymétrie se produit simplement quand l’expression est volontaire et exécutée sur commande. Quand elle est involontaire, comme dans les expressions heureuses spontanées, il y a peu d’asymétrie. L’asymétrie est un indice d’expression non ressentie 14 . Nous avons mené plusieurs expériences pour vérifier ces hypothèses en comparant expressions délibérées et spontanées. Le débat scientifique sur la question a été intense et c’est seulement récemment qu’un accord a été trouvé – concernant les mouvements impliqués dans les expressions émotionnelles positives. La plupart des chercheurs rejoignent nos découvertes : quand l’expression n’est pas ressentie, le muscle principal impliqué dans le sourire agit avec plus d’intensité sur un côté du visage. Quand nous demandions à des sujets de sourire volontairement ou de jouer la joie, nous repérions une asymétrie, tout comme dans les sourires que font parfois les gens quand ils regardent nos films sanglants. Typiquement, le mouvement était légèrement plus prononcé du côté gauche du visage pour les droitiers. Dans les sourires authentiques, nous avons trouvé beaucoup moins d’expressions asymétriques et, dans les cas d’asymétrie, aucune tendance à ce qu’ils soient plus prononcés sur le côté gauche du visage 15 . Nous avons également constaté de l’asymétrie dans certains des mouvements impliqués dans les émotions négatives, quand ils sont produits volontairement, mais pas quand ils font partie d’un affichage spontané d’émotion. Parfois, les mouvements sont plus prononcés d’un côté ou de l’autre, parfois nous n’avons aucune asymétrie. Outre le sourire, le froncement de sourcils qui apparaît souvent dans la colère est généralement plus prononcé du côté gauche du visage quand le mouvement est volontaire. Le 89 froncement de nez du dégoût et l’étirement des lèvres vers l’extérieur de la peur sont généralement plus prononcés du côté droit quand ces mouvements sont délibérés. Ces découvertes ont été publiées et l’on ignore encore si elles convaincront ceux qui, comme Sackheim, sont partisans de l’asymétrie dans les expressions émotionnelles 16 . Je ne pensais pas que cela puisse être pertinent pour le détecteur. L’asymétrie est généralement si subtile que je croyais qu’il n’était pas possible de la repérer sans la mesurer avec précision. J’avais tort. Quand nous avons demandé à des sujets de juger la symétrie d’expressions, leur taux de réponse a été supérieur au hasard, même s’ils devaient se prononcer en voyant l’image une seule fois et sans ralenti 17 . Si beaucoup d’expressions faciales sont asymétriques, il est probable qu’elles ne sont pas éprouvées, mais l’asymétrie n’est pas la preuve irréfutable d’une expression non ressentie. Certaines expressions éprouvées sont asymétriques, mais la plupart ne le sont pas, simplement. De la même manière, l’absence d’asymétrie ne prouve pas qu’une expression est ressentie ; le détecteur peut ne pas l’avoir repérée et, par ailleurs, toutes les expressions volontaires non éprouvées ne sont pas asymétriques, mais la plupart le sont, simplement. Le détecteur ne doit jamais se fonder sur un seul indice de tromperie : il doit y en avoir plusieurs. Les indices faciaux doivent être confirmés par des indices dans la voix, les paroles ou le corps. Même sur le visage, tout indice ne doit être interprété que s’il est répété et, mieux encore, confirmé par un autre indice facial. Nous avons expliqué plus haut les trois sources de fuite ou manières dont le visage trahit les sentiments dissimulés : les muscles faciaux fiables, les yeux et les modifications de l’apparence du visage provoquées par le système nerveux autonome. L’asymétrie fait partie d’un autre ensemble de trois indices. Il ne s’agit pas ici de fuites, mais d’indices de tromperie signalant que l’expression affichée est feinte. Le timing est la deuxième source d’indices de tromperie.

 

 

Le timing La notion de timing recouvre la durée totale de l’expression faciale, son délai d’apparition et son délai de disparition. Les trois peuvent fournir des indices de tromperie. Les expressions de longue durée – généralement cinq secondes, mais parfois dix ou plus – sont probablement feintes. La plupart des expressions éprouvées ne durent pas aussi longtemps. À moins d’éprouver une émotion particulièrement intense – extase, fureur ou profonde dépression –, les expressions d’émotions sincères ne restent pas plus de quelques secondes sur le visage. Même dans ces états extrêmes, les expressions ne durent pas aussi longtemps : il y a à la place une succession d’expressions plus brèves. Les longues expressions sont généralement des emblèmes ou des expressions moqueuses. Il n’existe pas de règle simple concernant le délai d’apparition et de disparition, sauf pour la surprise. Apparition, disparition et durée doivent toutes être brèves, de moins d’une seconde, si la surprise est sincère. Plus longues, il s’agit de surprise moqueuse (l’individu plaisante et fait semblant d’être surpris), d’emblème de surprise (l’individu mime l’expression) ou de surprise feinte (l’individu cherche à paraître surpris alors qu’il 90 ne l’est pas). La surprise est toujours une émotion très brève qui dure jusqu’au moment où l’individu comprend l’événement inattendu. Alors que la plupart des gens savent comment feindre la surprise, peu le font de manière convaincante, avec le délai d’apparition et de disparition rapide d’une surprise naturelle. Toutes les autres expressions émotionnelles peuvent être très brèves, de l’ordre d’une seconde, ou durer plusieurs secondes. L’apparition et la disparition peuvent être soudaines ou progressives. Tout dépend du contexte dans lequel se produit l’expression. Imaginez un subordonné feignant la joie en entendant pour la quatrième fois une blague sans intérêt d’un patron pesant, sans humour ni mémoire. La durée d’apparition du sourire dépend de la chute de la blague, selon qu’elle est progressive, avec des éléments un peu humoristiques, ou brutale. La durée de disparition dépend du type de blague – de la réflexion et des améliorations qu’elle nécessite. Tout le monde est capable de produire un sourire pour feindre le plaisir, mais un menteur a moins de chances d’ajuster correctement les délais d’apparition et de disparition de ce sourire aux exigences particulières du contexte.

 

 

 

L’emplacement L’emplacement exact d’une expression par rapport au déroulement du discours, aux changements de voix et aux mouvements corporels est la troisième source d’indice de tromperie. Imaginez qu’un individu feignant la colère dise : « J’en ai assez de votre comportement. » Si l’expression survient après les paroles, elle a plus de chances d’être feinte que si la colère se déclenche au début de la phrase ou même juste avant. Imaginez que sur « assez », le menteur donne un coup de poing sur la table. Si l’expression de colère survient après ce coup, elle est probablement feinte. Les expressions faciales qui ne sont pas synchronisées avec les gestes sont souvent des indices de tromperie.

 

 

 

Le sourire Une étude des signes faciaux de tromperie ne serait pas complète si elle n’abordait pas l’une des expressions faciales les plus fréquentes : le sourire, qui occupe une place à part dans les expressions faciales. Il suffit d’un seul muscle pour montrer sa joie, alors que la plupart des autres émotions en nécessitent de trois à cinq. Simple, le sourire est l’expression la plus facile à reconnaître. Nous avons découvert qu’il peut être perçu à cent mètres, même s’il dure moins que toutes les autres expressions émotionnelles 18 . Il est difficile de ne pas rendre un sourire : les gens y répondent même s’ils voient le sourire sur une photographie. Ils apprécient de voir un sourire, ce dont les publicitaires sont bien conscients.

 

 

 

Le sourire est probablement l’expression faciale la plus sous-estimée, étant plus complexe que nous ne l’imaginons. Il en existe des dizaines d’espèces, chacune avec une apparence et un message différents. Le sourire exprime de nombreuses émotions positives : plaisir physique ou sensuel, joie, satisfaction, amusement, pour ne citer que celles-là. Les gens sourient également quand ils sont malheureux. De tels sourires sont différents des sourires feints utilisés pour convaincre autrui qu’on éprouve une émotion positive et masquant souvent l’expression d’une émotion négative.

 

 

Nous avons 91 récemment découvert que les gens sont souvent bernés par ces faux sourires. Nous avons montré à des sujets les sourires des infirmières en leur demandant de juger s’ils étaient sincères (dus au visionnage du film agréable) ou faux (exécutés volontairement pour masquer les émotions négatives provoquées par le film déplaisant). Les résultats n’ont pas été supérieurs au hasard. Selon moi, le problème ne vient pas seulement de l’incapacité à reconnaître des sourires trompeurs, mais du fait que les gens ignorent le grand nombre de sourires différents qui existent. On ne peut distinguer le faux du sincère qu’en sachant à quoi ressemble chacun et en quoi il diffère des autres membres de la famille des sourires.

 

 

 

Voici la description de quatorze sourires différents, aucun n’étant trompeur.

 

 

 

L’élément commun de la plupart des sourires est le changement d’apparence produit par le muscle grand zygomatique. Ce muscle relie les pommettes aux commissures des lèvres. Contracté, le grand zygomatique relève l’angle de la bouche vers les pommettes. Quand la contraction est prononcée, il étire les lèvres, remonte les joues, plisse l’épiderme sous les yeux et provoque des pattes-d’oie aux coins des yeux. Chez certains individus, il abaisse aussi légèrement la pointe du nez ; chez d’autres, l’épiderme est étiré autour des oreilles. D’autres muscles s’allient au grand zygomatique pour produire les différents membres de la famille des sourires ; enfin, certaines expressions souriantes ne sont pas provoquées par le grand zygomatique, mais par d’autres muscles.

 

Le simple mouvement du grand zygomatique produit le sourire présenté dans les émotions positives sincères et non contrôlées. Aucun autre muscle de la partie inférieure du visage n’est mobilisé dans ce sourire éprouvé. Le seul mouvement qui peut également apparaître dans la partie supérieure est la contraction du muscle orbital – celui qui entoure les yeux. Ce muscle produit la plupart des modifications de la partie supérieure provoquées par le grand zygomatique – relèvement des joues, plis sous les yeux, pattes-d’oie. La figure 5A représente le sourire éprouvé. Ce sourire dure plus longtemps et est d’autant plus intense que l’émotion positive éprouvée est prononcée 19 . Selon moi, toutes les expériences émotionnelles positives – joie d’autrui, plaisir du soulagement, plaisir causé par une stimulation tactile, visuelle ou auditive, amusement, satisfaction – sont exprimées par ce sourire éprouvé et ne diffèrent que par leur timing et leur intensité.

 

 

Le sourire de peur (figure 5B, voir page 172) n’a rien à voir avec les émotions positives, mais il est parfois interprété à tort comme tel. Il est produit par le muscle risorius, qui étire les coins des lèvres horizontalement vers les oreilles et donne à la bouche une forme rectangulaire. Risorius signifie en latin « rieur », mais ce mouvement se produit principalement dans la peur et non le rire. La confusion provient probablement du fait que le risorius, en étirant les lèvres horizontalement, relève également les coins, provoquant une version très étirée du sourire éprouvé. Dans une expression faciale de peur, la forme rectangulaire de la bouche, avec ou sans relèvement des coins, sera accompagnée des mouvements des sourcils et des yeux présentés sur la figure 3B.

 

 

Le sourire méprisant est également mal nommé, car cette expression n’a pas non plus grand-chose à voir avec des émotions positives, bien que souvent interprété comme tel. La version du sourire montrée sur la figure 5C (voir page 172) implique une contraction du muscle du coin des lèvres, provoquant un gonflement, souvent une fossette et un léger relèvement des commissures. Le mépris peut également être exprimé par une version unilatérale de cette expression, un seul côté des lèvres étant contracté et relevé. Là encore, c’est le relèvement des coins des lèvres, caractéristique commune avec le sourire éprouvé, qui provoque la confusion. Autre élément commun, la fossette, qui apparaît parfois dans le sourire éprouvé. La principale différence est la contraction des commissures, présente dans le sourire méprisant et absente dans le sourire éprouvé.

 

 

Dans le sourire atténué, l’individu éprouve réellement une émotion positive, mais tente de faire comme si ces sentiments étaient moins intenses qu’ils ne le sont vraiment. Le but est d’atténuer (mais pas de réprimer) l’expression des émotions positives, tout en la maintenant, et peut-être aussi l’expérience émotionnelle, dans certaines limites. Les lèvres peuvent être pincées, les coins de la bouche contractés ou abaissés, la lèvre inférieure relevée, ou toute combinaison de ces mouvements peut fusionner avec le sourire simple. La figure 5D montre un sourire atténué avec les trois mouvements d’atténuation fusionnant avec le sourire éprouvé.

 

 

Le sourire malheureux exprime l’expérience d’émotions négatives. Ce n’est pas une tentative pour dissimuler, mais un commentaire facial sur le malheur éprouvé. Le sourire malheureux signifie généralement que l’individu qui le présente ne compte pas, du moins pour le moment, se lamenter sur son sort. Il sourit et se résigne. Nous avons observé ce sourire malheureux sur les visages filmés à leur insu des sujets qui regardaient, seuls dans notre laboratoire, l’un de nos films sanglants. Il apparaissait souvent au début, au moment où ils prenaient apparemment conscience du caractère très déplaisant de nos films. Nous les avons également observés sur les visages de patients déprimés, comme commentaires sur leur douloureuse situation. Les sourires malheureux sont souvent asymétriques. Ils sont fréquemment superposés sur une expression d’émotion négative claire : ils ne la masquent pas, mais s’y ajoutent, ou bien ils peuvent être rapidement suivis d’une expression d’émotion négative. Si le sourire malheureux exprime une tentative pour contrôler l’expression de peur, colère ou détresse, il ressemble beaucoup au sourire atténué.

 

Le pincement des lèvres, le relèvement de la lèvre inférieure par le muscle mentonnier, et les coins contractés ou abaissés peuvent servir à contrôler le déferlement de l’une de ces émotions négatives. La différence clé entre cette version du sourire malheureux (figure 5E) et le sourire atténué est l’absence de tout signe de contraction du muscle orbiculaire de l’œil. L’action de ce muscle – tension de l’épiderme autour de l’œil et formation de pattes-d’oie – fait partie du sourire atténué, parce que la joie est éprouvée, et est absente du sourire malheureux, parce que la joie n’est pas éprouvée. Le sourire malheureux peut également apparaître dans les sourcils et le front lorsque les émotions négatives sont reconnues.

 

Dans un mélange, deux émotions ou plus sont éprouvées en même temps et représentées par la même expression faciale. N’importe quelle émotion peut se mélanger 93 à toute autre. Nous nous occupons seulement ici de l’apparence des émotions qui se mélange souvent avec les émotions positives. Quand un individu éprouve du plaisir à être en colère, le mélange plaisir-colère se verra dans un rétrécissement des lèvres et parfois le retroussement de la lèvre supérieure, par-dessus le sourire éprouvé, avec les expressions de la partie supérieure du visage montrées sur la figure 3C. On peut également qualifier ce sourire de sadique ou cruel. Dans l’expression de plaisir-mépris, le sourire éprouvé fusionne avec la contraction des deux coins de la bouche. On peut aussi éprouver du plaisir à être triste ou effrayé, comme devant un roman à l’eau de rose ou un film d’horreur. Dans le mélange plaisir-tristesse, les coins de la bouche peuvent s’abaisser en se superposant à l’étirement vers le haut du sourire éprouvé, ou bien le sourire éprouvé peut simplement fusionner avec la partie supérieure représentée sur la figure 3A. Le mélange plaisir-peur montre la partie supérieure de la figure 3B associée au sourire éprouvé fusionné avec l’étirement horizontal des lèvres. Certaines expériences agréables sont vécues avec calme et satisfaction, mais parfois la joie se mêle à l’enthousiasme dans un sentiment d’exaltation. Dans le mélange plaisir-enthousiasme, la paupière supérieure se relève en plus des signes du sourire éprouvé. L’acteur Harpo Marx présentait souvent ce sourire d’allégresse enthousiaste, et parfois, quand il jouait un tour, le sourire de plaisir-colère. Dans le mélange plaisir-surprise, le sourcil est haussé, la mâchoire abaissée, la paupière supérieure soulevée, le tout en plus des signes du sourire éprouvé.

 

 

Deux autres sourires impliquent la fusion du sourire éprouvé et d’un regard particulier. Dans le sourire séducteur, le sujet montre un sourire éprouvé, face à la personne qui l’intéresse, sans la regarder puis, un bref instant, lui jette un regard à la dérobée durant un temps suffisant pour être remarqué avant de se détourner à nouveau. 95 L’un des éléments qui rend si fascinante la Joconde est qu’elle est représentée avec un tel sourire séducteur, face au spectateur, mais le regard porté sur le côté vers l’objet de son intérêt. Dans la vie courante, c’est un mouvement où le déplacement du regard ne dure que brièvement.

 

Dans le sourire embarrassé, le regard est baissé ou de biais, afin que le sujet gêné ne croise pas le regard de l’autre. Parfois, on trouve un rehaussement de la bosse du menton (la partie entre lèvre inférieure et pointe du menton) durant le sourire éprouvé. Dans une autre version, la gêne est montrée par le mélange d’un sourire atténué avec ce regard baissé ou de biais.

 

Le sourire Chaplin n’est pas très répandu, étant produit par un muscle que peu de gens peuvent bouger volontairement. Charlie Chaplin était capable de ce mouvement devenu sa marque de fabrique, dans lequel les lèvres se rehaussent plus nettement que dans le sourire éprouvé (figure 5F). C’est un sourire supérieur, un sourire qui sourit du sourire.

 

Les quatre sourires suivants ont tous la même apparence, mais ont des fonctions sociales très différentes. Ils sont tous volontaires. Souvent, ils présentent une certaine asymétrie. Le sourire modificateur atténue la brutalité d’un message déplaisant ou critique, conduisant parfois le récepteur du message à sourire en retour. Le sourire est volontaire, avec un délai d’apparition bref et brusque. Les coins de la bouche peuvent être crispés, et il arrive que la lèvre inférieure soit légèrement et brièvement rehaussée. Le sourire modificateur est souvent ponctué d’un hochement et d’une légère inclinaison de la tête vers le bas et en biais, soulignant que l’individu qui sourit regarde son interlocuteur de haut.

 

 

Le sourire d’acquiescement indique que l’individu accepte d’avaler une pilule amère sans protester. Personne ne croit qu’il est heureux, mais ce sourire signifie qu’il accepte un sort non désiré. Il ressemble au sourire modificateur, sans la position de la tête. À la place, il arrive que les sourcils soient haussés un instant, qu’un soupir s’échappe ou que les épaules s’affaissent.

 

Le sourire de coordination régule les échanges entre individus. C’est un sourire courtois et coopératif qui sert à montrer un accord, la compréhension, l’intention de s’exécuter, ou qui reconnaît que l’autre s’est acquitté correctement d’une tâche. Il s’agit d’un sourire léger, généralement asymétrique, sans mouvement du muscle orbital.

 

 

Le sourire de réaction d’écoute est un sourire de coordination particulier utilisé dans l’écoute pour signaler à l’interlocuteur que tout est compris et qu’il n’est pas nécessaire de répéter ni reformuler. C’est l’équivalent des « mmm-mmm », « d’accord » et du hochement de tête qui les accompagnent généralement. L’interlocuteur ne croit pas que son auditeur est heureux, mais prend ce sourire comme un encouragement à poursuivre.

 

 

N’importe lequel de ces quatre sourires – modificateur, d’acquiescement, de coordination ou de réaction d’écoute – peut être parfois remplacé par un sourire réellement éprouvé. Quelqu’un qui apprécie de formuler un jugement, qui prend plaisir à obéir, écouter ou coordonner peut montrer un sourire sincère au lieu de ces sourires non éprouvés.

 

Considérons maintenant le sourire feint. Il a pour objectif de convaincre l’autre qu’une émotion positive est ressentie alors que ce n’est pas le cas. Il se peut que le sujet n’éprouve rien, ou bien qu’il éprouve des émotions négatives qu’il tente de dissimuler sous le masque de ce sourire. Contrairement au sourire malheureux qui signale qu’on n’éprouve pas de plaisir, l’individu qui feint ce sourire essaie de donner à l’autre l’illusion qu’il ressent des émotions positives. C’est le seul sourire qui ment.

 

 

Il existe un certain nombre d’indices pour distinguer les sourires feints des sourires sincères. Les sourires feints sont plus asymétriques que les sourires sincères. Le sourire feint ne sera pas toujours accompagné de la mobilisation des muscles orbitaux (des yeux), si bien que le sourire feint léger à modéré ne montrera pas des joues relevées, un pli de l’épiderme sous les yeux, des pattes-d’oie ni le léger abaissement du sourcil qui apparaissent dans le sourire sincère léger à modéré.

 

 

Un exemple est donné par la figure 6, que vous pouvez comparer à la figure 5A. Si le sourire est plus grand, l’action de sourire – celle du grand zygomatique – soulève les joues, replie l’épiderme sous les yeux et produit des pattes-d’oie. Mais il n’abaisse pas les sourcils. Si vous vous regardez dans un miroir et faites lentement un sourire de plus en plus grand, vous remarquerez qu’à mesure qu’il s’agrandit, les joues se soulèvent et les pattes-d’oie apparaissent ; cependant, vos sourcils ne s’abaisseront que si le muscle orbital agit. L’absence de mouvement des sourcils est un indice subtil, mais crucial, pour distinguer entre sourires feints et sincères quand le sourire est grand.

 

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Le sourire de coordination régule les échanges entre individus. C’est un sourire courtois et coopératif qui sert à montrer un accord, la compréhension, l’intention de s’exécuter, ou qui reconnaît que l’autre s’est acquitté correctement d’une tâche. Il s’agit d’un sourire léger, généralement asymétrique, sans mouvement du muscle orbital.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sourire de réaction d’écoute est un sourire de coordination particulier utilisé dans l’écoute pour signaler à l’interlocuteur que tout est compris et qu’il n’est pas nécessaire de répéter ni reformuler. C’est l’équivalent des « mmm-mmm », « d’accord » et du hochement de tête qui les accompagnent généralement. L’interlocuteur ne croit pas que son auditeur est heureux, mais prend ce sourire comme un encouragement à poursuivre.

 

 

 

N’importe lequel de ces quatre sourires – modificateur, d’acquiescement, de coordination ou de réaction d’écoute – peut être parfois remplacé par un sourire réellement éprouvé. Quelqu’un qui apprécie de formuler un jugement, qui prend plaisir à obéir, écouter ou coordonner peut montrer un sourire sincère au lieu de ces sourires non éprouvés.

 

Considérons maintenant le sourire feint. Il a pour objectif de convaincre l’autre qu’une émotion positive est ressentie alors que ce n’est pas le cas. Il se peut que le sujet n’éprouve rien, ou bien qu’il éprouve des émotions négatives qu’il tente de dissimuler sous le masque de ce sourire. Contrairement au sourire malheureux qui signale qu’on n’éprouve pas de plaisir, l’individu qui feint ce sourire essaie de donner à l’autre l’illusion qu’il ressent des émotions positives. C’est le seul sourire qui ment.

 

Il existe un certain nombre d’indices pour distinguer les sourires feints des sourires sincères. Les sourires feints sont plus asymétriques que les sourires sincères. Le sourire feint ne sera pas toujours accompagné de la mobilisation des muscles orbitaux (des yeux), si bien que le sourire feint léger à modéré ne montrera pas des joues relevées, un pli de l’épiderme sous les yeux, des pattes-d’oie ni le léger abaissement du sourcil qui apparaissent dans le sourire sincère léger à modéré.

 

 

Un exemple est donné par la figure 6, que vous pouvez comparer à la figure 5A. Si le sourire est plus grand, l’action de sourire – celle du grand zygomatique – soulève les joues, replie l’épiderme sous les yeux et produit des pattes-d’oie. Mais il n’abaisse pas les sourcils. Si vous vous regardez dans un miroir et faites lentement un sourire de plus en plus grand, vous remarquerez qu’à mesure qu’il s’agrandit, les joues se soulèvent et les pattes-d’oie apparaissent ; cependant, vos sourcils ne s’abaisseront que si le muscle orbital agit. L’absence de mouvement des sourcils est un indice subtil, mais crucial, pour distinguer entre sourires feints et sincères quand le sourire est grand.

 

 

Le délai de disparition du sourire feint peut être visiblement inadéquat. Le sourire peut disparaître trop brusquement ou par étapes : le sourire diminue, puis stagne, avant de disparaître totalement ou par étapes.

 

Quand il est utilisé comme masque, le sourire feint ne couvre que les mouvements de la partie inférieure du visage et de la paupière inférieure. Les muscles faciaux fiables qui s’activent sur le front pour signaler peur ou détresse peuvent être encore mobilisés. Même dans la partie inférieure, le sourire feint peut ne pas réussir à couvrir totalement les signes de l’émotion qu’il doit dissimuler ; au lieu de cela, il peut se produire une fusion d’éléments où subsiste une trace, comme dans un mélange émotionnel.

 

 

Pour tester ces idées, nous avons d’abord mesuré l’expression souriante des infirmières. Si mes idées sur le sourire étaient justes, les infirmières devaient présenter le sourire sincère quand elles regardaient le film agréable et le décrivaient honnêtement. Elles devaient présenter un sourire feint quand elles regardaient le film déplaisant et essayaient de faire croire que les images étaient agréables. Nous n’avons mesuré que deux des signes indiquant qu’un sourire est feint : l’absence de mouvement du muscle orbital et la présence de signes de dégoût (froncement de nez) ou de mépris (tension des coins de la bouche). Les résultats ont été exactement tels que prévus, et très nets : dans les entretiens sincères, nous avons trouvé plus de sourires sincères que de sourires feints et aucun sourire qui fuite dégoût ou mépris ; dans les entretiens trompeurs, les sourires fuités étaient présents et il y avait plus de sourires feints que sincères. J’ai été surpris que ces deux indices de tromperie fonctionnent si bien, particulièrement parce que je savais que les gens les utilisent peu quand ils jugent autrui. Dans les premières études, nous avons montré les mêmes vidéos d’expressions faciales et demandé à des sujets de déterminer quand les infirmières mentaient. Les résultats n’ont pas été supérieurs au hasard. Mesurons-nous quelque chose de trop subtil à percevoir ou bien les sujets ne savent-ils pas ce qu’ils doivent chercher ? Notre prochaine étude le découvrira en expliquant aux sujets à quel moment se produit le mouvement du muscle orbital, quand 98 surviennent les sourires fuités, puis en vérifiant s’ils parviennent mieux à déceler les mensonges.

 

 

 

 

Le visage peut présenter plusieurs indices de tromperie : microexpressions, expressions coupées, fuites des muscles faciaux fiables, clignements, dilatation des pupilles, larmes, rougissement ou pâleur, asymétrie, erreurs de timing, erreurs d’emplacement et sourires feints. Certains de ces indices fournissent des fuites, trahissant l’information dissimulée ; d’autres fournissent des indices de tromperie signalant que quelque chose est dissimulé, sans préciser quoi ; enfin, d’autres encore signalent qu’une expression est feinte. Ces signes faciaux de tromperie, comme les indices de tromperie dans les paroles, la voix et le corps décrits au chapitre précédent, varient dans la précision de l’information qu’ils véhiculent. Certains indices de tromperie révèlent exactement quelle émotion est éprouvée, même si le menteur tente de la dissimuler. D’autres indiquent seulement si l’émotion dissimulée est positive ou négative. Cependant, d’autres indices sont encore plus indifférenciés et signalent juste que le menteur éprouve une émotion, sans même préciser si elle est négative ou positive. Savoir qu’une émotion est éprouvée peut parfois indiquer qu’un individu ment si, en dehors du mensonge, l’individu n’est pas censé en éprouver une dans cette situation. Dans d’autres circonstances, en l’absence d’information plus précise sur le type d’émotion éprouvée et dissimulée, le mensonge ne sera pas trahi. Cela dépend du mensonge, de la ligne de conduite adoptée par le suspect de mensonge, de la situation et de ce qui peut, en dehors d’un mensonge, expliquer pourquoi une émotion peut être éprouvée, mais dissimulée. Il importe pour le détecteur de se rappeler quels indices véhiculent des informations spécifiques et lesquels diffusent seulement des informations plus générales. Les tableaux 1 et 2 de l’appendice résument l’information pour tous les indices de tromperie décrits dans les chapitres 3 et 4. Le tableau 3 présente les indices de feinte.

 

Chapitre 5 Dangers et précautions

 

La plupart des menteurs peuvent duper la plupart des individus la plupart du temps. Notre étude, ainsi que beaucoup d’autres, a découvert que peu de gens font mieux que le hasard en jugeant de la sincérité d’un individu. Nous avons également découvert que la plupart des gens pensent juger correctement, même s’ils se trompent.

Il existe quelques individus exceptionnels capables de repérer avec justesse la tromperie. J’ignore encore s’il s’agit d’individus naturellement doués ou s’ils ont acquis cette capacité dans des circonstances particulières.

Mon étude ne s’est pas attachée à déterminer qui peut détecter le mieux une tromperie, mais ce que j’ai appris indique que cette capacité ne découle pas de la formation habituelle des métiers de la santé mentale.

 

 

Même les enfants, à partir de huit ou neuf ans, parfois plus tôt, peuvent réussir à tromper leurs parents. Les erreurs de détection de la tromperie consistent non seulement à croire un menteur, mais aussi, et c’est souvent pire, à ne pas croire quelqu’un qui dit la vérité. Un jugement erroné peut effrayer un enfant sincère que l’on n’a pas cru, même si l’on s’efforce par la suite de corriger l’erreur. Les conséquences peuvent être tout aussi désastreuses dans le cas d’un adulte. Cela peut coûter une amitié, un emploi, voire une vie. La presse se fait toujours l’écho d’un innocent jugé coupable à tort qui est libéré après plusieurs années d’injuste détention ; mais ce n’est pas assez rare pour faire la une. S’il n’est pas possible d’éviter entièrement les erreurs de détection de la tromperie, des précautions doivent être prises pour les diminuer.

 

 

La première précaution consiste à rendre plus explicite le processus d’interprétation des signes de tromperie. Les informations fournies aux chapitres 3 et 4 sur la manière dont paroles, voix, corps et visage peuvent trahir la tromperie n’empêchent pas les jugements erronés, mais elles peuvent rendre les erreurs plus évidentes et corrigeables. Les détecteurs ne se reposeront plus seulement sur des intuitions. Disposant de meilleures connaissances pour fonder leur jugement, ils devraient pouvoir mieux apprendre avec l’expérience, rejeter, corriger ou accorder plus de poids à tel ou tel indice de tromperie. L’accusé à tort peut également en tirer parti en pouvant mieux contester un jugement lorsque ses fondements sont précisés.

 

Une autre précaution consiste à mieux comprendre la nature des erreurs qui surviennent dans la détection de la tromperie

 

Il existe deux types d’erreurs qui sont exactement opposées en cause et en conséquence. D’un côté, le détecteur juge à tort qu’un individu sincère ment : c’est ne pas croire la vérité (erreur NPCV). De l’autre, il juge à tort qu’un menteur dit la vérité : c’est croire le mensonge (erreur CLM).

 

Peu importe si le détecteur s’appuie sur un test avec un appareil ou sur son interprétation des indices comportementaux de tromperie : il est vulnérable à ces deux erreurs. Rappelez-vous le passage du roman d’Updike où Jerry entend sa femme au 100 téléphone avec son amant. Remarquant qu’elle a une voix plus « femme » que lorsqu’elle lui parle, il demande à qui elle parlait et Ruth invente une couverture : « Une dame du catéchisme qui me demandait si nous allions inscrire Joanna et Charlie. » Si Jerry accepte la version de Ruth, il fera l’erreur CLM. Imaginons un autre scénario : Ruth est une épouse fidèle, elle parlait vraiment à une dame du catéchisme, et Jerry est un mari soupçonneux. Si Jerry juge que sa femme ment alors qu’elle dit la vérité, il commet l’erreur NPCV. 

Durant la seconde guerre Mondiale, Hitler commis une erreur CLM- et Staline, une NPCV, tout aussi catastrophique. Par divers moyens - simulation de concentration de troupes, lancement de rumeurs, communication de fausses informations aux espions allemands, – les Alliés convainquirent l’Allemagne que le débarquement aurait lieu à Calais et non sur la côte normande.

Pendant six semaines après le début de l’offensive, les Allemands persistèrent dans leur erreur en gardant une grande partie de leurs forces sur le qui-vive à Calais au lieu de renforcer leurs lignes en Normandie, pensant que ce débarquement n’était qu’un prélude servant de diversion pour celui de Calais ! Là, c’était croire un mensonge : les Allemands avaient jugé vrais les rapports annonçant un débarquement à Calais alors que c’étaient des tromperies méticuleusement organisées. Les Allemands avaient pris un mensonge pour la vérité.

 

L’erreur opposée fut commise par Staline lorsqu’il refusa de croire les nombreux rapports qu’il recevait, certains de ses propres espions infiltrés dans l’armée allemande l’avertissant que Hitler s’apprêtait à lancer une offensive sur la Russie. Là, c’était ne pas croire la vérité : Staline avait pris pour des mensonges des informations justes sur le plan allemand.

 

La distinction entre ces deux erreurs est très importante, car elle attire l’attention sur les dangers jumeaux qui guettent le détecteur. Il n’y a aucun moyen de les éviter totalement l’une et l’autre : la seule possibilité est de choisir en fonction du risque. Le détecteur doit estimer quand il est préférable de risquer d’être dupé et quand il vaut mieux risquer d’accuser à tort. Ce qui peut être perdu ou gagné en suspectant l’innocent ou en accordant du crédit à un menteur est fonction du mensonge, du menteur et du détecteur. Soit les conséquences sont bien pires pour l’une des deux erreurs, soit les deux sont tout aussi désastreuses.

 

Nous allons voir en quoi chacun des indices comportementaux de tromperie est sensible aux erreurs NPCV et CLM et quelles précautions peuvent être prises pour les éviter.

 

Les différences individuelles, que j’ai appelées plus haut le risque Brokaw, sont la cause des deux types d’erreur. Aucun indice de tromperie sur le visage, le corps, dans la voix ou les paroles n’est infaillible, pas même l’activité du système nerveux autonome mesurée par le décodeur. Les erreurs CLM sont commises parce que certains individus ne font tout simplement pas de fautes quand ils mentent. Il ne s’agit pas seulement des psychopathes, mais aussi des menteurs-nés, des adeptes de la technique Stanislavski et de ceux qui, par d’autres moyens, réussissent à croire à leurs propres mensonges. 101 Le détecteur doit se rappeler que l’absence de signes de tromperie n’est pas une preuve de vérité.

 

La présence d’un signe de tromperie peut également provoquer l’autre erreur, ne pas croire la vérité. Un indice de tromperie peut être présenté délibérément par un escroc pour faire croire à sa victime qu’elle l’a pris en flagrant délit de mensonge. Les joueurs de poker utilisent cette astuce, que l’on appelle dans ce milieu « une intox ». Par exemple, un joueur peut pendant des heures faire exprès de tousser quand il bluffe. L’adversaire repère rapidement la coïncidence toux-bluff. Lors d’une main cruciale, quand les enchères montent, le trompeur tousse de nouveau, mais cette fois il ne bluffe pas : cela lui permet de remporter le tapis en ayant semé la confusion chez son adversaire 1

 

Le joueur de poker a profité du fait qu’on l’a jugé menteur. Le plus souvent, quand un détecteur commet cette erreur, l’individu qui a été jugé à tort comme menteur en pâtit. C’est à cause non pas de son caractère retors qu’un suspect est taxé de mensonge alors qu’il est sincère, mais d’une particularité de son comportement et de sa manière de s’exprimer. Ce qui serait chez la majorité un indice de tromperie n’en est pas un chez lui. Certains individus sincères :

 

ont un discours indirect et alambiqué

; font de nombreuses pauses brèves et courtes entre les mots

; commettent beaucoup d’erreurs d’élocution

; utilisent peu d’illustrants

; utilisent beaucoup de manipulatoires

; montrent souvent des signes de peur, de détresse ou de colère dans leurs expressions faciales, quel que soit leur état d’esprit

; présentent des expressions faciales asymétriques.

 

La seule manière de réduire les erreurs dues au risque Brokaw est de fonder son jugement sur un changement de comportement du suspect. Le détecteur doit comparer son comportement habituel avec celui qu’il a lorsqu’il est soupçonné.

 

Les gens sont souvent induits en erreur lors des premières rencontres parce qu’ils ne disposent pas de bases de comparaison. Le jugement absolu – l’individu présente tellement de manipulatoires qu’il doit être mal à l’aise parce qu’il dissimule – a toutes les chances d’être erroné. Le jugement relatif – le suspect présente tellement plus de manipulatoires que d’habitude qu’il doit être mal à l’aise – est le seul moyen de réduire les erreurs NPCV dues aux particularités d’expression d’un individu.

Les joueurs de poker éprouvés suivent cette technique en mémorisant les indices de tromperie spécifiques de leurs adversaires habituels 2 .

Si un détecteur doit se prononcer après une première rencontre, l’entretien doit être suffisamment long pour qu’il ait la possibilité d’observer le comportement habituel du suspect. Par exemple, le détecteur peut se concentrer pendant un certain temps sur des sujets de conversation qui n’induisent pas de stress. Parfois, ce n’est pas faisable. Tout l’entretien est stressant pour un individu qui redoute 102 ou n’apprécie pas d’être soupçonné.

Auquel cas, le détecteur doit prendre conscience qu’il est susceptible de commettre des erreurs de jugement en ignorant les particularités du comportement habituel du suspect.

 

Les premières entrevues sont aussi l’occasion d’erreurs de jugement à cause de la manière dont chacun réagit aux premières rencontres. Certains individus se surveillent, suivent des règles de conduite bien apprises et, du coup, offrent un échantillon non représentatif de leur comportement habituel. D’autres sont victimes d’angoisse et leur comportement, pour la raison inverse, offre une base de jugement médiocre. Le détecteur doit si possible fonder son jugement sur une série d’entretiens dans l’espoir d’obtenir une meilleure base de connaissances. S’il peut sembler plus facile de détecter les mensonges quand les individus se connaissent intimement, ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que conjoints, membres de la famille, amis ou collègues proches acquièrent des préjugés ou une indulgence qui compromet la justesse de leur capacité à détecter des indices de tromperie.

 

 

L’interprétation des quatre sources de fuite – lapsus verbaux, tirades, lapsus emblématiques et microexpressions – n’est pas aussi sensible au risque Brokaw.

Il n’est pas nécessaire de les comparer pour les évaluer, car ils ont un sens en eux-mêmes et dans l’absolu. Rappelez-vous l’exemple du lapsus cité par Freud au chapitre 3.

Il fallait connaître les lois spécifiques du divorce à l’époque pour déduire du lapsus que le Dr R. était peut-être bien le mari qui regrettait de ne pas avoir intenté le procès. Mais même sans le savoir, le simple fait qu’il ait dit « il » au lieu de « elle » avait un sens très spécifique compréhensible en soi : le Dr R. regrettait que ce soit l’épouse qui ait obtenu le divorce et non le mari.

Les lapsus ne sont pas comme les pauses, qui ne peuvent être comprises que si leur nombre change. Les lapsus peuvent être compris sans qu’il soit besoin de connaître leur fréquence habituelle chez le sujet.

 

Quelle que soit leur fréquence, un lapsus verbal ou emblématique, une microexpression ou une tirade révèlent une information. Ils lèvent le voile. Rappelezvous l’expérience où l’étudiante fait un lapsus emblématique (le doigt d’honneur). Ce n’est pas comme une diminution des illustrants, qui ne peut être évaluée qu’en comparaison de leur utilisation habituelle par le sujet. Le geste en soi est inhabituel et sa signification bien connue. Comme c’est un lapsus emblématique – une simple partie d’un geste emblématique, exécutée en dehors de sa position de présentation habituelle –, le message peut être interprété comme une fuite des émotions que le sujet cherche à dissimuler. Quand Mary, la patiente suicidaire, présente une microexpression, le message de tristesse est interprétable en lui-même. Le fait que la tristesse soit présentée dans une microexpression et non une expression normale, plus longue, indique que Mary tente de dissimuler son émotion. Connaître le contexte de la conversation peut aider à interpréter toute l’étendue d’un mensonge, mais les messages fournis par les lapsus, tirades et microexpressions trahissent une information dissimulée et sont en euxmêmes significatifs.

 

C’est uniquement sur ce point que ces quatre sources de fuite (lapsus verbaux, tirades, lapsus emblématiques et microexpressions) diffèrent de tous les autres indices 103 de tromperie : le détecteur n’a pas besoin de points de comparaison pour éviter de commettre une NPCV. Par exemple, lors des premières entrevues, dans son interprétation des lapsus, microexpressions et tirades, le détecteur n’a pas besoin de savoir s’il s’agit ou non d’un comportement habituel. Bien au contraire. C’est pour lui une chance si le suspect est coutumier de ces actes. Cependant, s’il n’est pas utile, pour ces quatre sources, de prendre des précautions pour éviter l’erreur NPCV, il convient d’en prendre pour éviter l’erreur CLM. L’absence de ces sources ou de tout autre indice de tromperie ne peut être interprétée comme une preuve de sincérité. Les menteurs ne font pas tous des lapsus, des microexpressions ou des tirades.

 

L’erreur d’Othello

 

Pour le moment, nous n’avons examiné qu’une seule source d’erreur dans la détection de la tromperie : le risque Brokaw. Un autre problème, tout aussi important, conduisant aux erreurs NPCV, est l’erreur d’Othello. Elle se produit quand le détecteur néglige le fait qu’un individu sincère stressé peut apparaître comme un menteur. Chacune des émotions provoquées par le mensonge (chapitre 2) peut être éprouvée pour d’autres raisons par un individu sincère soupçonné de mentir.

L’individu sincère peut craindre de ne pas être cru et cette peur peut être confondue avec l’appréhension de détection du menteur. Certains individus peuvent avoir des sentiments de culpabilité si intenses à propos d’autres questions que cette émotion peut apparaître dès qu’ils se rendent compte qu’on les soupçonne d’un méfait. Ces signes de culpabilité peuvent être confondus avec la culpabilité de tromperie du menteur.

 

Les individus sincères peuvent également éprouver du mépris pour celui qui les accuse à tort, de l’excitation à l’idée de lui prouver qu’il se trompe, ou du plaisir à la perspective de pouvoir se justifier : les signes de ces émotions peuvent ressembler au plaisir de duper du menteur.

 

D’autres émotions peuvent également être éprouvées par des individus sincères ou menteurs qui se savent soupçonnés. Bien que leurs raisons soient différentes, l’un comme l’autre peuvent éprouver surprise, colère, déception, détresse ou dégoût face aux soupçons et questions du détecteur.

 

J’ai baptisé ce problème « erreur d’Othello » parce que la scène de la mort dans la pièce de Shakespeare en fournit un exemple aussi parlant que célèbre. Othello vient d’accuser Desdémone d’aimer Cassio et lui demande d’avouer, puisqu’il va la tuer pour sa traîtrise. Desdémone demande que Cassio vienne témoigner de son innocence. Othello lui apprend qu’il l’a tué. Desdémone comprend qu’elle ne pourra pas prouver son innocence et qu’Othello va la tuer.

 

« DESDÉMONE : Hélas, il est trahi, et je suis perdue ! OTHELLO : Fi donc, prostituée ! tu pleures pour lui devant ma face ! DESDÉMONE : Oh ! bannissez-moi, monseigneur, mais ne me tuez pas. OTHELLO : À bas, prostituée 3 ! » Othello interprète la peur et la détresse de Desdémone comme une réaction à la nouvelle de la mort de celui qu’il croit son amant, ce qui confirme sa conviction qu’elle est infidèle. Othello ne se rend pas compte que si Desdémone est innocente, elle peut 104 tout de même présenter les mêmes émotions : détresse et désespoir qu’Othello ne la croie pas et que sa dernière chance de prouver son innocence lui échappe, maintenant que Cassio est mort. Elle a aussi peur qu’Othello la tue à présent. Desdémone pleure à la perspective de la mort, à cause de son infortune et du manque de confiance d’Othello, mais elle ne pleure pas la mort d’un amant.

 

L’erreur d’Othello illustre également comment des préjugés peuvent biaiser le jugement d’un détecteur. Othello est convaincu avant cette scène que Desdémone est infidèle. Il ne tient pas compte des autres explications qu’elle lui fournit. Il cherche à confirmer et non à vérifier sa conviction que Desdémone est coupable. Othello est un exemple extrême, mais les préjugés déforment souvent le jugement, amenant le détecteur à ne pas tenir compte d’idées, possibilités ou faits qui ne corroborent pas ce qu’il pense déjà. Cela se produit même quand le détecteur souffre d’avoir des préjugés. Othello est torturé par sa conviction que Desdémone ment, mais cela ne le pousse pas à accepter ses justifications. Il interprète le comportement de Desdémone d’une manière qui lui confirme ce qu’il désire le moins et qui le fait le plus souffrir.

 

De tels préjugés déformant le jugement du détecteur et le conduisant à des erreurs NPCV peuvent avoir plusieurs origines. Si Othello est convaincu de l’infidélité de Desdémone, c’est l’œuvre de Iago, son malfaisant enseigne qui, pour son profit, provoque la disgrâce d’Othello en éveillant et nourrissant ses soupçons. Iago pourrait ne pas être arrivé à ses fins si Othello n’était pas jaloux de nature. Un individu suffisamment jaloux n’a pas besoin d’un Iago pour être victime de sa jalousie. Il cherche à confirmer ses pires craintes, à découvrir ce qu’il soupçonne – que tout le monde lui ment. Les individus soupçonneux feraient de très mauvais détecteurs, susceptibles d’erreurs NPCV. Il y a bien entendu aussi les naïfs, qui commettent l’erreur inverse, croire le mensonge, sans jamais soupçonner ceux qui les trompent.

 

L’embrasement émotionnel

Quand l’enjeu est élevé, quand le coût du mensonge pour le détecteur est plus important si le suspect ment, même un individu non jaloux peut tirer des conclusions hâtives. Un détecteur qui éprouve de la colère, redoute la trahison ou connaît déjà l’humiliation qu’il éprouvera si ses pires craintes sont fondées, peut ignorer tout ce qui pourrait le rassurer et rechercher ce qui augmentera encore sa détresse. Il peut accepter l’humiliation avant que la trahison ne soit prouvée, plutôt que d’en risquer une pire encore s’il continue à être dupé.

Mieux vaut souffrir sur le moment plutôt que d’endurer le tourment de l’incertitude. Il redoute plus de croire un mensonge – être cocufié, par exemple – que de ne pas croire la vérité – être un époux qui accuse sans raison. Ces choix ne sont pas faits de manière rationnelle. Le détecteur est devenu la victime de ce que j’appelle un embrasement émotionnel. Les émotions jaillissent, deviennent incontrôlables et s’intensifient avec le temps au lieu de diminuer, comme c’est généralement le cas. L’individu s’empare de tout ce qui peut alimenter les sentiments les plus noirs et amplifier leurs effets destructeurs. Dans un tel déchaînement, l’individu est impossible à rassurer : ce n’est pas ce qu’il désire. Il agit 105 uniquement pour intensifier l’émotion qu’il éprouve, transformant la peur en terreur, la colère en rage, le dégoût en révulsion, la détresse en angoisse. Un embrasement émotionnel consume tout ce qui se trouve sur son chemin – objets, inconnus, êtres chers, soi-même – jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à brûler. Personne ne sait ce qui provoque ces embrasements ni ce qui y met fin. Manifestement, certains individus sont plus susceptibles d’embrasement que d’autres. De toute évidence, un individu saisi par cet embrasement est très mauvais juge d’autrui, puisqu’il ne croit que ce qui va le faire sombrer davantage. Les erreurs de ne pas croire la vérité (NPCV) Les erreurs NPCV – chercher la tromperie quand il n’y en a aucune – n’exigent pas un embrasement émotionnel, une personnalité jalouse ni même un Iago. La tromperie peut être soupçonnée parce que c’est une explication utile et commode. Un employé de la CIA durant vingt-cinq ans écrivait ainsi : « Comme explication d’une cause, la tromperie est satisfaisante en elle-même précisément parce qu’elle est méthodique et rationnelle. Quand d’autres explications convaincantes ne sont pas accessibles (peut-être parce que le phénomène que nous cherchons à expliquer a été causé en réalité par des erreurs, des consignes négligées ou d’autres facteurs qui nous sont inconnus), la tromperie offre une explication commode et facile. Elle est commode parce que les agents de renseignement sont généralement sensibles à l’éventualité d’une tromperie et que sa détection est souvent prise comme le signe d’une analyse pénétrante. Elle est facile, parce que presque toute preuve peut être rationalisée pour être cohérente avec l’hypothèse de tromperie ; en fait, on pourrait avancer qu’une fois que la tromperie est invoquée comme possibilité sérieuse, cette hypothèse est presque impossible à infirmer 4 . » Ces observations ne valent pas que pour le domaine du renseignement ou de la police.

Même quand cela implique d’accepter que son enfant, un parent, un ami ou un conjoint a trahi la confiance, le détecteur peut commettre l’erreur NPCV, en soupçonnant à tort la tromperie parce qu’elle explique l’inexplicable. Une fois lancé, le préjugé selon lequel l’être cher ment filtre toute information qui pourrait l’infirmer. Le détecteur devrait s’efforcer d’être conscient de ses préjugés sur le suspect. Qu’ils soient dus à la personnalité du détecteur, des embrasements émotionnels, des informations tierces, son expérience passée, les exigences de sa fonction, la nécessité de réduire l’incertitude, si les préjugés sur le suspect sont explicitement reconnus, le détecteur a une chance de se protéger contre la probabilité d’interpréter uniquement sous l’angle qui confirme ces préjugés. À tout le moins, le détecteur peut être en mesure de s’apercevoir qu’il a trop de préjugés pour faire confiance à son propre jugement concernant la sincérité du suspect. 106 Le détecteur doit s’efforcer d’envisager la possibilité qu’un signe d’émotion ne soit pas un indice de tromperie, mais l’indice de ce qu’éprouve un individu sincère quand on le soupçonne de mentir.

Un signe d’émotion est-il provoqué par le fait de mentir ou celui d’être accusé ou jugé à tort ? Le détecteur doit estimer quelles émotions un suspect donné est susceptible d’éprouver, non seulement s’il ment mais, et c’est tout aussi important, s’il est sincère. De la même manière que les menteurs n’éprouvent pas tous l’éventail complet des émotions suscitées par le mensonge, les individus sincères n’éprouveront pas tous l’éventail complet des émotions suscitées par la sincérité. Nous avons étudié au chapitre 2 comment estimer qu’un menteur est susceptible d’éprouver appréhension de détection, culpabilité de tromperie ou plaisir de duper. Voyons maintenant comment évaluer quelles émotions un individu sincère peut éprouver quand il est soupçonné de mentir. Le détecteur est en mesure de l’estimer en se fondant sur sa connaissance de la personnalité du suspect. Au début de ce chapitre, j’ai précisé qu’il était nécessaire que le détecteur ait déjà vu le suspect afin de réduire les erreurs fondées sur la première impression, qui ne peut pas prendre en compte les différences individuelles dans certains comportements qui peuvent être des indices de tromperie. Cette fois, c’est une information différente sur le suspect qui est nécessaire et cela en fonction d’un objectif autre. Le détecteur a besoin de connaître les caractéristiques émotionnelles du suspect de manière à pouvoir écarter les signes de certaines émotions de la liste des indices de tromperie. Tous les individus n’éprouvent pas forcément de la peur, de la colère, de la culpabilité, etc., quand ils sont soupçonnés d’un méfait ou d’un mensonge. Cela dépend en partie de la personnalité du suspect. Un individu particulièrement vertueux peut être fâché d’apprendre qu’il est soupçonné de mentir, mais ne pas vraiment redouter de ne pas être cru et ne pas éprouver de culpabilité. Un individu timoré, manquant d’assurance et connaissant souvent l’échec peut avoir peur de ne pas être cru, mais risque peu d’éprouver de la colère ou de la culpabilité. Nous avons déjà parlé des individus qui sont tellement rongés par la culpabilité qu’ils se sentent coupables quand ils sont soupçonnés de méfaits qu’ils n’ont même pas commis. En revanche, ce type d’individu peut ne pas être particulièrement effrayé, fâché, surpris, en détresse ni excité. Le détecteur doit écarter de sa liste d’indices de tromperie tout signe d’une émotion donnée si le suspect, de par sa personnalité, est susceptible de l’éprouver, même s’il dit la vérité. Déterminer quelles émotions éliminer est fonction du suspect : les émotions ne seront pas toutes facilement provoquées chez tout sujet sincère qui se sait soupçonné. La, ou les émotions qu’un innocent peut éprouver s’il se sait soupçonné de méfait dépendent également de la relation de l’individu avec le détecteur et de ce que leur passé commun peut susciter chez lui. Dans L’honneur des Winslow, le père de Ronnie sait que 107 son fils le considère comme juste. Il ne l’a jamais accusé ni puni à tort lorsqu’il était innocent. En raison de ce passé, le père n’a pas à considérer des signes de peur comme des indices de sincérité ou de mensonge. Il n’y a aucune raison pour que le garçon redoute de ne pas être cru ; la seule peur qu’il peut éprouver est celle d’être démasqué s’il ment. Ceux qui accusent souvent à tort et qui ont l’habitude de ne pas croire la vérité établissent une relation qui rend les signes de peur ambigus, que le suspect mente ou dise la vérité. Une épouse qui est régulièrement accusée d’infidélité et est victime de violences verbales ou physiques a toutes les raisons d’avoir peur, qu’elle mente ou soit sincère. Son mari ne dispose plus de la référence nécessaire pour pouvoir utiliser les signes de peur comme preuves de mensonge.

Le détecteur doit écarter de sa liste d’indices de tromperie tout signe d’une émotion donnée si le suspect, de par leur relation, est susceptible de l’éprouver même s’il dit la vérité. Lors d’une première rencontre, malgré l’absence de relation passée, un individu peut être soupçonné de mensonge.

Il peut s’agir d’un premier rendez-vous amoureux, où l’un soupçonne l’autre de dissimuler qu’il ou elle est mariée. Un candidat peut soupçonner de mensonge un employeur qui déclare avoir d’autres postulants à voir avant de prendre sa décision.

Un criminel peut soupçonner de mensonge le policier qui l’informe que son complice l’a dénoncé en fournissant des preuves accablantes. L’acheteur peut se demander si l’agent immobilier essaie de faire monter le prix en déclarant que le propriétaire n’accepterait même pas de réfléchir à une proposition aussi basse. En l’absence de relation passée avec le suspect et ne connaissant pas sa personnalité, le détecteur est doublement handicapé. Rien ne peut lui indiquer s’il est nécessaire d’écarter telle ou telle émotion parce qu’elle est celle d’un individu sincère victime de soupçons.

Quand bien même, connaître ce qu’attend le suspect du détecteur peut aider à estimer quelles émotions un individu sincère peut éprouver quand il est soupçonné de mentir. Les suspects n’ont pas tous des attentes bien nettes vis-à-vis de tous les détecteurs, et ces attentes sont différentes selon les individus. Imaginons que le suspect soit une personne ayant accès à des documents confidentiels et qu’on l’ait vu fraterniser avec des gens que le FBI soupçonne d’être des agents ennemis étrangers. Il n’est pas nécessaire que le suspect ait déjà été en contact avec un agent du FBI pour avoir vis-à-vis du FBI des attentes qui doivent être prises en compte.

Si le suspect croit que le FBI ne commet jamais d’erreurs et est totalement digne de confiance, des signes de peur n’ont pas besoin d’être écartés, mais pourraient être interprétés comme de l’appréhension de détection. Cependant, si le suspect croit que le FBI est incompétent ou a tendance à piéger les gens, des signes de peur devraient être écartés. Il pourrait s’agir de la crainte de ne pas être cru plutôt que d’appréhension de détection. Le détecteur doit écarter de sa liste d’indices de tromperie tout signe d’une émotion donnée si le suspect, de par ses attentes, est susceptible de l’éprouver même s’il dit la vérité. 108 Jusqu’à maintenant, je n’ai abordé que la confusion provoquée par les émotions qu’éprouve un individu sincère soupçonné de mentir. Les réactions émotionnelles d’un individu sincère peuvent également clarifier la situation plutôt que provoquer la confusion, en aidant à distinguer l’individu sincère du menteur. Il y a confusion quand l’individu sincère et le menteur ont tous les deux les mêmes réactions émotionnelles devant le soupçon ; il y a clarification quand elles sont différentes. Un individu peut avoir des émotions totalement différentes quand il est soupçonné de mensonge, selon qu’il dit la vérité ou qu’il ment. L’honneur des Winslow est un exemple. Le père dispose d’une information abondante – il connaît la personnalité de son fils et ils ont un passé commun – qui lui permet d’estimer très précisément comment son fils risque de se comporter selon qu’il dit ou non la vérité. Il sait que Ronnie n’est pas un menteur-né ni un psychopathe, qu’il n’est pas rongé par la culpabilité et qu’ils ont des valeurs communes. En conséquence, la culpabilité de tromper sera élevée si Ronnie ment. Le mensonge, rappelons-le, serait qu’il nie un vol d’argent s’il en était réellement coupable. Le père connaît le caractère de son fils ; il sait qu’il éprouverait de la culpabilité à la suite d’un tel acte, qu’il doive ou non mentir à ce propos. Aussi, si Ronnie a réellement volé et essaie de le dissimuler, deux sources d’intense culpabilité le trahiront : il se sentira coupable de mentir et coupable du délit commis. Si Ronnie dit la vérité quand il nie le vol, il ne devra pas éprouver de culpabilité. Le père sait également que son fils a confiance en lui. Leur passé commun est tel que Ronnie accepte que son père lui affirme qu’il le croira s’il dit la vérité. En conséquence, Ronnie n’aura pas peur de ne pas être cru. Pour augmenter l’appréhension de détection, le père prétend être infaillible. Ronnie, probablement en raison de leur passé commun, le croit. En conséquence, il devrait redouter d’être pris s’il ment. Enfin, le père lui propose son indulgence s’il avoue. Par ce biais, il élève l’enjeu : si Ronnie ment, il sera l’objet de la colère de son père. Ronnie éprouverait probablement de la honte s’il avait volé et cela pourrait l’empêcher de l’avouer. Son père aurait dû ajouter qu’il comprend qu’un jeune homme puisse céder à la tentation, mais que le plus important est de ne pas dissimuler, mais d’avouer ses méfaits. Après avoir évalué quelles émotions Ronnie éprouvera s’il ment (peur et culpabilité) et s’être appuyé sur une base d’information pour estimer que ces émotions ne sont pas probables si Ronnie dit la vérité, il faudra franchir une étape supplémentaire avant que le père ne puisse réduire les risques d’erreur d’interprétation des indices de tromperie. Il doit être certain que si Ronnie dit la vérité, il n’éprouvera aucune autre émotion qui ressemble à des signes de peur ou de culpabilité et risquerait d’embrouiller son jugement. Ronnie peut être fâché contre le directeur de l’école qui l’a accusé à tort de vol ; dès lors, il faut éliminer les signes de colère, particulièrement s’ils apparaissent lorsqu’il est question de l’autorité de l’école. Ronnie est probablement désemparé par sa situation et cette détresse est peut-être d’ordre plus général. Dans ce cas, son père peut interpréter la peur et la culpabilité comme une preuve de mensonge, mais colère et détresse pourraient apparaître même si Ronnie dit la vérité. 109 Même quand la situation est aussi claire et nette – quand on dispose d’une base pour savoir quelles émotions le suspect éprouvera selon qu’il ment ou dit la vérité et quand ce ne sont pas les mêmes émotions –, interpréter les indices comportementaux de tromperie peut encore comporter des risques. De nombreux comportements sont des signes de plus d’une émotion, et ceux qui entrent dans cette catégorie doivent être écartés quand l’une de ces émotions peut être éprouvée si le suspect est sincère alors qu’une autre peut être éprouvée quand le suspect ment. Les tableaux 1 et 2 de l’appendice permettent de vérifier rapidement quelles émotions peut produire chaque indice comportemental. Supposons que le père remarque que Ronnie transpire et déglutit fréquemment. Ces signes sont sans valeur, puisqu’ils sont les signes de n’importe quelle émotion, positive comme négative. Si Ronnie ment, ils seront dus à la peur ou à la culpabilité, et si Ronnie dit la vérité, ils se produiront parce qu’il éprouve détresse ou colère.

Si Ronnie présente de nombreux manipulatoires, eux aussi devraient être écartés, étant donné qu’ils augmentent en cas d’émotion négative, quelle qu’elle soit. Même les signes qui indiquent uniquement certaines émotions négatives, comme l’abaissement de la tonalité, devraient être écartés. Si la tonalité devient plus grave à cause de la culpabilité, ce sera un signe de mensonge ; mais elle peut s’abaisser à cause de la tristesse ou de la détresse, et Ronnie peut très bien éprouver cette détresse, qu’il mente ou dise la vérité. Seuls les comportements qui marquent peur ou culpabilité, mais pas colère, tristesse ou détresse peuvent être interprétés comme des indices de tromperie. Les comportements qui marquent colère ou détresse, mais pas peur ni culpabilité peuvent être interprétés comme des indices de sincérité. Les tableaux 1 et 2 de l’appendice montrent que les comportements suivants peuvent révéler si Ronnie ment ou non : lapsus verbaux, lapsus emblématiques, microexpressions et mouvements des muscles faciaux fiables. Ce sont les seuls comportements qui peuvent signaler une information avec suffisamment de précision pour distinguer la peur ou la culpabilité de la colère ou de la détresse. Au passage, notons qu’un test au décodeur pourrait ne pas fonctionner avec Ronnie. L’appareil mesure seulement la présence d’émotion, sans préciser laquelle. Ronnie sera ému, qu’il soit innocent ou coupable.

Même si les études évaluant la justesse de la machine prouvent qu’elle obtient des résultats supérieurs au hasard dans un certain nombre d’entre elles, beaucoup d’erreurs NPCV étaient commises. Comme le démontre mon analyse de L’honneur des Winslow, il est compliqué d’estimer quelles émotions le suspect éprouve s’il dit la vérité, et si elles diffèrent de celles qu’il éprouve s’il ment. Cela exige une bonne connaissance du suspect. Souvent, elle n’est pas suffisante pour procéder à cette estimation. Et quand elle l’est, cette estimation peut ne pas contribuer à repérer le menteur. Cette connaissance peut indiquer que la même émotion peut être probablement éprouvée que le suspect mente ou dise la vérité, comme c’est le cas pour Desdémone. Même quand l’estimation indique que différentes émotions seront ressenties, que le suspect mente ou soit sincère, les indices comportementaux peuvent être ambigus. Il se peut qu’aucun ne soit spécifique 110 aux seules émotions qui différencient le menteur de l’individu sincère. Dans ces situations – quand il n’y a pas de connaissance suffisante pour estimer les émotions éprouvées par le suspect ; quand on estime que les mêmes émotions seront éprouvées, que le suspect mente ou dise la vérité ; quand des émotions différentes seront éprouvées, selon que le suspect ment ou dit la vérité, mais que les indices comportementaux sont ambigus –, le détecteur ne peut pas utiliser les indices de tromperie qui impliquent une émotion. N’oublions pas qu’il existe d’autres indices de tromperie qui, eux, n’impliquent pas les émotions, comme les lapsus verbaux, emblématiques, et les tirades. C’est seulement quand il s’aperçoit qu’il est dans cette situation difficile que le détecteur peut éviter les erreurs NPCV, et prendre convenablement garde à sa vulnérabilité aux menteurs qui lui fait commettre des erreurs CLM. Bien sûr, parfois, analyser quelles émotions le menteur et l’individu sincère victime de soupçons peuvent respectivement éprouver contribuera à démasquer le menteur. Comme dans l’exemple de L’honneur des Winslow, une telle analyse isolera les indices qui sont des signes non ambigus de sincérité ou de tromperie et facilitera la tâche du détecteur en lui faisant prendre conscience des comportements précis qu’il doit guetter.

Mon explication des dangers et précautions dans la détection des tromperies n’a pour le moment traité que des situations dans lesquelles le suspect sait qu’il est soupçonné de mensonge. Cependant, l’individu sincère peut ne jamais se rendre compte que chaque mot qu’il prononce, chaque geste ou tressaillement facial est scruté par quelqu’un qui le soupçonne de mentir ; en outre, certains individus sincères croient subir ce genre d’analyse lorsque ce n’est pas le cas. Le menteur ne sait pas toujours si sa victime soupçonne ou non sa tromperie. Un prétexte très élaboré destiné à lever tout soupçon peut au contraire soulever une interrogation dans l’esprit d’une victime jusque-là confiante. La victime qui soupçonne qu’on lui ment peut à son tour mentir – dissimuler ses soupçons – afin d’endormir le menteur et l’amener à trébucher. Une victime peut avoir d’autres raisons de vouloir endormir le menteur. Dans le contre-espionnage, quand un agent est découvert, il arrive qu’on ne le lui dise pas afin de pouvoir l’utiliser pour intoxiquer l’ennemi.

D’autres victimes peuvent dissimuler qu’elles ont conscience qu’on cherche à les tromper afin de s’amuser à renverser les rôles et, pendant un certain temps, regarder le menteur continuer à jouer son numéro sans savoir que la victime l’a percé à jour. Pour le détecteur, il y a à la fois à perdre et à gagner si le suspect ignore qu’il est soupçonné de mensonge.

Un menteur peut ne pas brouiller les pistes, anticiper les questions, préparer des excuses, répéter sa réplique et user de prudence s’il ne s’imagine pas que chacun de ses mouvements est analysé par une victime soupçonneuse. À mesure que le temps passe et que le mensonge semble totalement avalé, le menteur peut tellement se détendre que des erreurs se produisent en raison d’un excès de confiance. Ce gain pour le détecteur est compensé par la faible probabilité que le menteur détendu 111 qui devient négligent éprouve de l’appréhension de détection. Les erreurs de négligence sont obtenues aux dépens d’erreurs dues à l’appréhension de détection. Non seulement les indices comportementaux de tromperie engendrés par l’appréhension de détection sont sacrifiés, mais sont également perdus les effets désorganisateurs de cette peur qui peuvent, comme l’excès de confiance, être la cause d’une planification médiocre. La perte la plus importante est peut-être l’angoisse d’être pris, qui risque de ne pas être assez forte pour amener des aveux si le menteur ne s’imagine pas surveillé.

Ross Mullaney, expert en formation aux interrogatoires policiers, est le partisan de ce qu’il appelle la « stratégie du cheval de Troie », où le policier prétend croire le suspect afin de l’amener à parler davantage et s’emmêler dans ses propres mensonges. Même si l’appréhension de détection peut diminuer, le suspect a plus de probabilités de commettre une erreur révélatrice, comme le déclare Mullaney : « Le policier doit encourager le suspect dans sa tromperie en le faisant avancer, tout en cherchant toujours plus de détails dans les mensonges successifs. En fait, le policier trompe lui aussi en prétendant croire la source. Ce procédé ne peut pas causer de tort à une source sincère. Si le policier a commis une erreur en pensant au départ que le suspect mentait, [cette technique d’interrogatoire] ne provoquera pas d’injustice. Seul le trompeur la redoute 5 . » Cette stratégie rappelle le conseil de Schopenhauer : « Si vous avez des raisons de soupçonner qu’un individu vous ment, apparaissez comme croyant chacune de ses paroles. Cela lui donnera le courage de poursuivre ; il sera encore plus véhément dans ses assertions et finira par se trahir tout seul 6 . » Alors que croire que la cible est confiante semble avec certitude diminuer l’appréhension de détection du menteur, il est difficile de déterminer comment un tel savoir affecte les autres sentiments provoqués par le mensonge. Certains menteurs peuvent éprouver plus de culpabilité de tromperie en dupant une cible confiante qu’une cible méfiante. D’autres se sentiront moins coupables, estimant qu’aucun mal n’est fait du moment que la cible ne sait rien et n’est pas rongée par les soupçons. De tels menteurs peuvent croire que leurs mensonges sont principalement motivés par la charité, pour épargner la sensibilité de la victime. Le plaisir de duper peut lui aussi varier, augmenter ou diminuer si le menteur sait que la cible est confiante. Duper une victime totalement confiante peut être particulièrement délicieux et provoquer d’agréables sentiments de mépris ; cependant, tromper une cible méfiante peut être excitant à cause du défi que cela représente. Il n’y a donc aucun moyen de prédire si un menteur est plus ou moins voué à commettre des erreurs si sa cible fait part de ses soupçons.

Il y a bien sûr une chance que les soupçons soient infondés ; le suspect peut être honnête. Serait-il plus facile de déterminer qu’un suspect est sincère lorsqu’il ignore qu’il est soupçonné ? S’il ne sait pas qu’il est soupçonné de mentir, il ne devrait pas avoir peur de ne pas être cru ; pas plus qu’il n’éprouverait de colère ou de détresse d’être soupçonné de mentir, et même s’il est rongé par la culpabilité, il n’aurait aucune raison particulière de se comporter comme s’il commettait un méfait. Tout est pour le mieux, puisque les signes de n’importe laquelle de ces émotions peuvent être interprétés simplement comme des indices de tromperie 112 sans qu’on doive s’inquiéter qu’il puisse en fait s’agir des émotions d’un individu sincère qui est soupçonné.

Comme déjà vu plus haut, ce gain est cependant obtenu à un prix : certaines des émotions provoquées par l’acte de mentir qui produisent des indices de tromperie, notamment l’appréhension de détection, seront plus faibles si l’individu qui ne se sait pas soupçonné est en réalité un menteur. Quand le suspect ignore qu’il est soupçonné, le détecteur est moins susceptible de commettre des erreurs NPCV parce que les signes d’émotion, s’ils apparaissent, sont plus probablement des indices de tromperie ; mais il y a un risque plus élevé d’erreurs CLM, parce que les émotions provoquées par le mensonge ne seront probablement pas assez intenses pour trahir le menteur.

L’inverse se produit probablement si les soupçons sont connus : plus d’erreurs NPCV, mais moins d’erreurs CLM. Le détecteur est-il en meilleure position si le sujet ignore qu’il est soupçonné ? Deux autres problèmes compliquent la question. Premièrement, le détecteur peut ne pas avoir le choix. Toutes les situations ne permettent pas à la cible de dissimuler ses soupçons. Même si c’est possible, les individus qui pensent être la cible d’une tromperie ne veulent pas tous dissimuler leurs soupçons et mentir pour démasquer un menteur. Et les détecteurs ne sont pas tous assez doués dans le mensonge pour ne pas se faire repérer. Le second problème est pire. Le détecteur risque de ne pas parvenir à dissimuler ses soupçons sans s’en rendre compte. Il ne peut en tout cas pas compter sur le menteur pour le lui dire ! Certains menteurs peuvent avoir l’audace d’affronter leur cible après avoir remarqué qu’elle est soupçonneuse, surtout s’ils peuvent lui reprocher ses tentatives de dissimulation. Le menteur peut jouer la comédie du vertueux indigné et blessé que la cible n’ait pas eu l’honnêteté de formuler ses soupçons, privant injustement le menteur de la possibilité de se justifier. Même si ce stratagème ne convainc pas, il peut au moins intimider temporairement la cible.

Les menteurs ne sont pas tous aussi effrontés. Certains peuvent dissimuler qu’ils ont découvert que la cible était méfiante afin d’avoir le temps de brouiller les pistes, trouver une solution de repli, etc. Mais ce n’est pas seulement le menteur qui peut dissimuler cette découverte.

Un individu sincère peut également dissimuler qu’il a découvert qu’on le soupçonne. Les raisons peuvent varier. Cela peut être pour éviter une scène, gagner du temps en espérant réunir des preuves pour se disculper… Révéler les soupçons présente l’avantage d’éviter un marécage d’incertitudes.

Au moins, la cible sait que le suspect sait qu’il est soupçonné. Même dans ce cas, l’individu sincère, comme le menteur, peut tenter de dissimuler les émotions qu’il éprouve parce qu’il est soupçonné. Une fois les soupçons reconnus, le menteur peut vouloir dissimuler toute appréhension de détection, mais l’individu sincère peut aussi tenter de cacher sa peur de ne pas être cru, sa colère ou sa détresse d’être soupçonné, au motif que ces émotions peuvent être interprétées comme des preuves de mensonge. S’il n’y avait que les menteurs qui essayaient de dissimuler leurs émotions, il serait plus facile de détecter la tromperie. Mais si c’était le cas, certains menteurs seraient assez astucieux pour afficher leurs émotions eux aussi. 113 Autre avantage : si la victime annonce sincèrement qu’elle est soupçonneuse, elle est en mesure d’utiliser ce que l’on appelle le « test du savoir coupable ». David Lykken, physio-psychologue qui critique l’utilisation du décodeur, estime que ce test peut améliorer la fiabilité de l’appareil. L’interrogateur ne demande pas au suspect s’il a commis un crime, mais lui pose uniquement des questions sur des sujets que seul le coupable peut connaître.

Supposons qu’un individu soit soupçonné de meurtre ; le suspect a un mobile, il a été vu près de la scène du crime, etc. Avec le test du savoir coupable, le suspect doit répondre à des questions à choix multiple. Par exemple : « La victime était-elle allongée à plat ventre, sur le dos, sur le côté ou était-elle assise ? » Le suspect doit répondre « Non » ou « Je ne sais pas » après chaque proposition. Seul l’individu qui a commis le crime peut savoir que la victime était allongée sur le dos. Dans des expériences en laboratoire sur le mensonge, Lykken a découvert que la personne qui détient ce savoir coupable présente une modification du système nerveux autonome décelée par le décodeur quand la proposition vraie est mentionnée, alors que l’individu innocent réagit de la même manière à toutes les propositions.

Malgré les tentatives de l’individu coupable pour dissimuler qu’il détient un savoir que seul le coupable peut posséder, quand cette technique est utilisée, le décodeur le repère 7 .

L’intérêt du test du savoir coupable est que des réactions inhabituelles ne peuvent pas être dues aux émotions qu’éprouve un innocent qui se sait soupçonné. Même si le suspect innocent redoute de ne pas être cru ou est désemparé par sa situation, c’est seulement par hasard qu’il présenterait devant la proposition « allongée sur le dos » une réaction émotionnelle plus intense que devant les autres propositions. Grâce à l’usage de nombreuses questions à choix multiple, toute réaction inhabituelle présentée par un suspect innocent apparaîtra autant devant les propositions vraies que devant les fausses.

Par conséquent, le test du savoir coupable élimine le plus grand danger dans la détection de la tromperie : les erreurs NPCV dues à la confusion entre les émotions d’un menteur et celles d’un individu sincère se sachant soupçonné.

Malheureusement, peu d’études ont testé la fiabilité de ce test prometteur et les rares qui ont été faites ne prouvent pas qu’il est toujours aussi juste que le laissent à penser les travaux de Lykken.

Un rapport récent du Bureau d’évaluation de la technologie sur la fiabilité du décodeur a noté que le test du savoir coupable « détectait un pourcentage légèrement plus faible de sujets coupables que le test traditionnel ». Il a été découvert qu’il présente une proportion plus élevée d’erreurs CLM, mais un taux moindre d’erreurs NCV 8 . En tout cas, le test du savoir coupable a une utilité très limitée en dehors des interrogatoires criminels. Bien trop souvent, l’individu qui pense être victime d’un mensonge ne possède pas l’information détenue par le menteur et ne peut donc pas utiliser le test du savoir coupable. Dans le roman d’Updike, Ruth sait qu’elle a une liaison et avec qui. Son mari Jerry n’a que des soupçons, et comme il n’a pas l’information que seul peut posséder le coupable, il ne peut pas utiliser la technique du savoir coupable.

Pour l’utiliser, le détecteur doit connaître les faits passés et n’avoir d’incertitude que sur leur auteur. 114 Le test du savoir coupable nécessite que le détecteur ait une certitude absolue sur un fait ou un événement, la question étant seulement de savoir si le suspect en est ou non l’auteur.

Si la question est : « Qu’a fait cet individu ? Qu’éprouve-t-il ? », et si le détecteur l’ignore, le test du savoir coupable ne peut être utilisé. Évaluer les indices comportementaux de tromperie est risqué. La liste qui suit résume toutes les précautions à prendre pour réduire les risques expliqués dans ce chapitre.

Le détecteur doit toujours évaluer la probabilité que tout geste ou expression indique mensonge ou sincérité. Dans les rares cas où la probabilité est certaine – une émotion contredisant le mensonge fuite dans une microexpression faciale, ou une partie de l’information dissimulée surgit lors d’une tirade –, le suspect s’en rendra également compte et avouera.

 

 

 

 Précautions à prendre dans l’interprétation des indices comportementaux de tromperie :

 

1. Essayez de rendre explicite la base de toute intuition qu’un individu ment ou dit la vérité. En étant plus conscient de la manière dont vous interprétez les indices comportementaux de tromperie, vous apprendrez à repérer vos erreurs et vous saurez quand vous n’avez que de faibles chances de prononcer un jugement correct.

 

2. N’oubliez pas qu’il existe deux dangers dans la détection du mensonge : ne pas croire la vérité (juger menteur un individu sincère) et croire le mensonge (juger sincère un menteur). Il n’y a aucun moyen d’éviter totalement ces erreurs. Mesurez les conséquences que comporte chaque erreur.

 

3. L’absence de signe de tromperie n’est pas une preuve de vérité : certains individus ne fuitent pas. La présence d’un signe de tromperie n’est pas toujours une preuve de mensonge : certains individus apparaissent mal à l’aise ou coupables même quand ils disent la vérité. Vous pouvez réduire le risque Brokaw, qui est dû aux particularités individuelles de comportement expressif, en fondant votre jugement sur une modification du comportement du suspect.

 

4. Recherchez en vous tout préjugé concernant le suspect. Demandez-vous si vos préjugés biaiseront vos chances de prononcer un jugement correct. N’essayez pas de juger si un individu ment lorsque vous vous sentez dominé par la jalousie ou un embrasement émotionnel. Évitez la tentation de soupçonner le mensonge parce qu’il explique commodément des événements par ailleurs inexplicables.

 

5. Envisagez toujours la possibilité qu’un signe d’émotion ne soit pas un indice de tromperie, mais un indice de ce qu’éprouve un individu sincère qui se sait soupçonné de mensonge. Écartez tout signe d’émotion ou indice de tromperie, si un suspect sincère éprouve cette émotion à cause de sa personnalité ; de la nature de votre relation passée avec lui ; des attentes du suspect.

 

6. Gardez à l’esprit que de nombreux indices de tromperie sont les signes de plus d’une émotion et qu’ils doivent dans ce cas être écartés si l’une de ces émotions peut être éprouvée quand le suspect est sincère, alors qu’une autre peut être éprouvée quand le suspect ment.

 

7. Demandez-vous si le suspect sait ou non qu’il est soupçonné et ce qui est à gagner et à perdre dans chaque cas par la détection du mensonge.

 

8. Si vous détenez des informations que seul le suspect peut connaître uniquement s’il ment, et que vous êtes en mesure de l’interroger, préparez le test du savoir coupable.

 

9. Ne concluez jamais de manière définitive qu’un suspect est sincère ou ment en vous fondant uniquement sur les indices comportementaux de tromperie. Ces indices ne doivent servir qu’à vous faire prendre conscience de la nécessité d’information et d’investigation supplémentaires. Les indices de tromperie, comme le décodeur, ne fournissent jamais de preuve absolue.

 

10. Utilisez le tableau 4 de l’appendice pour évaluer le mensonge, le menteur et vous-même, le détecteur, afin d’estimer la probabilité de commettre des erreurs ou de juger correctement de la sincérité.

 

 Chapitre 6 Vérifier le mensonge

 

 

 La plupart des mensonges réussissent parce que personne ne se donne la peine de chercher comment les détecter.

Généralement, ce n’est pas très important. Mais quand les enjeux sont élevés – quand la victime peut être gravement lésée si elle est trompée, et le menteur pâtir considérablement s’il est découvert ou tirer un grand bénéfice s’il est jugé à tort sincère – il y a toutes les raisons de se donner cette peine. Vérifier le mensonge n’est pas une tâche simple et rapide.

Beaucoup de questions doivent être examinées pour évaluer si des erreurs sont probables ou non et, auquel cas, quel type d’erreurs attendre et comment les repérer dans des indices comportementaux particuliers. Des questions doivent être posées sur la nature du mensonge lui-même ; sur les caractéristiques du menteur donné et du détecteur donné. Personne ne peut être absolument certain qu’un menteur échoue et qu’un individu sincère s’en sorte. La vérification du mensonge ne permet que de se faire une idée en connaissance de cause.

Vérifier le mensonge permettra à un individu soupçonneux d’évaluer ses chances de confirmer ou infirmer ses soupçons. Parfois, il apprendra simplement qu’il ne peut le faire.

Ou bien il peut apprendre que des erreurs sont probables et savoir ce qu’il doit guetter.

La vérification peut également être utile pour le menteur. Certains peuvent décider que les chances de réussite sont faibles et ne pas se lancer ni poursuivre dans un mensonge

D’autres peuvent être encouragés en voyant combien il est facile de mentir impunément, ou bien apprendre sur quoi concentrer leurs efforts pour éviter les erreurs qu’ils ont le plus de chances de commettre.

Trente-huit questions doivent être posées pour vérifier un mensonge.

 

 

 

 

 

 


19/09/2014
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